Astronomie populaire (Arago)/IX/05

La bibliothèque libre.
GIDE et J. BAUDRY (Tome 1p. 361-364).

CHAPITRE V

quelle est la distance probable des dernières étoiles visibles
à l’œil nu ou avec les plus puissants télescopes ?


D’après les détails qui sont contenus dans le chapitre précédent sur les intensités lumineuses relatives des étoiles, et en s’appuyant sur cette loi que la lumière s’affaiblit dans le rapport des carrés des distances, on trouve :

Qu’Arcturus deviendrait égal à α d’Andromède, étoile de deuxième grandeur, si on le transportait à deux fois sa distance actuelle ;

Qu’il serait égal à μ de Pégase ou de quatrième grandeur, à une distance quatre fois plus grande que la distance présente ;

Qu’il deviendrait de cinquième à sixième grandeur si on le transportait à huit fois la distance primitive ;

Qu’en moyenne une étoile de première grandeur, transportée à douze fois sa distance actuelle, ne cesserait pas d’être visible à l’œil nu, et que son éclat ne tomberait pas au-dessous de la sixième grandeur.

Herschel essaya d’étendre aux observations télescopiques l’échelle de visibilité qu’il avait formée pour l’œil nu. Après avoir préparé une série de lunettes et de télescopes qui recevaient respectivement :

2 multiplié par 2, ou 4 fois
plus de lumière que l’œil nu,
3 Id. 3, ou 9
4 Id. 4, ou 16
5 Id. 5, ou 25
Etc., etc., etc.

il dirigea le plus faible de ces instruments sur la tache blanchâtre située dans la garde de l’épée de Persée.

L’œil ne distinguait là aucune étoile. S’il y en avait, elles étaient nécessairement plus faibles que ne le seraient les étoiles de première grandeur transportées à douze fois leur distance actuelle : le petit instrument en montra un grand nombre. Admettons que dans ce grand nombre il se trouvait, comme cela est probable, d’aussi fortes étoiles qu’Arcturus, que Wéga ou α de la Lyre, etc., ces étoiles, pour devenir tout juste visibles après que leur intensité avait quadruplé, devaient être deux fois plus loin que les dernières étoiles visibles à l’œil nu, c’est-à-dire vingt-quatre fois plus loin qu’Arcturus, que Wéga, etc.

Le second instrument, celui qui augmentait la lumière dans le rapport de 9 à 1, qui rapprochait les objets trois fois, faisait voir des étoiles dont le premier ne dévoilait aucune trace. Ces étoiles étaient en intensité ce que deviendraient Arcturus, Wéga, etc., à trente-six fois leur distance actuelle.

En arrivant, toujours par degrés, jusqu’au télescope de 3 mètres avec toute son ouverture, l’observateur apercevait des étoiles pareilles à ce que seraient les étoiles de première grandeur à trois cent quarante quatre fois la distance qui maintenant les sépare de nous.

Le télescope de 6 mètres étendait sa puissance jusqu’à neuf cents fois cette même distance des étoiles de première grandeur ; et il était évident qu’un télescope plus fort aurait montré des étoiles plus éloignées encore.

Pour échapper aux conséquences numériques que je vais déduire de ces résultats d’Herschel, il faudrait supposer que parmi le nombre prodigieux d’étoiles que chaque télescope d’une puissance inférieure découvre, il n’en existe aucune d’aussi brillante qu’Arcturus, ou Wéga de la Lyre ; il faudrait admettre, en un mot, qu’il ne s’est formé d’étoiles de première grandeur que près de notre système solaire. Une pareille supposition ne mérite certainement pas d’être réfutée.

J’analyserai plus loin (chap. xxxii), une méthode à l’aide de laquelle on s’est assuré mathématiquement, qu’il n’y a aucune étoile de première grandeur dont la lumière nous parvienne en moins de trois ans. D’après cela les lumières des étoiles de différents ordres, aussi grandes en réalité qu’Arcturus, que Wéga de la Lyre, etc., seraient à de telles distances de la terre que la lumière ne saurait les parcourir :

Pour les étoiles
de deuxième grandeur en moins de 6 ans.
de quatrième grandeur 12
de sixième grandeur 36
Pour les dernières étoiles visibles avec
le télescope de 3 mètres
1 042
Pour les dernières étoiles visibles avec
le télescope de 6 mètres
2 700

Les rayons lumineux qui nous arrivent des étoiles nous racontent donc, s’il est permis de s’exprimer ainsi, l’histoire ancienne de ces astres.