Astronomie populaire (Arago)/XII/05

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GIDE et J. BAUDRY (Tome 2p. 15-17).

CHAPITRE V

la voie lactée subsistera-t-elle éternellement sous la forme que nous lui voyons ? ne commence-t-elle pas à offrir des symptômes de dislocation, de dissolution ?


William Herschel a clairement établi, par mille et mille observations, que la blancheur de la Voie lactée provient, en majeure partie, d’agglomérations d’étoiles trop petites, trop faibles pour être distinguées séparément. La matière diffuse, mêlée en certaines proportions aux étoiles, joue ici un rôle comme dans plusieurs nébuleuses résolubles ; mais c’est un rôle évidemment secondaire.

Presque partout où des étoiles rapprochées entre elles se sont offertes à nos regards en dehors des limites apparentes de la Voie lactée, nous avons reconnu qu’elles tendent à se grouper autour de plusieurs centres ; qu’elles semblent obéir, comme les divers corps de notre système solaire, à une force attractive ; que cette force, enfin, a déjà produit, dans certains groupes arrondis, des effets, des concentrations très-considérables. Pourquoi les étoiles de la grande nébuleuse dont nous faisons partie, auraient elles échappé plus que les autres à ce genre d’action ? Si jadis elles étaient uniformément distribuées, cet état a dû se modifier et il se modifiera chaque jour davantage. Les faits confirment ces conséquences du raisonnement. Les étoiles, loin de paraître uniformément distribuées sur toute l’étendue de la Voie lactée, ont offert à Herschel, armé de ses télescopes, 157 groupes distincts, circonscrits, qui ont pris place dans le catalogue des nébuleuses, sans compter 18 groupes analogues situés sur les limites, sur les bords de cette même zone.

Celui qui, pendant une nuit obscure et bien sereine, suit de l’œil la portion de voie lactée comprise entre le Sagittaire et Persée, y remarque 18 régions parfaitement caractérisées par l’éclat spécial de leur lumière.

J’en désignerai ici quelques-unes :

Il existe une tache très-brillante sous la flèche du Sagittaire ;

Il y en a une très-brillante dans l’Écu de Sobieski ;

On en voit une brillante au nord et un peu à l’occident des trois étoiles de l’Aigle ;

On en aperçoit une faible et longue qui suit l’épaule d’Ophiuchus ;

On en remarque trois brillantes près des étoiles α, β et γ du Cygne ;

On en distingue trois vers Cassiopée et dans cette constellation ; Il y en a une très-brillante dans la garde de l’épée de Persée ;

Entre α et γ de Cassiopée, il existe une place très obscure.

Aucune portion de la voie lactée résoluble au télescope, n’a offert à Herschel des indices plus manifestes, et sur une plus grande échelle, du mouvement de concentration des étoiles, que l’espace qui sépare β et γ du Cygne. En jaugeant cet espace, suivant la méthode déjà décrite, sur une largeur d’environ 5°, Herschel a reconnu qu’on pourrait y compter 331 000 étoiles. Cet immense groupe offre déjà une sorte de division : 165 000 étoiles paraissent marcher d’un côté, et 165 000 de l’autre.

Tout justifie donc l’opinion de l’illustre astronome. Dans la suite des siècles, le pouvoir de concentration (the clustering power), amènera inévitablement le fractionnement, la rupture, la dislocation de la Voie lactée.