Astronomie populaire (Arago)/XVII/21

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GIDE et J. BAUDRY (Tome 2p. 375-385).

CHAPITRE XXI

aspect et nature physique des noyaux des comètes


La question de savoir si les noyaux des comètes sont opaques ou diaphanes, s’ils doivent être considérés comme des corps solides ou comme de simples amas de vapeurs, est très-importante ; sa solution décidera jusqu’à un certain point du rôle qu’il sera permis de faire jouer aux comètes dans les révolutions du monde physique : on me pardonnera donc les minutieux détails que je vais donner.

Toutes les comètes, en vertu de leurs mouvements propres, traversent successivement différentes constellations. La région dans laquelle ces mouvements s’effectuent est beaucoup plus près de nous que les étoiles ; or, quand le noyau d’une comète vient à s’interposer entre une étoile et l’observateur, on peut mieux juger de sa constitution intime que dans toute autre position. Malheureusement ces conjonctions exactes sont extrêmement rares, et cela par la raison très-simple que les zones du firmament les plus riches en étoiles renferment elles-mêmes plus de vide que de plein. Certaines comètes, comme on peut le voir d’après les distances périhélies que nous avons données dans le catalogue qui contient les éléments des comètes calculées, passent aussi entre la Terre et le Soleil, la Lune ou les planètes. Il peut y avoir dans ces occultations, dans ces sortes d’éclipses, des occasions précieuses pour résoudre plusieurs questions d’astronomie cométaire.

§ 1. Noyaux opaques.

Je réunirai, d’abord, les observations anciennes et modernes qui tendent à faire croire à l’opacité du noyau de quelques comètes.

Hérodote raconte qu’une éclipse totale de Soleil eut lieu 480 ans avant notre ère, au commencement du printemps, pendant que l’armée de Xerxès traversait l’Asie Mineure. Dion parle d’une autre éclipse totale qui précéda de quelques jours la mort d’Auguste. D’après les meilleures tables astronomiques, ces éclipses n’ont pas pu être occasionnées par l’interposition de la Lune. On les a donc attribuées au passage de deux comètes sur le disque solaire. Cette explication, quant à l’éclipse d’Hérodote, a paru s’accorder avec ce que rapportait Charimander dans son Histoire, actuellement perdue, des comètes ; car cet auteur, d’après le témoignage de Pline, assurait qu’une comète, dont la tête resta toujours engagée dans les rayons solaires, jetait sur le firmament une longue queue, qui, vers le milieu de l’année 480, fut observée plusieurs jours de suite par Anaxagore. L’éclipse mentionnée par Dion ne serait possible qu’en l’attribuant à la comète qui, au rapport de Sénèque, témoin oculaire, parut l’année de la mort d’Auguste. Je n’ai sans doute pas besoin d’avertir qu’aucun astronome ne se croirait aujourd’hui autorisé à conclure des vagues rapprochements qu’on vient de lire, qu’il a existé anciennement des noyaux de comète assez grands et assez opaques pour nous dérober complétement la lumière solaire.

Nous manquerions également de données positives pour rechercher si l’éclipse surnaturelle de Soleil, arrivée le jour de la mort de Jésus-Christ, fut occasionnée par une comète ; je dis une éclipse surnaturelle, car la Lune était alors dans son plein, et éclairait une région du ciel diamétralement opposée à celle où elle doit se trouver, pour qu’elle puisse s’interposer entre le Soleil et la Terre.

Les historiens rapportent que le ler mai 1184, vers la sixième heure du jour, la partie inférieure du Soleil fut totalement obscurcie ; tout le reste du disque était pâle ; on voyait au milieu comme une poutre qui le traversait. Pour expliquer ce phénomène, on a supposé qu’une comète s’était placée entre le Soleil et la Terre.

