Astronomie populaire (Arago)/VI/02

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GIDE et J. BAUDRY (Tome 1p. 218-223).

CHAPITRE II

formation d’un globe céleste ou d’une représentation exacte du firmament. — dénominations de fixes données aux étoiles par suite de la comparaison des sphères modernes avec celles d’hipparque. — premières conséquences auxquelles cette comparaison conduit relativement aux immenses distances des étoiles a la terre.


Proposons-nous maintenant de former une représentation exacte du ciel ; la mesure de la distance angulaire des étoiles nous conduira au but. Formons une sphère de carton, ce sera la miniature de la sphère étoilée ; prenons pour point de départ, pour point de repère, l’étoile la plus brillante du firmament, l’étoile qu’on appelle Sirius ; choisissons sur la sphère de carton un point quelconque, tout à fait arbitraire, pour être la représentation de cette étoile ; prenons une seconde étoile qui doive figurer sur la sphère, mesurons avec l’instrument dont nous faisions usage tout à l’heure (fig. 87 et 88) la distance angulaire de cette seconde étoile à Sirius, supposons que cette distance soit de 10°, prenons un arc de grand cercle de 10°, appliquons-le exactement sur la sphère de carton, de manière qu’une de ses extrémités aboutisse au point qui représente Sirius, faisons tourner cet arc autour de Sirius comme centre, son autre extrémité déterminera sur la sphère tous les points qui sont à 10° de Sirius. Ce sera sur l’un quelconque de ces points, disposés d’ailleurs en cercle, comme tout le monde peut le concevoir, que la seconde étoile devra être inévitablement placée. Sa position n’est plus entièrement arbitraire, comme l’était d’abord la place donnée à Sirius ; elle est quelque part sur le cercle dont nous venons de parler, et non ailleurs. Faisons choix d’un quelconque de ces points éloignés de Sirius de 10° pour représenter la seconde étoile ; tout est maintenant déterminé, rien n’est plus arbitraire dans notre tracé. Proposons-nous, en effet, de placer une troisième étoile dont les distances angulaires à Sirius et à la seconde étoile aient été trouvées, à l’aide de notre instrument, de 15° et de 12° par exemple. Avec un arc de 15° tournant autour de Sirius comme centre, traçons le contour du cercle sur lequel cette troisième étoile est nécessairement située. Avec un arc de 12° tournant autour de la seconde étoile comme centre, décrivons un cercle qui déterminera un des points que la troisième étoile doit indispensablement occuper. Nous avons vu que cette étoile devait déjà se trouver sur le cercle décrit de Sirius avec un arc de 15° ; le point d’intersection de ces deux cercles jouit donc seul de la propriété d’être, comme la troisième étoile, à 15° de Sirius et à 12° de la seconde étoile, sa place est donc complétement donnée par cette construction[1].

En mesurant les distances angulaires d’une quatrième étoile à deux de celles qui sont déjà placées, on aura les éléments d’une construction semblable à celle que nous venons de faire, et qui nous donnera la position de la quatrième étoile, comme nous avions trouvé celle de la troisième. On pourra faire ainsi le tour entier du ciel.

Une opération de ce genre, la mesure des distances angulaires de mille vingt-six étoiles, ayant été faite cent vingt ans avant notre ère par Hipparque de Rhodes, on peut y puiser, comme on voit, tous les éléments nécessaires pour dessiner une représentation exacte du firmament correspondante à cette époque reculée. Cette représentation, comparée à la sphère étoilée moderne, nous conduit à un résultat remarquable : les étoiles sont situées aujourd’hui, les unes relativement aux autres, comme elles l’étaient à peu près il y a environ deux mille ans ; cet espace de temps n’a apporté à leurs distances angulaires que des variations insignifiantes : de là la dénomination de fixes par laquelle les étoiles proprement dites sont désignées.

