Astronomie populaire (Arago)/XI/14

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GIDE et J. BAUDRY (Tome 1p. 514-516).

CHAPITRE XIV

de la lumière des vraies nébuleuses


Les nébuleuses stellaires ont été regardées pendant longtemps comme de vraies nébuleuses. Il ne faut donc pas s’attendre à découvrir entre les lumières de ces deux natures de corps, des dissemblances parfaitement tranchées. Les nébuleuses composées d’une matière diffuse, continue, phosphorescente, ont cependant un aspect tout spécial, indéfinissable, dont les plus anciens observateurs à qui il fut donné d’examiner le ciel avec de bonnes lunettes, se montrèrent particulièrement frappés.

Voyez, par exemple, si Halley hésite à faire dépendre la lumière des nébuleuses d’Orion et d’Andromède (fig. 114 et 115) d’une cause toute particulière : « En réalité, dit-il, ces taches ne sont rien autre chose que la lumière venant d’un espace immense situé dans les régions de l’éther, rempli d’un milieu diffus et lumineux par lui-même[1]. »

Derham n’est pas moins explicite : la lumière des nébuleuses ne saurait être pour lui celle d’une agrégation d’étoiles. Il va même jusqu’à se demander si, comme beaucoup de savants le croyaient jadis, il n’y aurait pas au delà de la sphère des étoiles les plus éloignées, une région entièrement lumineuse, un ciel empyrée, et si les nébuleuses ne seraient pas cette région éclatante, vue à travers une ouverture, une brèche (chasm) de la sphère (probablement cristalline) du premier ciel mobile.

Voltaire fait mention de l’opinion de Derham dans un de ses ingénieux romans :

« Micromégas, dit-il, parcourt la voie lactée en peu de temps ; et je suis obligé d’avouer qu’il ne vit jamais, à travers les étoiles dont elle est semée, ce beau ciel empyrée que l’illustre vicaire Derham se vante d’avoir vu au bout de sa lunette. Ce n’est pas que je prétende que M. Derham ait mal vu, à Dieu ne plaise ! Mais Micromégas était sur les lieux ; c’est un bon observateur, et je ne veux contredire personne. »

On ne pouvait faire une critique de meilleur ton de la bizarre conception de Derham. Je m’étonne seulement que Voltaire, qui savait tout, ne se soit point rappelé que l’auteur de la Théologie astronomique n’était pas l’inventeur de l’empyrée. Anaxagore prétendait que les régions supérieures (l’éther) étaient remplies de feu. Sénèque avait dit : « Il se forme quelquefois dans le ciel des ouvertures par lesquelles on aperçoit la flamme qui en occupe le fond. » En décrivant la nébuleuse d’Orion, Huygens lui-même s’exprimait ainsi : « On dirait que la voûte céleste s’étant entrouverte dans cette partie, laisse voir par delà des régions plus lumineuses. »

Enfin, si de telles autorités, à cause de leur ancienneté, ne semblent pas établir avec assez d’évidence qu’il y a dans la lumière dont brillent les véritables nébuleuses quelque chose de caractéristique, je citerai ces paroles récentes de Sir John Herschel : « Dans toutes les nébuleuses (résolubles), l’observateur remarque (quel que soit le grossissement) des élancements stellaires, ou du moins il croit sentir qu’on les apercevrait si la vision devenait plus nette. La nébuleuse d’Orion produit une sensation toute différente, elle ne fait naître aucune idée d’étoiles. »

  1. On trouve dans le Mémoire d’où j’extrais ce passage, une remarque d’autant plus singulière qu’elle était faite par un homme qui professait l’incrédulité religieuse presque publiquement. « Ces nébuleuses, écrivait l’ami de Newton, répondent pleinement à la difficulté que diverses personnes avaient élevées contre la description de la création donnée par Moïse, en disant qu’il est impossible que la lumière ait été engendrée sans le soleil. Les nébuleuses montrent manifestement le contraire ; plusieurs n’offrent, en effet, aucune trace d’étoile à leur centre. »