Astronomie populaire (Arago)/IX/33

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GIDE et J. BAUDRY (Tome 1p. 437-445).

CHAPITRE XXXIII

historique des recherches des astronomes sur la parallaxe
annuelle des étoiles


La détermination de la parallaxe annuelle des étoiles a de très-bonne heure fixé l’attention des observateurs. Outre l’intérêt qui s’attachait à la connaissance de la distance de ces astres à la terre, on devait trouver dans les variations d’une de ces parallaxes supposée sensible, la preuve géométrique que la terre était une planète, ou qu’elle circulait autour du soleil comme les autres planètes de notre système. Nous avons ici à distinguer l’invention des méthodes à l’aide desquelles le problème a été abordé, des solutions effectives que divers astronomes en ont données.

La première méthode, celle qui consiste à déterminer durant les 365 jours dont l’année se compose, les variations de déclinaison ou d’ascension droite d’une étoile et définitivement les changements de latitude, était si naturelle, elle ressortait si immédiatement de la nature des choses qu’il serait impossible de dire précisément qui l’a imaginée. Il n’en est pas de même du second procédé consistant à comparer ensemble deux étoiles placées à des distances très-inégales de la terre, et vues simultanément dans le champ d’une lunette. Cette méthode appartient à Galilée et est très-nettement indiquée dans son troisième dialogue, giornata terza :

« Car je ne crois pas que toutes les étoiles sont parsemées sur une surface sphérique à la même distance d’un centre ; mais je pense, au contraire, que leurs distances sont tellement variées, qu’il y a plusieurs étoiles deux et trois fois plus éloignées que les autres ; de manière que si l’on voyait dans le champ d’une lunette une étoile très petite, très-rapprochée d’une des plus grandes, la première étant à une très-grande hauteur, il pourrait arriver quelque changement sensible entre elles.[1] »

Pour trouver une seconde mention de la méthode parallactique procédant par positions relatives d’étoiles voisines l’une de l’autre et de grandeurs inégales, il faut descendre jusqu’à l’année 1675. Le 24 juin, il fut donné lecture à la Société royale de Londres d’une lettre de Grégory d’Édimbourg renfermant la description la plus précise et la plus nette de la méthode en question. La lettre a été insérée dans l’Histoire de la Société royale, publiée en anglais, par Thomas Birch, 1757, t. iii, p. 225.

Huygens, dans son Cosmothéoros publié pour la première fois en 1695, indiquait les mouvements relatifs de deux étoiles voisines, inégalement brillantes, et dès lors suivant toute probabilité inégalement éloignées comme le moyen de s’assurer de l’extrême petitesse de la parallaxe de l’étoile la plus brillante. La petite étoile devenait ainsi un repère invariable auquel la grande pouvait être rapportée sans difficulté. C’était au reste la reproduction de l’idée ingénieuse de Galilée.

Le docteur Robert Long, vers le milieu du siècle dernier, paraît être le premier qui ait soumis la méthode de Galilée à l’épreuve de l’expérience.

Il est fait mention de ce même moyen de déterminer les parallaxes, par la comparaison de deux étoiles très voisines et d’intensité dissemblable dans l’éloge de Rœmer publié en 1773 par Condorcet.

Herschel enfin en 1781 recommanda cette méthode et forma un catalogue des étoiles inégalement lumineuses qui semblaient devoir le mieux se prêter à son application[2].

Passons maintenant aux observations qui ont été faites suivant les deux méthodes indiquées et aux résultats qu’elles ont fournis.

Copernic, le premier qui se soit occupé de la parallaxe annuelle des étoiles, la trouvait au-dessous des erreurs dont les observations étaient susceptibles de son temps.

Rothmann, le collaborateur du landgrave de Hesse Cassel, assignait à cette parallaxe des valeurs évidemment très-exagérées, car elles ne s’élevaient pas à moins de une minute. Tycho, quoiqu’il observât à l’œil nu comme Rothman, ne trouvait aucune variation sensible dans les distances des étoiles au zénith de l’île d’Hueen, déterminées aux différentes époques de l’année.

Hooke fit en 1674 avec un secteur de 4 mètres de long, et armé d’une lunette, des tentatives qui semblaient devoir conduire au but ; mais toutes les précautions auxquelles il eut recours pour se garantir des effets de la température échouèrent et la parallaxe annuelle de 20 à 30 secondes qu’il trouva pour γ du Dragon était en dehors de toutes les probabilités et qui plus est en dehors de la vérité comme cela fut prouvé quelque temps après par les observations de Bradley.

Les observations de Flamsteed postérieures à celles de Hooke lui parurent indiquer une parallaxe dans l’étoile polaire, mais cette conséquence tomba devant la remarque que les variations s’opéraient en sens contraire de celle qu’une parallaxe réelle aurait dû produire.

