Astronomie populaire (Arago)/VII/05

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GIDE et J. BAUDRY (Tome 1p. 265-270).

CHAPITRE V

diverses unités de temps — du jour et des heures


Parmi les unités que les hommes de toutes les époques et de tous les pays ont employées pour mesurer le temps, il faut placer en première ligne le jour et ses subdivisions, les heures, ou 24es de jour ; les minutes, ou 60es d’heure ; les secondes, ou 60es de minute.

Entrons dans quelques explications sur les diverses significations que comporte le mot jour, et sur les procédés plus ou moins complexes à l’aide desquels on est parvenu à donner à cette unité de temps la régularité nécessaire pour satisfaire aux besoins de la vie civile.

Le mot jour, dans son acception la plus générale, s’est toujours appliqué au temps que le soleil paraît employer à faire une révolution entière du firmament.

Le même mot signifie aussi quelquefois l’intervalle compris entre deux levers, entre deux couchers consécutifs du soleil.

L’unité de temps, suivant l’une quelconque de ces définitions, n’a pas, comme nous l’avons vu, en étudiant la marche annuelle du soleil, la régularité, l’égalité désirables.

Dans le langage vulgaire, le mot jour indique quelquefois le temps pendant lequel le soleil nous éclaire, le temps qui s’écoule entre le lever de cet astre et le coucher qui lui succède. La nuit est l’intervalle compris entre le coucher et le lever suivant.

Les Grecs avaient dans l’expression nyctémère ou nyctimère, c’est-à-dire nuit et jour, le moyen de prévenir les équivoques que notre langue peut comporter.

De temps immémorial, le nyctémère a été divisé en vingt-quatre parties ou heures.

Quelques peuples comptaient ces vingt-quatre heures de suite, de une à vingt-quatre. Chez d’autres, le nyctémère se composait de deux périodes consécutives de douze heures chacune. Nous ne parlerons pas de la tentative faite en 1793 de partager la durée du jour en dix heures seulement, dont chacune se composait de cent minutes ; cette division n’a pas été adoptée, et l’on est généralement revenu au jour de vingt-quatre heures.

Les vingt-quatre heures, quand on les comptait de une jusqu’à vingt-quatre, et non pas en deux groupes de douze heures, étaient en général égales entre elles[1]. À une certaine époque, nous trouvons en Grèce, pour le jour proprement dit, pour le temps de la présence du soleil sur l’horizon, un groupe de douze heures égales ; la nuit, le temps compris entre le lever et le coucher du soleil était partagé entre douze heures pareillement égales.

On voit manifestement qu’en été les heures du premier groupe étaient plus longues que celles du second ; en hiver, au contraire, les heures de la nuit surpassaient celles du jour. Il n’y avait égalité parfaite entre ces deux espèces d’heures qu’au 21 mars et au 23 septembre, car à ces deux époques le jour et la nuit ont la même durée. Pour calculer les observations, Ptolémée ne manquait jamais de transformer les heures temporaires en heures équinoxiales[2].

On a beaucoup varié sur le choix du moment où il devait être le plus convenable de fixer le commencement du jour civil.

Les Juifs, les anciens Athéniens, les Chinois, les Italiens, etc., commençaient le jour au coucher du soleil.

Jusqu’à ces derniers temps, chez les Italiens, on comptait tout d’un trait vingt-quatre heures entre deux couchers consécutifs du soleil, et non pas deux périodes de douze heures.

Une horloge italique ou réglée en telle sorte qu’elle indiquait 0h 0m 0s au coucher du soleil, le jour du solstice d’hiver, et vingt-quatre entre les couchers des 21 et 22 décembre, avançait graduellement d’une manière sensible, c’est-à-dire marquait plus de 0h 0m 0s aux moments des couchers du soleil qui suivaient celui du 21 décembre. La différence grandissait à mesure qu’on s’approchait du solstice d’été. Le contraire avait lieu quand le soleil, par un mouvement rétrograde, revenait du solstice d’été au solstice d’hiver. Dans l’un et dans l’autre cas, les écarts en plus ou en moins se seraient élevés à plusieurs heures. Il fallait donc toucher sans cesse à l’horloge.

On a cru justifier cette méthode si défectueuse de régler les montres en disant que, dans un instant quelconque, elle apprenait aux voyageurs de quel nombre d’heures et de minutes de jour ils pouvaient disposer avant que la nuit les atteignît. Le soleil devant toujours se coucher à 24 heures d’une montre italique, si cette montre marque 21 heures, 20 heures, 19 heures, etc., c’est qu’il y a encore 3 heures, 4 heures, 5 heures, etc., de jour proprement dit à courir. Mais de quel poids peut être un pareil avantage, quand on songe à l’inconvénient d’être obligé de toucher sans cesse le temps (toccare il tempo), comme on dit de l’autre côté des Alpes, quand on réfléchit que les horloges italiques se concilient difficilement avec une vie méthodique, car les heures des repas, des travaux, du repos, les heures où commencent et finissent les fonctions publiques, ne sauraient être fixes dans un pareil système, et changent notablement suivant les saisons. Tels sont au surplus, en substance, les arguments que des Italiens éminents ont présentés à leurs compatriotes, pour les arracher à une pratique en faveur de laquelle on ne pouvait réellement invoquer que son ancienneté.

Les Babyloniens, les Syriens, les Perses, les Grecs modernes, les habitants des îles Baléares, etc., ont pris pour commencement du jour le lever du soleil.

Un pareil choix n’a pu être fait que dans des temps d’ignorance. Une horloge bien réglée ne saurait marquer la même heure, pendant plusieurs jours consécutifs, au moment du lever du soleil. Parmi les phénomènes astronomiques, il n’en est pas d’ailleurs dont l’observation soit sujette à plus d’incertitude, à plus d’erreurs que celle du lever ou du coucher des astres.

Chez les anciens Arabes, suivis en cela par l’auteur de l’Almageste, par Ptolémée, le jour commençait à midi.

Les astronomes modernes ont généralement adopté cet usage. Le moment de changer de date se trouve alors marqué sans équivoque, par un phénomène facile à observer quand le ciel est serein. Le passage du soleil dans un plan orienté suivant le méridien, la marche ou la longueur de l’ombre d’un style, même sur un cadran grossier, indiquent avec toute la précision désirable le moment où un jour vrai finit, le moment où le jour vrai suivant commence : les mêmes procédés d’observation, en tenant compte de l’équation de temps, déterminent aussi le commencement et la fin des jours solaires moyens.

Les astronomes modernes, ainsi que Ptolémée, comptent vingt-quatre heures consécutives entre deux midis.

Enfin, comme pour prouver que toutes les variétés possibles se rencontrent dans les choix abandonnés au libre arbitre des hommes, les Égyptiens, et parmi eux Hipparque, les anciens Romains, les Français, les Anglais, les Espagnols, ont invariablement fixé à minuit le commencement du jour civil. Copernic, parmi les astronomes modernes, suivait cet usage.

Remarquons que le commencement du jour astronomique, quand il est réglé sur le midi, est postérieur de douze heures au commencement du jour civil.

  1. Galien, quand il s’occupe de la durée des accès de fièvre, parle d’heures équinoxiales. Ces expressions ont fait supposer que, sous les Antonins, les heures d’égale durée n’étaient pas, à Rome, d’un usage général.
  2. Dans aucune observation rapportée par Ptolémée, le temps n’est indiqué plus exactement qu’à un quart d’heure près ; les modernes tiennent compte des secondes et même des dixièmes de seconde. Cette remarque pourra être utilement méditée par ceux qui prétendent que depuis les Grecs l’astronomie n’a fait aucun progrès.