Toutes les cométographies rapportent, d’après Georges Phranza, grand maître de la garde-robe des empereurs de Constantinople, que, durant l’été de l’année 1454, une comète s’avança graduellement vers la Lune et l’éclipsa. Ce serait là une preuve d’opacité d’un noyau de comète tellement évidente, que je ne manquerais pas de la citer ici, s’il n’avait été établi par la publication de la chronique originale, que la version latine du jésuite bavarois Pontanus, sur laquelle les cométographes s’étaient appuyés, renfermaient un contre-sens. Voici le vrai passage traduit mot à mot : « Chaque soir, aussitôt après le coucher du Soleil, on voyait une comète semblable à un sabre droit, et s’approchant de la Lune. La nuit de la pleine Lune étant venue, et alors une éclipse ayant eu lieu par hasard, suivant la marche réglée et l’orbite circulaire des flambeaux célestes, comme de coutume ; quelques-uns voyant les ténèbres de l’éclipse, et regardant la comète en forme d’épée longue qui s’élevait de l’occident, faisait route vers l’orient et s’approchait de la Lune, pensèrent que cette comète en forme d’épée longue désignait ainsi, eu égard à l’obscurcissement de la Lune, que les chrétiens habitants d’Occident viendraient à s’accorder pour marcher contre les Turcs, et qu’ils remporteraient la victoire ; mais les Turcs considérant, eux aussi, ces choses, tombèrent dans une crainte non petite, et firent de grands raisonnements. » Il est évident que Phranza n’a pas dit un seul mot d’une éclipse de Lune produite par une comète.

Voyons si nous trouvons quelque chose de plus précis dans les observateurs modernes sur cette même question de l’opacité des noyaux des comètes.

Lorsque Messier aperçut pour la première fois la petite comète de 1774 (n° 89 de notre catalogue), il y avait assez près du noyau de cet astre, une seule étoile télescopique. Quelques heures après, une seconde étoile se montra, dans le voisinage de la première ; cette seconde étoile ne le cédait pas à l’autre en intensité. Pour expliquer comment Messier ne la vit pas d’abord, une seule hypothèse semble possible, il faut admettre avec cet académicien qu’elle se trouvait alors cachée derrière le corps opaque de la comète ; on pourrait, à la rigueur, supposer que la lumière de l’étoile était effacée par la lumière du noyau[1].

Le 28 novembre 1828, à 10 heures 1/2 du soir, la comète à courte période, la comète d’Encke, celle qui revient à son périhélie tous les 3 ans 1/3, se projetait, pour un observateur situé à Genève (M. Wartmann), sur une étoile de 8e grandeur, qui fut complétement éclipsée. Je ne dois pas oublier de faire remarquer que M. Wartmann se servait d’une lunette trop petite et d’un trop faible grossissement pour que son observation puisse lever tous les doutes.

§ 2. Noyaux diaphanes.

Passons maintenant aux observations dans lesquelles nous verrons le noyau se comporter comme un corps diaphane.

Le 23 octobre 1774, Montaigne vit à Limoges une étoile de 6e grandeur du Verseau, au travers du noyau d’une petite comète.

Montaigne ne dit pas si l’observation correspondit au milieu du noyau, circonstance qui, à vrai dire, ne serait d’aucune importance, puisque rien ne démontre que le noyau solide, s’il existe, doit occuper la région centrale du noyau lumineux.

Le 9 novembre 1795, la comète à courte période, vue de Slough, près de Windsor, se projetait sur une étoile qui paraissait être de 11e ou de 12e grandeur. Avec un fort grossissement on reconnut que cette étoile est double, qu’elle se compose de deux étoiles distinctes, et que l’une d’elles est beaucoup plus faible que sa voisine. Eh bien, cette étoile si petite, qui n’est peut-être que de 20e grandeur, Herschel l’aperçut parfaitement à travers la partie centrale de la nébulosité de la comète.

Le 1er avril 1796, Olbers vit une étoile de 6e ou de 7e grandeur, quoiqu’elle fût couverte par une comète, et sans que sa lumière en parût affaiblie. Ajoutons que le célèbre astronome a protesté lui-même contre la conséquence qu’on a voulu tirer de son observation quant à la diaphanéité du noyau. D’après ses conjectures, l’étoile était située un peu au nord du centre de la nébulosité, et si le noyau disparut quelque temps, c’est seulement à cause du voisinage de la lumière plus forte de l’étoile fixe.

Le 29 octobre 1821, M. Struve vit une étoile de 10e grandeur à moins de deux secondes de distance du centre d’une comète, sans que la lumière de cette étoile en parût le moins du monde affaiblie.

Voici un renseignement que je trouve dans une lettre de M. Pons. Le 21 août 1825, le centre de la comète de la constellation du Taureau (n° 145 du catalogue) découverte le 15 août, se projetait sur une étoile de 5e grandeur, M. Pons ne s’aperçut pas que la lumière de l’étoile en fût affaiblie.

