Astronomie populaire (Arago)/XIX/09

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GIDE et J. BAUDRY (Tome 2p. 531-534).

CHAPITRE IX

visibilité de vénus en plein jour


Vénus est quelquefois si resplendissante qu’on la voit à l’œil nu, en plein jour. Le public ignorant rattache ces apparitions aux événements contemporains. Leur reproduction tient cependant à des causes physiques évidentes qui peuvent être soumises au calcul. On a trouvé ainsi que le maximum de visibilité de la planète pour un observateur qui n’ajoute par aucun instrument à la puissance de sa vue, ne doit pas avoir lieu à ses plus grandes digressions, quoi qu’à ces deux époques Vénus soit à une distance angulaire considérable du Soleil, et qu’elle ne corresponde pas aux régions de l’atmosphère que la lumière de cet astre radieux éclaire si fortement. Le calcul, d’accord en cela avec l’observation, a montré que la plus grande visibilité de Vénus, à l’œil nu, correspond aux moments où elle est éloignée de 40° du Soleil, à l’orient ou à l’occident, 69 jours avant ou après sa conjonction inférieure. Son diamètre apparent est alors de 40″ et la largeur de sa partie éclairée est à peine de 10″ (fig. 226). Vénus n’a dans ces deux positions que le quart de son disque illuminé. Ce quart nous envoie plus de lumière que des phases visibles plus étendues, parce que celles-ci arrivent à de plus grandes distances de la Terre.

Fig. 226. — Croissants de Vénus dans son plus grand éclat.

Ces phénomènes de visibilité de Vénus doivent se reproduire à l’orient ou à l’occident du Soleil, tous les 29 mois environ ; ceux de plus grande visibilité possible reviennent tous les 8 ans. Les anciens avaient déjà remarqué qu’à nuit close, et sans lune, la lumière de Vénus produit parfois des ombres sensibles.

L’observation de Vénus en plein jour et à l’œil nu n’est pas aussi moderne qu’on le suppose généralement. Varron rapporte, en effet, « qu’Énée dans son voyage de Troie en Italie, apercevait constamment cette planète, malgré la présence du Soleil au-dessus de l’horizon. »

Remarquons, sans donner une importance exagérée à cette citation, que Varron disait, au témoignage de saint Augustin, dans un de ses ouvrages actuellement perdu, qu’à une époque déjà éloignée de son temps, Vénus avait changé d’intensité et de couleur.

En 1716, le peuple de Londres ayant regardé comme un prodige la visibilité de Vénus en plein jour, Halley en prit occasion de calculer dans laquelle de ses positions la planète peut être le plus facilement aperçue ; Nous avons donné tout à l’heure les résultats de ces calculs.

Lalande rappelle qu’en 1750, l’apparition de la planète en plein midi avait jeté tout Paris dans l’étonnement.

Bouvard m’a raconté que le général Bonaparte, se rendant au Luxembourg, où le Directoire devait lui donner une fête, fut très-surpris en voyant la foule réunie dans la rue de Tournon prêter plus d’attention à la portion du ciel placée au-dessus du palais, qu’à sa personne et au brillant état-major qui l’accompagnait. Il questionna et apprit que les curieux voyaient avec étonnement, quoique ce fût en plein midi, une étoile qu’ils prenaient pour celle du vainqueur de l’Italie, allusion à laquelle l’illustre général ne sembla pas indifférent lorsque lui-même de ses yeux perçants eut remarqué l’astre radieux. L’étoile en question n’était rien autre chose que Vénus.

Faisons ici une remarque essentielle. Les calculs à l’aide desquels on a déterminé la plus grande visibilité de Vénus, ne sont relatifs qu’aux observations à l’œil nu et font abstraction de l’affaiblissement d’éclat que l’atmosphère présente à mesure qu’on s’éloigne du Soleil.

Les anciens avaient déjà remarqué que dans une nuit sans Lune, Vénus jette une ombre sensible derrière les corps opaques. Cette observation, faite avec tous les soins convenables, en plein air, dans un lieu d’où l’on apercevrait la totalité de l’hémisphère situé au-dessus de l’horizon, c’est-à-dire la moitié des étoiles du firmament, pourrait conduire à des conséquences photométriques très curieuses, surtout si l’on se servait des procédés actuellement connus, propres à affaiblir dans des proportions données la lumière de la planète.

J’ajouterai ici que la quantité de lumière et de chaleur envoyée par le Soleil étant 1 à la surface de la Terre, se trouve être de 1,91 à la surface de Vénus.