Astronomie populaire (Arago)/XIV/08

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GIDE et J. BAUDRY (Tome 2p. 106-111).

CHAPITRE VIII

quels ont été les premiers observateurs des taches
solaires ?


La découverte des taches solaires a renversé de fond en comble un des principes fondamentaux de l’astronomie péripatéticienne, savoir le principe de l’incorruptibilité des cieux. Je pense donc qu’on sera désireux de connaître le premier astronome qui a constaté, par des observations non équivoques, l’existence de ces taches. D’après une opinion généralement convenue, surtout en Italie, cet astronome serait Galilée ; mais je crois que c’est là une erreur. Je donne, avec grand détail, tous les arguments qui me paraissent contraires aux prétentions des admirateurs passionnés de l’illustre philosophe de Florence dans la Notice que je consacre ailleurs à Galilée[1].

Ce qui va suivre n’est qu’un très-court abrégé de ce travail.

Kepler donnait aux premières observations de taches une date fort ancienne, en se fondant sur deux vers de Virgile. Dans le premier vers, le poëte dit[2] :

Ille ubi nascentem maculis variaverit ortum.
Quand le Soleil levant se montrera parsemé de taches.

Veut-on, ajoutait Kepler, ne voir dans ces paroles qu’une allusion à des nuages, j’opposerai à l’interprétation cet autre vers :

Sin maculæ incipient rutilo immiscerier igni.
Si aux taches vient se joindre la couleur de feu.

Dans les Annales de la Chine du Père Mailla, on lit qu’en l’an 321 de notre ère il y avait sur le Soleil des taches qui s’apercevaient à la simple vue.

En arrivant au Pérou les Espagnols reconnurent, suivant Joseph Acosta, que les Naturels avaient remarqué les taches solaires avant que leur existence eût été constatée en Europe.

Plusieurs historiens de Charlemagne rapportent qu’en l’année 807 une forte tache noire se montra sur le Soleil pendant huit jours consécutifs. On supposa que cette tache était Mercure, sans réfléchir que d’après les mouvements connus de cette planète, il était complétement impossible qu’elle se projetât huit jours de suite sur le Soleil.

Ce n’est pas de la durée mais de la grandeur apparente que nous argumenterons pour prouver que de prétendues observations de passages de Mercure sur le Soleil, faites par Averrhoès, par Scaliger, par Kepler lui-même, le 28 mai 1607, n’étaient autre chose que des observations de taches solaires. Mercure, dans sa conjonction inférieure, Mercure, quand il se projette sur le Soleil, ne sous-tend guère qu’un angle de 12 secondes ; or, un objet rond de 12″, se projetât-il sur le Soleil, n’est pas visible à l’œil nu. En 1761, c’est tout ce qu’on pouvait faire d’entrevoir ainsi le disque obscur de Vénus avec son diamètre de 58″. Encore, faut-il ajouter, plusieurs astronomes restèrent persuadés que les contemplateurs sans lunettes de la grosse planète avaient plus fait usage de leur imagination que de leurs yeux. Ils se fondaient particulièrement sur les inutiles tentatives de Gassendi pour apercevoir sans télescope, entre autres fois le 10 septembre 1621, une tache dont le diamètre mesuré au micromètre était de une minute et un tiers.

Les contemporains de Charlemagne, Averrhoès, Scaliger, Kepler, virent des taches solaires sans s’en douter. Ils n’ont donc aucun droit à la découverte de ce phénomène. En prenant à la lettre les assertions du père Mailla et de Joseph Acosta, les titres des Chinois et des Péruviens seraient de meilleur aloi. Au surplus, s’il est vrai que parmi ces peuples quelques individus doués d’une vue privilégiée ou mettant à profit des circonstances atmosphériques assez rares, vinrent à bout de regarder le Soleil sans être éblouis, et d’y apercevoir les taches, on peut affirmer qu’ils n’en tirèrent aucune conséquence utile.