En 1825, M. Valz a vu une étoile de 7e grandeur traverser le centre du noyau de la belle comète du Taureau sans disparaître. L’étoile s’affaiblit légèrement, et la partie lumineuse de la comète diminua tellement qu’elle était à peine visible.

Le 7 novembre 1828, M. Struve vit, à l’aide de sa grande lunette, la comète à courte période avec un noyau assez volumineux, mais bientôt il reconnut que ce prétendu noyau n’était autre chose qu’une étoile de 11e grandeur, sur laquelle le centre de la comète se projetait.

§ 3. Comète de 1819.

Venons maintenant aux observations de la comète de 1819 (n° 133 du catalogue), et voyons si elles sont aussi démonstratives qu’on l’a prétendu pour établir la diaphanéité du noyau.

Cette comète se montra subitement dans le nord, avec tout son éclat (fig. 197) vers le commencement de juillet. Après en avoir calculé l’orbite, Olbers reconnut qu’avant son apparition, dans la matinée du 26 du mois précédent, elle était interposée entre la Terre et le Soleil, et qu’elle dut se projeter sur le disque de cet astre depuis 5h 39m jusqu’à 9h 18m. Il invita donc les astronomes qui, dans cet intervalle de près de trois heures, auraient accidentellement examiné le Soleil, à publier leurs remarques. Aucun des observatoires de l’Europe ne se trouva en mesure de répondre. Un simple amateur, le général Lindener, gouverneur de Glatz, écrivit qu’il avait observé le Soleil à 5, 6 et à 7h du matin, sans y apercevoir aucune tache. A 5, 6 et à 7h, la comète devait cependant occasionner une éclipse partielle de Soleil. Il semble donc, ou qu’elle était complétement diaphane, ou que si elle renfermait un noyau opaque, ce noyau ne pouvait avoir que des dimensions excessivement petites.

Ces conséquences, en apparence inévitables, ont perdu toute leur certitude, quand il a été établi parle témoignage de plusieurs astronomes exercés, que le même jour, 26 juin, où M. Lindener ne découvrit aucune tache sur le Soleil, il en existait plusieurs assez visibles.

L’observation du général prussien n’établit donc, en aucune façon, que la comète de 1819 fût transparente dans tous ses points ; elle prouve seulement ou que M. le gouverneur de Glatz employait de trop faibles télescopes, on que ses 77 ans avaient notablement affaibli sa vue.

En 1825 (cette date est bien tardive après les pressantes invitations d’Olbers), M. Pastorff annonça que le 26 juin 1819, à 8h 26m du matin, il aperçut sur le Soleil une tache nébuleuse de 84″,5 de diamètre, parfaitement ronde et ayant dans son centre un point lumineux : il croit que cette tache était la comète. De l’observation de M. Pastorff résulterait d’abord la conséquence que la nébulosité de cet astre avait très-peu de diaphanéité. Pour expliquer le point central lumineux, il faudrait supposer ensuite, ou que le noyau était notablement plus transparent que la nébulosité, ou s’il était opaque, qu’il brillait d’une lumière propre plus intense que celle du Soleil transmise au travers des autres parties de la comète. Est-il nécessaire de dire que l’une et l’autre de ces conséquences sont de tout point inadmissibles.

§ 4. Changements brusques dans la constitution des noyaux.

De l’ensemble des remarques faites depuis qu’on applique les lunettes à l’observation des comètes, nous pouvons déduire, je crois, sans hésiter, que le noyau considéré en masse est diaphane, et que s’il existe dans ce noyau une partie solide et opaque, elle a des dimensions excessivement petites ; mais toutes les comètes sont-elles façonnées sur un modèle uniforme ? C’est ce dont il est permis de douter.

Il existe des comètes sans noyau apparent qui, dans toute leur étendue, ont presque le même éclat, qui ne sont, sans aucun doute, que de simples agglomérations d’une matière gazeuse. Un second degré de concentration de ces vapeurs, a pu donner naissance, dans le centre de la nébulosité, à un noyau, remarquable, par la vivacité de sa lumière, mais qui, étant encore liquide, jouissait d’une grande diaphanéité. À une époque plus avancée, le liquide, suffisamment refroidi, se sera enveloppé d’une croûte solide, et, dès ce moment, toute transparence du noyau aura dû cesser. Alors son interposition entre l’observateur et une étoile doit produire une éclipse tout aussi réelle, tout aussi complète que celles qui résultent journellement des déplacements de la Lune et des planètes. Or, rien, rien absolument ne prouve qu’il n’existe pas des comètes de cette troisième espèce ou à noyau solide. La grande variété d’aspect et d’éclat que ces astres ont présentée peut légitimer, à cet égard, toutes les suppositions qu’on jugera convenable de faire.

