Astronomie populaire (Arago)/XI/23

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GIDE et J. BAUDRY (Tome 1p. 540-542).

CHAPITRE XXIII

matière diffuse cosmique, non lumineuse par elle-même
et imparfaitement diaphane


William Herschel croyait avoir établi, à l’aide des observations que je vais citer, qu’outre la matière diffuse lumineuse par elle-même dont nous avons tant parlé, il en existe dans l’espace une autre également diffuse, mais non rayonnante et imparfaitement diaphane.

En mars 1774, le célèbre astronome aperçut au nord de la grande et belle nébuleuse d’Orion, de part et d’autre, de la célèbre étoile nébuleuse signalée par Mairan, deux autres étoiles plus petites, également entourées de nébulosités circulaires.

Dans le mois de décembre 1810, les nébulosités des deux petites étoiles s’étaient dissipées. Le 19 janvier 1811, on n’en apercevait aucune trace, même avec le télescope de 12 mètres. Quant à la nébulosité de l’étoile principale, elle n’avait éprouvé qu’un très-grand affaiblissement.

Herschel croyait que les trois nébuleuses en question n’avaient rien de réel. Quand une étoile s’aperçoit à travers un brouillard, elle paraît être au centre d’une auréole lumineuse. Cette auréole se compose d’une portion du brouillard éclairée par l’étoile. Une cause analogue produisit, suivant l’illustre astronome, les nébulosités observées en 1774, autour des trois étoiles citées ; seulement, le brouillard ordinaire était remplacé par une matière cosmique, plus voisine de nous que les trois étoiles, située cependant dans les hautes régions du firmament, et en liaison immédiate avec la grande nébuleuse d’Orion. La matière ne brillait pas d’une lumière propre, puisque à une certaine distance des étoiles, on n’en voyait aucune trace. Elle reflétait fortement vers notre œil les rayons stellaires qui la traversaient sous les incidences très-peu éloignées de la perpendiculaire ; elle manquait de cette diaphanéité extrême dont l’esprit se plaît à doter les matières gazeuses situées dans les espaces célestes ; enfin, c’est en obéissant au mouvement de concentration qu’éprouve, ainsi que nous l’avons montré précédemment (chap. xv, xvi, xvii et xix), toute la matière de la nébuleuse découverte par Huygens, qu’elle cessa, en 1810, de s’interposer exactement entre les deux petites étoiles et nous, et voilà comment le phénomène si visible en 1774 ne l’était plus du tout 36 ans après[1].

Telle est, si je l’ai bien comprise, la théorie d’Herschel. Je n’examinerai pas ici s’il n’aurait pas été plus simple d’assimiler les nébulosités circulaires des trois étoiles d’Orion, aux atmosphères lumineuses des étoiles nébuleuses ordinaires, d’attribuer ensuite l’affaiblissement de la plus grande et la disparition des deux autres, à un mouvement des atmosphères vers le centre de chaque étoile. Je ne vois rien dans les observations qui, de prime abord, puisse contrarier ce mode d’explication ; mais la plus stricte réserve est un devoir toutes les fois qu’on s’éloigne des opinions professées par l’illustre astronome de Slough.

  1. La disparition constatée d’une nébulosité stellaire serait un phénomène très-extraordinaire et très-fécond ; aussi ai-je cru devoir examiner si les annales de la science n’offriraient point quelque fait analogue aux deux qu’Herschel a cités. Ma recherche n’a pas été, ce me semble, infructueuse. Lacaille, pendant son séjour au Cap, voyait dans la constellation d’Argo (310 Bode), cinq petites étoiles au milieu d’une nébuleuse dont M. Dunlop, avec de bien meilleurs instruments, n’apercevait point de traces en 1825.