Astronomie populaire (Arago)/V/09

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GIDE et J. BAUDRY (Tome 1p. 205-209).

CHAPITRE IX

de la visibilité des étoiles en plein jour


Les guides dirent à M. de Saussure qu’on voyait des étoiles en plein jour au sommet du Mont-Blanc, à l’œil nu ; quant à lui, il ne songea pas à le vérifier. (T. iv, in-4o, p. 199.)

L’observation des guides du célèbre voyageur genevois tendrait à prouver expérimentalement que la lumière atmosphérique est le principal obstacle à la vision des objets lumineux par eux-mêmes et situés au delà des dernières limites de l’atmosphère, car tout le monde sait que le ciel paraît beaucoup plus noir ou moins lumineux au sommet d’une montagne que dans la plaine.

Cardan se vantait de posséder le don surnaturel de voir en plein jour le ciel semé d’étoiles ; mais comme en même temps il s’attribuait les facultés de connaître l’avenir, d’entendre ce qu’on disait de lui en son absence, nous pouvons sans scrupule ranger sa première prétention parmi les rêveries dont les biographes du célèbre géomètre ont eu à recueillir une si longue liste. (Notice sur Cardan par M. Frank, insérée au Moniteur du 7 octobre 1844.)

Venons maintenant aux observations de Morin, faites avec des lunettes.

Morin aperçut des étoiles avec une lunette, après le lever du soleil, à la fin du mois de mars 1635.

La première fois, Arcturus était encore visible, vers le couchant, plus d’une demi-heure après le lever du soleil : « J’en eus une si grande joie, dit Morin, que je faillis renverser la lunette et l’instrument. »

Le lendemain, Morin vit Vénus en forme de croissant, pendant une heure et plus après le soleil levé.

Cette découverte de la possibilité de voir les astres en plein soleil transporta l’astrologue Morin d’enthousiasme. Il attribuait sa bonne fortune à une intervention surnaturelle. « Un jour, dit-il, j’examinais les satellites de Jupiter, lorsqu’un messager céleste vint à tire d’aile se présenter à moi, et me tint ce discours : — Pourquoi fatiguer inutilement tes yeux à regarder avec cet instrument la lune, le soleil et Jupiter ? Laisse ces amusements aux autres ; applique-toi à des choses plus utiles, auxquelles tu es destiné. Si tu suis ce conseil, une plus grande gloire t’est réservée, puisque tu verras en plein jour les planètes et les principales étoiles qu’aucun mortel n’a jusqu’ici pu apercevoir, si ce n’est pendant la nuit. »

La sixième section de la Science des longitudes, où ce passage se trouve, a été imprimée, suivant Fouchy, en 1635 (Mém. de l’Académie, 1787, page 391), et, suivant Delambre, en 1636 (Astron. moderne, t. ii, p. 254.).

Morin avait envoyé son ouvrage aux célébrités astronomiques de son temps, entre autres à Galilée.

Dans une lettre à Lorenzo Realio, en date de 1637, Galilée dit qu’avec ses lunettes perfectionnées on voit pendant tout le jour (si vede tutto il giorno) Jupiter, Vénus, les autres planètes et une bonne partie (buona parte) des étoiles fixes. (Galilée, tome vii de l’édition de Milan, page 312.)

En juin 1637, Galilée était atteint, à la villa d’Arcetri, d’une fluxion aux yeux qui le rendait presque aveugle. Les observations qu’il cite de planètes et d’étoiles, vues en plein jour, devaient donc être d’une date antérieure ; mais quelle est cette date ?

Les termes dont se sert Galilée sont trop absolus. La visibilité de Jupiter pendant toute la journée, surtout à l’aide d’une petite lunette grossissant trente fois seulement, dépend de la distance angulaire de la planète au soleil. Cette circonstance aurait dû, je crois, figurer dans le récit que Galilée faisait de ses observations de jour.

Au reste, en jugeant comme il est toujours indispensable de le faire, sauf de rares exceptions, les questions de priorité d’après les dates des publications, il est évident que c’est à Morin qu’il faut remonter pour trouver la première observation authentique d’une étoile vue en plein jour.

Cette observation avait été probablement oubliée même en France, car on nous apprend, dans l’histoire de l’Académie, que Picard, en 1669, le 3 mai, fut très-surpris de pouvoir observer la hauteur méridienne du cœur du Lion (Régulus) près de treize minutes avant le coucher du soleil.

Le 13 juillet de la même année, Picard observa la hauteur méridienne d’Arcturus, lorsque le soleil était encore à 17 degrés de hauteur.

Picard donne lui-même la date de 1668 à sa découverte de la visibilité des étoiles en plein jour. (Mémoire lu à l’Académie en octobre 1669.)

Dans une lettre de Picard à Hévélius, en date du 16 novembre 1674, mais dont la traduction n’a paru qu’en 1787, l’astronome français cite, comme une observation dont on n’avait pas même eu l’idée avant lui, la détermination de la hauteur de Vénus faite le 16 avril 1670, peu de temps avant midi. Picard rappelle à l’astronome de Dantzig qu’à l’aide de ses pinnules télescopiques (de ses lunettes) il observe les hauteurs méridiennes des plus belles étoiles peu de temps avant ou peu de temps après midi. (Mémoires de l’Académie des sciences, 1787, page 398.)

Dans l’ouvrage publié par Derham en 1726, intitulé : Philosophical experiments and observations of the late eminent doctor Robert Hooke, je trouve, page 257, une leçon du célèbre physicien, portant la date de février 1693, et à la page 265 de cette même leçon, le passage suivant :

« Par le secours du télescope, je découvris la parallaxe de l’orbite terrestre, et la visibilité des étoiles fixes à toutes les époques de la journée. »

Autant que j’ai pu le comprendre, Hooke faisait remonter cette découverte à l’année 1677. Elle aurait donc été de quarante-deux ans postérieure aux observations de Morin, et de huit ans plus moderne que l’annonce imprimée de la découverte de Picard, faite dans les Mémoires de l’Académie des sciences. Ainsi, de ce côté, il n’y a pas de réclamation possible. Une note de Derham, à cette occasion, n’eût certainement pas été hors de propos.

Remarquons que Hooke naquit à Freshwater, dans l’île de Wight, en 1635, l’année même où Morin vit pour la première fois les étoiles en plein jour.