Astronomie populaire (Arago)/III/13

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GIDE et J. BAUDRY (Tome 1p. 117-120).

CHAPITRE XIII

grossissement des lentilles oculaires


L’œil ne jouit que d’une puissance de perception bornée. Lorsque l’objet sous-tend un angle d’une seule minute, son image sur la rétine devient tellement petite, qu’elle ne produit pas d’effet, du moins pour la généralité des hommes. Ainsi un cercle ou un carré blancs, dessinés sur un fond noir, sont totalement invisibles, lorsque le diamètre du cercle ou le côté du carré sous-tendent un angle d’une minute ou au-dessous. Ces deux figures géométriques seraient au contraire aperçues, si leur distance à l’œil était telle qu’elles sous-tendissent un angle de deux minutes. Rien de plus facile, au premier aspect, que d’arriver à ce résultat. Un objet ne sous-tend-il qu’une minute à la distance qui le sépare de l’œil, l’angle sous tendu sera double si la distance primitive est réduite à moitié, ce même angle sera triple si la distance est réduite au tiers, il deviendra décuple quand la distance sera amenée au dixième, et ainsi de suite. Il existe donc un moyen simple de grossir les objets, c’est de les observer de très-près.

Mais les rayons qui pénètrent dans l’œil, en partant d’un point voisin de cet organe, ont une divergence exagérée. Les trois lentilles dont l’œil est composé ne suffisent plus pour les amener à se croiser sur la rétine. Un point de l’objet est représenté sur cette membrane par une surface, les images des points voisins empiètent les unes sur les autres, et l’image totale devient confuse ; il faut donc regarder comme solution acceptable du problème que nous nous sommes proposé, celle-là seulement qui, en agrandissant les images sur la rétine, leur conservera toute la netteté désirable.

Eh bien, supposons que l’œil soit conformé de manière à voir nettement par des rayons parallèles. Des rayons partant de tous les points d’un petit objet situé à la distance d’un demi-mètre, qu’embrasse l’ouverture circulaire de la pupille, doivent être considérés comme satisfaisant suffisamment à cette condition de parallélisme.

Soit AB (fig. 71) un objet situé à un demi-mètre de l’œil. Pour simplifier l’explication, réduisons l’œil à la lentille cristalline L ; soit R la rétine.

Fig. 71. — Moyen de bien voir les très-petits objets.

L’objet AB, à la distance d’un demi-mètre qui le sépare de l’œil, sera représenté sur la rétine par l’image A′B′, déterminée à l’aide des rayons aboutissant aux deux extrémités de l’objet et se croisant au centre optique du cristallin. Si on transporte l’objet AB parallèlement à lui-même jusqu’à la position CD, beaucoup plus voisine de l’œil, l’image C′D′ sur la rétine sera plus étendue que l’image A′B′, correspondante à la position AB ; seulement, dans cette seconde position, les rayons divergents partis des différents points C et D ne se réunissant plus exactement en des points uniques sur la rétine, l’image C′D′, notablement plus grande que l’image AB, aura le défaut d’être confuse. Ne pourrait-on pas conserver à cette image C′D′ sa grandeur, tout en lui donnant de la netteté ? Or, c’est là une condition à laquelle la lentille oculaire, comme nous l’avons nommée, nous permet d’arriver. On doit se rappeler que les rayons partant de chacun des points d’une image ou d’un objet situé dans le plan focal d’une lentille sortent par la face opposée, parallèlement entre eux, et, de plus, parallèlement à la ligne qui joint le point rayonnant et le centre optique N de la lentille. Si donc nous interposons entre l’objet CD et l’œil une lentille au foyer de laquelle l’objet CD soit placé, les rayons divergents partant de C sortiront par la seconde surface de la lentille, parallèlement entre eux et à la ligne CN ; les rayons divergents partant de D, devenus parallèles à leur émergence de la lentille, pénétreront de même dans l’organe parallèlement entre eux et à la ligne DN. Donc, à cause de leur parallélisme, ils se réuniront aux points C′ et D′, autour desquels les images confuses des points C et D venaient se former, quand le parallélisme n’existait pas, ou qu’il n’y avait point de loupe entre l’objet CD et l’œil.

Une lentille convenablement placée est donc un moyen d’observer les objets de très-près, en évitant la confusion qui semblait inhérente à cette condition.

On prouverait en outre facilement, par la théorie des triangles semblables, que l’agrandissement de l’image sur la rétine est en raison inverse de la distance focale de la lentille dont on se sert. En telle sorte qu’une lentille ayant un millimètre de foyer permet d’examiner les objets, à une distance dix fois plus petite qu’une lentille de dix millimètres de distance focale, et les grossit dix fois plus comparativement à celle-ci.

Relativement à une lentille de dix millimètres de foyer, celle dont la distance focale s’élèverait seulement à un demi-millimètre grossirait vingt fois, et ainsi de suite.

Si, comme nous l’avons supposé, un œil bien conformé voit les objets lorsqu’ils sont à un demi-mètre ou à cinq cents millimètres de distance, une lentille d’un millimètre de foyer permettant de voir ces mêmes objets lorsqu’ils sont placés à un millimètre de l’œil, les grossira dans le rapport de 1 à 500.

On ne saurait croire jusqu’où l’industrie humaine est arrivée dans la construction de ces lentilles à court foyer. Le père Della Torre, en fondant des boules de verre sous l’action du dard d’un chalumeau et les recevant dans des cavités pratiquées sur des plaques de tripoli, parvint à exécuter des lentilles dont la distance focale était de un dixième de millimètre de diamètre.

Pour une dimension donnée, les lentilles ont des foyers d’autant plus courts que la puissance réfringente de la matière dont elles sont composées est plus grande.