Astronomie populaire (Arago)/IX/22

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GIDE et J. BAUDRY (Tome 1p. 400-402).

CHAPITRE XXII

η d’argo


J’ai entendu souvent des lamentations portant sur ce que des phénomènes analogues à ceux de 1572 et 1604 ne se sont plus montrés depuis l’invention des lunettes, c’est-à-dire depuis qu’on a découvert les moyens de les observer minutieusement. Les regrets n’auraient plus aujourd’hui aucun fondement. Le ciel austral offre maintenant une étoile dont les variations laissent bien loin, par leurs singularités, tout ce que les astres temporaires de Tycho et de Kepler avaient présenté à ces deux grands observateurs. L’étoile dont je veux parler est η d’Argo.

J’emprunte les détails qu’on va lire à mon ami Alexandre de Humboldt.

« Dès 1677, Halley à son retour de l’île Sainte-Hélène, émettait des doutes nombreux sur la constance d’éclat des étoiles du Navire Argo ; il avait surtout en vue celles qui se trouvent sur le bouclier de la proue et sur le tillac dont Ptolémée a indiqué les grandeurs. Mais l’incertitude des désignations anciennes, les nombreuses variantes des manuscrits de l’Almageste, et surtout la difficulté d’obtenir des évaluations exactes sur l’éclat des étoiles, ne permirent point à Halley de transformer ses soupçons en certitude. En 1677, Halley rangeait η d’Argo parmi les étoiles de quatrième grandeur ; en 1751 Lacaille la trouvait déjà de deuxième grandeur. Plus tard, elle reprit son faible éclat primitif, puisque Burchell la vit de quatrième grandeur, pendant son séjour dans le sud de l’Afrique (de 1811 à 1815). Depuis 1822 jusqu’en 1826, elle fut de deuxième grandeur pour Fallous et Brisbane (Nouvelle-Hollande) ; Burchell, qui se trouvait, en 1827 à San-Paulo, au Brésil, la trouva de première grandeur et presque égale à α de la Croix. Un an plus tard, elle était revenue à la deuxième grandeur. C’est à cette classe qu’elle appartenait, quand Burchell l’observait à Goyaz, le 29 février 1828 ; c’est sous cette grandeur que Johnson et Taylor l’inscrivirent dans leurs catalogues de 1829 à 1833 ; et quand sir John Herschel alla observer au cap de Bonne-Espérance, il la plaça constamment, de 1831 à 1837, entre la deuxième et la première grandeur.

« Mais le 16 décembre 1837, pendant que cet illustre astronome s’apprêtait à mesurer l’intensité de la lumière émise par l’innombrable quantité des petites étoiles de onzième à seizième grandeur qui forment autour de η d’Argo une magnifique nébuleuse, son attention fut attirée par un phénomène étrange ; η d’Argo, qu’il avait si souvent observée auparavant, avait augmenté d’éclat avec tant de rapidité qu’elle était devenue égale à α du Centaure ; elle surpassait d’ailleurs toutes les autres étoiles de première grandeur, sauf Canopus et Sirius. Cette fois elle atteignit son maximum vers le 2 janvier 1838. Bientôt elle s’affaiblit, elle devint inférieure à Arcturus, tout en restant encore, vers le milieu d’avril 1838, plus brillante qu’Aldebaran. Elle continua à décroître jusqu’en mars 1843, sans tomber cependant au-dessous de la première grandeur ; puis elle augmenta de nouveau, surtout en avril 1843, et avec une rapidité telle, que, d’après les observations de Mackay, à Calcutta, et celles de Macleart, au Cap, η d’Argo surpassait Canopus et devint presque égale à Sirius. L’étoile a conservé cet éclat extraordinaire jusqu’au commencement de l’année 1850. Un observateur distingué, le lieutenant Gilliss, chef de l’expédition astronomique que les États-Unis ont envoyé au Chili, écrivait de Santiago, en février 1850 : « Aujourd’hui η d’Argo avec sa couleur d’un rouge jaunâtre, plus sombre que celle de Mars, se rapproche extrêmement de Canopus pour l’éclat ; elle est plus brillante que la lumière réunie des deux composantes de α du Centaure. »

Ainsi, les rapides changements d’intensité de η d’Argo durent depuis sept ans sans qu’on soit encore parvenu à les enchaîner par une loi simple et régulière.

Les tables que j’ai données précédemment (chap. xv) sont loin de renfermer toutes les étoiles dans lesquelles on a reconnu des changements périodiques d’éclat ; nous devons ajouter que plusieurs des étoiles que nous avons rangées dans la série des astres qui ont disparu seront peut-être classées un jour parmi les étoiles périodiques.