Parmi les modernes la découverte des taches du Soleil a donné lieu à un débat ardent et confus. Si ce débat n’a pas conduit à des conséquences décisives et admises généralement, c’est qu’on n’est jamais parti d’une base commune et solide ; c’est qu’au lieu de combattre pour les droits imprescriptibles de la vérité, chacun a cherché, plus ou moins, à faire prévaloir les intérêts d’amour propre de tel ou tel pays. Il n’y a qu’une manière rationnelle et juste d’écrire l’histoire des sciences : c’est de s’appuyer exclusivement, comme je vais le faire, sur des publications ayant date certaine ; hors de là tout est confusion et obscurité.

Le premier ouvrage ou Mémoire imprimé que l’on connaisse sur les taches du Soleil, est intitulé : Joh. Fabricii Phrysii, de Maculis in Sole observatis et apparente earum cum Sole conversione Narratio, et Dubitatio de modo eductionis specierum visibilium. Wittebergœ, 1611, in-4o. L’épître dédicatoire porte la date du 13 juin 1611.

Les lettres pseudonymes de Scheiner, les lettres du prétendu Apelle à Velser, un des magistrats d’Augsbourg, n’ont été imprimées qu’en janvier 1612.

La première publication de Galilée sur les taches solaires, Epislola ad Velserum de maculis solaribus, est de 1612 ; l’ouvrage intitulé : Storia e dimostrazioni intorno alle macchie solari et loro accidenti ; Roma ; est du 13 janvier 1613.

Par les dates des publications, c’est donc à Jean Fabricius que revient incontestablement l’honneur de la découverte des taches noires du Soleil.

Si c’est à tort qu’on a attribué à Galilée l’honneur d’avoir découvert les taches noires solaires, on doit reconnaître que ce grand philosophe est le premier qui signala l’existence des facules et qui ait tiré parti de ces phénomènes de lumière pour prouver, contre les explications des derniers péripatéticiens, que les apparitions des taches noires n’étaient pas le résultat du passage, sur le disque du Soleil, de certains satellites obscurs qui auraient circulé autour de cet astre.

La zone, dont le noyau des grandes taches paraît toujours entouré, cette zone, notablement plus lumineuse que le noyau, notablement moins brillante que le reste du Soleil, qu’on appelle la pénombre, a été découverte par Scheiner.

C’est aussi au jésuite d’Ingolstadt qu’on doit d’avoir remarqué que le Soleil est couvert d’un pôle à l’autre, soit de points lumineux et obscurs très-petits, soit de rides vives et sombres, extrêmement déliées, entrecroisées sous toutes sortes de directions ; ces taches, qu’il nomma des lucules, font que la surface de l’astre paraît pointillée.

Les observations du Père jésuite, longtemps suivies avec le plus grand soin, montrèrent que les taches proprement dites ne se forment que dans une zone étroite au nord et au midi de l’équateur solaire. Cette zone, Scheiner l’appelle la zone royale.

Les taches noires sont parfaitement terminées ; cette observation de Scheiner n’a pas été contredite.

D’après Herschel, avant l’apparition d’un grand noyau noir, on aperçoit ordinairement, à la place où il va se former, un très-petit point noir (un pore) qui s’élargit peu à peu, et non pas plusieurs points à la fois. On dirait, ajoute l’illustre observateur, que la matière lumineuse solaire est graduellement écartée dans tous les sens par un courant ascendant dirigé vers ce premier point noir, germe de la tache.

Herschel affirmait que les noyaux paraissaient plus noirs près des bords du Soleil que dans le voisinage du centre. Après avoir scrupuleusement interrogé mes souvenirs, j’oserai mettre en question l’exactitude de cette opinion. Les noyaux voisins semblent avoir une certaine tendance à se réunir ; ils grandissent ordinairement jusqu’au moment où leur réunion s’est opérée.

  1. Voir tome IIIe des Œuvres et des Notices biographiques.
  2. Géorgiques, liv. i, vers 432 et 454.