Ces conséquences sur la constitution physique de la majeure partie des noyaux des comètes sont confirmées par les observations qu’on a faites du noyau de la comète de Halley, pendant son apparition de 1835. Ainsi, je trouve dans le Mémoire de Bessel, la remarque ci-après : « Le 14 octobre, l’éclat du noyau avait diminué ; avec un grossissement de 90 fois, il perdait l’apparence d’un corps solide. »

J’extrairai du journal que je tenais à l’Observatoire, les remarques suivantes, plus caractéristiques encore : « Le 23 octobre, la comète avait tellement changé d’aspect ; le noyau, jusqu’à cette époque si brillant, si net, si bien défini, était devenu tellement large, tellement diffus, qu’on ne croyait à la réalité d’une variation aussi subite, qu’après s’être assuré qu’aucune humidité ne couvrait ni l’oculaire ni l’objectif des lunettes employées dans les observations. »

« Le 26 août 1682, dit La Hire, le noyau de la comète de Halley ressemblait à une étoile de seconde grandeur. Le 11 septembre, à peine pouvait-on le distinguer, tant la comète était diffuse. »

§ 5. Dimensions des noyaux.

Les noyaux sont généralement mal terminés. Les diamètres du noyau de la comète de 1744 (n° 70 du catalogue) ne semblèrent pas égaux. Heinsius donne pour le rapport du plus grand diamètre placé dans la direction du Soleil au plus petit qui lui était perpendiculaire, celui de 3 à 2.

« Dans les 16 comètes télescopiques que j’ai observées, disait William Herschel, en 1807, deux seules offraient une lumière centrale, mais elles étaient mal terminées. »

Les noyaux n’occupent pas généralement le centre de la nébulosité circulaire, ils sont situés entre ce centre et le bord de la nébulosité le plus voisin du Soleil. Il n’est pas rare de voir le noyau séparé de la nébulosité par un anneau obscur qui l’entoure complétement.

En terminant ce long chapitre, je ferai connaître les diamètres réels de plusieurs noyaux.

Comète de 1798 (n° 112 du catalogue) 
 11
lieues.
Comète de décembre 1805 (2e apparition de la comète de Gambart) 
 12
Comète de 1799 (n° 114 du catalogue) 
 154
Grande comète de 1811 (n° 124 du catalogue) 
 171
Comète de 1807 (n° 120 du catalogue) 
 222
Seconde comète de 1811 (n° 125 du catalogue) 
 1 089
Comète de 1819 (n° 133 du catalogue) 
 1 312
Première comète de 1847 (n° 179 du catalogue) 
 1 400
Première comète de 1780 (n° 91 du catalogue) 
 1 708
Grande comète de 1843 (n° 164 du catalogue) 
 2 000
Grande comète de 1825 (n° 145 du catalogue) 
 2 040
Comète de 1815 (n° 129 du catalogue) 
 2 120
Troisième comète de 1845 (n° 171 du catalogue) 
 3 200

Figs. 187 à 191. — Aspects de la comète de Halley du 28 oct. 1835 au 27 janv. 1836.

Fig. 192 à 198. — Aspects de la comète de Halley du 28 janv. 1836 au 3 mai 1836, comète de 1819, comète de 1769.

Fig. 199 à 206. — Aspects de la comète d’Encke du 10 au 13 nov. 1838, aigrette de la comète de Halley du 7 au 15 oct. 1835.

Fig. 207 à 212. — Aigrette de la comète de Halley du 21 au 26 oct. 1835, la comète de Gambart en deux parties les 19 et 21 fev. 1846.

  1. Cette observation serait beaucoup plus démonstrative si l’étoile éclipsée avait été vue avant son immersion supposée ; si l’on pouvait croire que l’astronome, prévenu de son existence, chercha à la découvrir ; s’il n’était pas possible d’admettre qu’elle lui échappa par inattention.