Les observations d’Hipparque avaient été faites, à Rhodes et à Alexandrie, en Égypte. Les observations que nous leur avons comparées sont de Paris, ou même, si l’on veut, de Stockholm, en Suède. L’observateur de Stockholm était plus près des étoiles boréales que l’observateur d’Alexandrie, comment expliquer l’égalité de distance angulaire ? Ne semble-t-il pas, d’après les principes les plus élémentaires de la géométrie, que l’observateur de Stockholm devait trouver une plus grande distance angulaire pour les étoiles boréales, et une moins grande distance pour les étoiles australes, que l’observateur grec. Examinons cette difficulté avec soin, et il en découlera des conséquences très-curieuses sur la distance rectiligne des étoiles à la terre.

Rigoureusement parlant, les observateurs de Stockholm et d’Alexandrie ont dû trouver des valeurs différentes en mesurant les distances angulaires des étoiles inégalement éloignées de ces deux villes. Mais ne serait-il pas possible que la différence fût au-dessous des incertitudes que les observations comportent, car, il faut bien se le rappeler, rien de ce que nous déterminons à l’aide d’instruments matériels ne s’obtient avec une précision mathématique. Examinons la question de ce point de vue.

Regardons une seconde de degré comme la dernière limite à laquelle il soit possible d’atteindre dans la mesure des angles, et supposons que l’observateur de Stockholm détermine la distance angulaire de deux étoiles boréales, et qu’il la trouve, par exemple, de 4 000″ ; admettons que cet observateur marche ensuite vers le midi jusqu’au moment où sa distance rectiligne aux étoiles observées dans la première station se sera augmentée de 1 000 lieues ; si ces 1 000 lieues sont la 4 000e partie de la distance rectiligne des étoiles à Stockholm, l’angle que les deux étoiles sous-tendront dans la seconde station sera plus petit que dans la première de  ; cet angle sera donc de 3 999″. Pour qu’en passant de Stockholm à la seconde station, l’angle n’ait pas varié de 1″, il faut que 1 000 lieues ne soient pas la 4 000e partie de la distance rectiligne des étoiles à Stockholm. Or, en faisant de point en point cette série d’opérations, on trouve la même distance angulaire sans variation d’une seconde entre les deux stations ; il est donc établi rigoureusement que la distance rectiligne des étoiles observées à Stockholm est de plus de 4 000 multiplié par 1 000, ou de 4 000 000 de lieues.

Qu’on le remarque bien, nous n’avons obtenu qu’une limite en deçà de laquelle les étoiles observées ne sont pas situées ; leurs distances réelles pourraient évidemment être des milliers ou des milliards de fois plus grandes que la limite assignée.

Nous nous sommes placés, quant à la fixation de cette limite, dans une condition très-défavorable, en prenant pour repères des étoiles séparées l’une de l’autre par un si petit nombre de secondes. Choisissons maintenant à Stockholm deux étoiles situées dans la région du nord, distantes cette fois l’une de l’autre de 40 000″, transportons-nous ensuite dans une seconde station méridionale, où nous serons plus éloignés de ces mêmes étoiles de 1 000 lieues. Si ces 1 000 lieues forment la 40 000e partie de la distance rectiligne primitive, l’angle compris entre les rayons visuels, aboutissant aux deux astres, sera plus petit dans la seconde station que dans la première de, l’angle sera de 39 999″ ; or, il est de 40 000″, sauf une petite fraction que les instruments ne permettent ni d’apprécier ni de voir ; donc la distance rectiligne de ces deux étoiles à Stockholm dépasse l’évaluation qui nous avait conduit à une diminution de distance angulaire de 1″, c’est-à-dire que 1 000 lieues sont inférieures à la 40 000e partie de la distance rectiligne des étoiles observées à Stockholm, en d’autres termes, que cette distance surpasse 40 000 fois 1 000 lieues, ou 40 000 000 de lieues.

Nous ne pousserons pas plus loin ces calculs, car nous nous étions ici proposé de montrer comment les premières notions du mouvement diurne conduisent mathématiquement à de curieux résultats sur la distance des étoiles. L’astronomie perfectionnée nous permettra d’opérer sur de bien plus grandes bases, et d’arriver à des conséquences qui étonnent l’imagination.

  1. Les deux cercles se coupent en deux points, mais il suffit de savoir en quel sens, en avant ou en arrière, la troisième étoile est située relativement aux deux autres étoiles, pour qu’il n’y ait pas d’incertitude sur celle des deux intersections qu’il faut choisir.