Huygens ayant remarqué que les deux étoiles d’un éclat très-différent qui composent ζ de la Grande Ourse restaient également distantes l’une de l’autre à toutes les époques de l’année en concluait que la parallaxe de la grande était insensible. Mais cette conclusion n’aurait pu se déduire légitimement de l’observation que s’il avait été démontré que la petite étoile était beaucoup plus éloignée de la terre que la grande[3].

Jacques Cassini essaya en 1714 et 1715 de déterminer la parallaxe de Sirius à l’aide d’une lunette fixe, mais l’incertitude de la réfraction à la petite hauteur à laquelle se trouve l’étoile au-dessus de l’horizon de Paris au moment de son passage au méridien, et l’aberration de la lumière qui n’était pas connue alors, suffisent pour expliquer la grandeur très-exagérée 10 à 12″ que l’astronome français trouva pour la parallaxe de l’étoile en question.

Après que Bradley eut découvert en 1728 l’aberration de la lumière et la nutation, toutes les positions des étoiles observées dans les différentes saisons de l’année à Kew et à Wansted et corrigées de ces deux causes de perturbation s’accordèrent si bien entr’elles qu’il ne restait plus de place pour une parallaxe annuelle. Cette conclusion s’appliquait spécialement aux deux étoiles ζ de la Grande Ourse et γ du Dragon.

En appliquant, vers le milieu du siècle dernier, la méthode de Galilée, Robert Long commit la faute impardonnable de choisir, dans le nombre considérable de combinaisons binaires que le firmament lui offrait : α des Gémeaux, γ de la Vierge et γ du Bélier, qui sont respectivement des couples d’étoiles d’intensités peu différentes entre elles. On ne doit donc pas s’étonner que ses observations n’aient donné aucune parallaxe. Ajoutons que les trois couples observés par Long composent des étoiles doubles.

Herschel, en 1782, fit des observations minutieuses sur les positions relatives de ε du Bouvier et de la faible étoile qui l’avoisine. Il en tira la conclusion que la première de ces deux étoiles n’a pas de parallaxe sensible. Mais cette conclusion cesse d’être exacte depuis qu’il a été établi que les deux étoiles de ε du Bouvier, au lieu de paraître dans le voisinage l’une de l’autre par un effet de projection, forment un système binaire et sont dans une dépendance mutuelle.

Au commencement de ce siècle, Piazzi publia un opuscule renfermant les parallaxes d’un certain nombre d’étoiles qu’il avait observées avec le célèbre instrument de Palerme. Mais les nombres auxquels il s’arrêta n’ont pas reçu l’assentiment des astronomes, surtout à cause de l’inégalité de température qu’éprouvaient les diverses parties de son cercle dans les saisons correspondantes aux observations.

Au reste, Piazzi trouvait lui-même que les parallaxes de α de la Lyre, de la Chèvre, d’Arcturus et de α de l’Aigle sont insensibles.

Pendant le premier quart du XIXe siècle, un long et vif débat s’établit en Angleterre sur la question des passages entre Brinkley, directeur de l’Observatoire de Dublin, et Pond, directeur de l’Observatoire de Greenwich. L’un et l’autre de ces deux célèbres observateurs étaient munis d’instruments très-puissants, tous deux se montrèrent parfaitement au courant des difficultés du problème et des précautions dont il fallait s’entourer pour le résoudre complétement, et cependant Brinkley trouva les parallaxes suivantes :

α d’Ophiuchus 
1″,6
α de la Lyre 
1″,2
α de l’Aigle 
1″,6
δ de l’Aigle 
3″,2
γ de l’Aigle 
2″,2
β de l’Aigle 
2″,4

tandis que Pond arrivait à la conclusion que les parallaxes de α de la Lyre, α de l’Aigle et α du Cygne étaient nulles ou qu’elles ne pouvaient s’élever qu’à une très petite fraction de seconde.

Sans qu’on puisse dire bien précisément quelles ont été les causes physiques qui induisirent Brinkley en erreur, ces parallaxes n’ont pas été admises, et les juges compétents ont accordé plus de confiance aux résultats de son contradicteur Pond.

Nous voici parvenus à l’époque où la méthode de Galilée fut appliquée avec des précautions infinies à la recherche de quelques parallaxes.

Le résultat que nous avons rapporté plus haut sur la parallaxe de α de la Lyre fut déduit par M. Struve de la comparaison de cette grande étoile à une étoile de dixième à onzième grandeur qui en était séparée de 43″. Ces observations, qui remontent aux années 1835, 1836, 1837, 1838, ont été faites avec la grande lunette parallactique de Dorpat, exécutée par Fraünhofer, et armée d’un micromètre filaire.

La parallaxe de la soixante et unième du Cygne, déterminée par Bessel, résulte d’observations faites à Kœnigsberg pendant les années 1837, 1838, 1839, 1840. Le grand observateur s’est servi, dans ses mesures, du bel héliomètre construit par Fraünhofer. Les étoiles de comparaison sont de neuvième à dixième grandeur et éloignées de la soixante et unième de 8 et de 12 minutes.

Il faut remarquer que cette parallaxe et la précédente sont un peu hypothétiques, puisqu’elles reposent sur la supposition que les étoiles de comparaison se trouvent à de telles distances que leurs parallaxes étaient absolument nulles[4].

Les valeurs des parallaxes de α du Centaure, de Sirius, de la Chèvre, de ι de la Grande Ourse et d’Arcturus également données plus haut, reposent sur des observations de hauteurs absolues déterminées avec un cercle répétiteur, et dès lors ne sont pas entachées de l’incertitude qui affecte les déterminations de M. Struve et de Bessel sur les parallaxes de α de la Lyre et de la soixante et unième du Cygne.

Disons toutefois que, par ce même mode d’observations des hauteurs absolues, M. Peters a trouvé pour la parallaxe de α de la Lyre 0″, 20, et pour la parallaxe de la soixante et unième du Cygne 0″, 35.

Cette presque identité de résultats avec ceux obtenus par Struve et Bessel prouve que ces deux astronomes ne s’étaient pas trompés, en admettant que les très-petites étoiles auxquelles ils avaient comparé α de la Lyre et la soixante et unième du Cygne sont tellement éloignées de la terre que leur parallaxe annuelle peut être supposée nulle.

Une conséquence qui découle également de cette coïncidence, c’est que M. Peters a déployé, tant dans les observations que dans les réductions qu’il a fallu leur faire subir, l’habileté de l’astronome le plus consommé.

  1. « Perchè io non credo, che tutte le stelle siano sparse in una sferica superficie ugualmente distanti da un centro ; ma stimo, che le loro lontananze da noi siano talmente varie, che alcune ve ne possano esser 2 e 3 volte più remote di alcune altre ; talchè quando si trovasse col telescopio qualche picciolissima stella vicinissima ad alcuna delle maggiori, e che però quella fosse altissima, potrebbe accadere, che qualche sensibil mutazione succedesse tra di loro. » (Opere di Galileo Galilei, édition de Milan, t. xii, p. 205.)
  2. J’avais, dans l’Annuaire du Bureau des Longitudes de 1842, attribué l’invention de la méthode à Galilée. J’avais aussi cité le docteur Long comme ayant songé à l’appliquer. Ceci a été de la part de sir John Herschel l’objet d’une note qu’on trouve dans la seconde édition de son Traité d’astronomie, et que je vais citer : « Cette méthode a été attribuée à Galilée, mais l’explication générale des effets de la parallaxe dans le systema Cosmicum, dialogue iii. page 271, auquel s’applique la citation, ne parle d’aucunes circonstances particulières à l’observation ni de ses difficultés. »

    Cette remarque de sir John Herschel n’empêche pas que ma citation ne soit parfaitement exacte, et que la méthode en question ne doive être attribuée à Galilée et non à sir William Herschel. Toutes les prétentions doivent être renfermées dans de justes bornes, même celles qui prennent leurs sources dans l’amour filial.

  3. Dans ce cas particulier les deux étoiles, comme on l’a reconnu plus tard, forment un système binaire et sont à peu près à la même distance de la terre.
  4. On a fait remarquer que Bessel s’était décidé dans le choix de l’étoile dont il voulait déterminer la parallaxe, non sur l’éclat mais sur la grandeur du mouvement propre. Si cela constituait un genre particulier de mérite, nous pourrions, M. Mathieu et moi, en réclamer le bénéfice, car nos observations de la 61e du Cygne remontent à 1812. Notre résultat, publié en 1834 et fondé sur des observations de déclinaisons absolues faites au cercle répétiteur de Reichenbach, diffère d’ailleurs fort peu de celui auquel Bessel est parvenu postérieurement. Je m’étais souvent demandé pourquoi notre parallaxe était presque dédaignée, tandis que le résultat hypothétique de Bessel était cité à toute occasion. J’en ai trouvé la raison dans l’excellent Mémoire de M. Peters sur les parallaxes. « Nous n’avons point, dit-il, M. Mathieu et moi, fait connaître le détail de nos observations. « Cette remarque est très-juste : il n’y a pas d’observations d’une étoile faites pendant une année qui ne conduisent à une parallaxe moyenne, grande ou petite ; mais pour savoir quelle confiance ce résultat mérite, il n’existe qu’un criterium, c’est d’examiner comment les résultats partiels s’accordent avec l’hypothèse du mouvement de la terre autour du soleil. Je dois dire que dans la circonstance actuelle, ce désir de connaître les mesures dans tous leurs détails était d’autant plus légitime, qu’en les examinant de nouveau nous avons reconnu que la personne chargée de les réduire avait commis une erreur de signe. Nos observations rectifiées conduisent à une parallaxe nulle, et même dans quelques cas à une parallaxe négative. Aussi, je saisis la première occasion de le reconnaître, le résultat de Bessel, avec les restrictions convenables, relatives à l’absence totale de parallaxe dans les étoiles de comparaison, doit seul prendre place dans la science.