Astronomie populaire (Arago)/XX/04

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GIDE et J. BAUDRY (Tome 3p. 18-24).

CHAPITRE IV

théorie du mouvement de rotation de la terre


Nous avons vu (liv. xvi, chap. vii) que la complication des mouvements apparents des planètes ne peut disparaître qu’en rejetant l’hypothèse de l’immobilité de la Terre au centre de l’univers, qu’en admettant que notre globe parcourt en un an une ellipse dont l’un des foyers est occupé par le Soleil. Cependant nous avons décrit les phénomènes que présente la voûte étoilée en regardant la Terre comme immobile (liv. vi, chap. i). Il y a donc lieu d’examiner maintenant les explications qu’on peut donner du mouvement diurne, c’est-à-dire de ce mouvement qui entraîne chaque jour tous les astres de l’orient à l’occident, dans l’hypothèse que la Terre serait mobile et devrait être rangée au nombre des planètes.

L’horizon d’un lieu déterminé, celui de Paris, par exemple, est, abstraction faite de quelques inégalités du terrain, un plan perpendiculaire à la verticale du lieu. Tous les objets situés au-dessus de ce plan sont visibles, ceux qui momentanément sont placés au-dessous ne se voient pas.

Le plan méridien est, comme on sait, un plan perpendiculaire à l’horizon, orienté de manière à passer par le pôle. Si on suppose la Terre immobile, on est oblige d’admettre que l’horizon est immobile aussi, et de douer au contraire le firmament d’un mouvement de révolution très-rapide et dirigé de l’orient à l’occident. Le moment du lever d’un astre est alors celui où il vient se placer, par l’effet du mouvement de révolution de la sphère étoilée, dans la direction de l’horizon. Lorsque ce mouvement continué amène l’astre dans le plan vertical orienté dont nous parlions tout à l’heure, on dit qu’il passe au méridien. Le même mouvement, toujours continué dans le même sens, conduit l’astre qu’on observe à la limite occidentale de l’horizon. Au point du coucher, il disparaît et devient invisible jusqu’au moment où il atteint de nouveau l’horizon vers l’orient.

Supposons que la Terre soit mobile, et qu’elle tourne sur son centre, de l’occident à l’orient, autour d’un axe parallèle à ce que nous avons appelé l’axe du monde (liv. vi, chap. iii}). Tous les horizons, et entre autres celui de Paris, se mouvront dans la même direction. Un astre se lèvera lorsque l’horizon mobile, par l’effet de son mouvement de rotation, viendra se placer dans sa direction ; il sera au méridien quand ce plan qui tourne sans cesse avec l’horizon, puisqu’il lui est perpendiculaire, viendra se placer dans la direction de l’astre. Le coucher aura lieu à l’époque où la partie occidentale de l’horizon, ou son prolongement, passera par le même centre. Les levers, le passage au méridien et les couchers s’expliquent donc également bien dans les deux hypothèses.

Cherchons quelle est la théorie la plus simple, la plus conforme à la saine logique, et quelles objections on peut lui opposer ; examinons des objections qui ont été faites contre le mouvement de rotation de la Terre. Voyons d’abord si la vitesse de sa rotation est inadmissible à cause de sa rapidité, comme on l’a prétendu.

Le rayon moyen de la Terre est de 1 432 lieues anciennes de France (chap. ii) ; la circonférence de l’équateur renferme donc, en nombres ronds, 9 000 de ces lieues. En admettant le mouvement de rotation de la Terre, un point situé sur l’équateur parcourt environ un dixième de lieue par seconde autour de l’axe de rotation. Cette vitesse est considérable, sans doute, mais si la Terre ne se meut pas, la sphère étoilée se meut, il n’y a pas d’autre alternative.

Cherchons quelles vitesses le mouvement diurne de la sphère étoilée nous forcerait d’admettre pour les différents corps distribués dans l’univers.

La distance du Soleil à la Terre est 23 000 fois environ le rayon moyen de la Terre. Les circonférences sont entre elles comme leurs rayons. Ainsi, dans l’hypothèse de l’immobilité de la Terre, le Soleil décrirait une circonférence 23 000 fois plus grande que les points de l’équateur, ce qui correspondrait à une vitesse de 2 300 lieues par seconde.

Jupiter est cinq fois environ plus loin de la Terre que le Soleil ; il se mouvrait par conséquent avec une vitesse cinq fois plus grande ou de 11 500 lieues par seconde.

On trouvera par un calcul analogue que la vitesse de Saturne serait de 22 000 lieues par seconde.

Quant aux étoiles beaucoup plus éloignées que Saturne, leurs vitesses seraient proportionnellement beaucoup plus considérables que les nombres qui précèdent. Par exemple, l’étoile la plus rapprochée de nous, α du Centaure (liv. ix, chap. xxxii), ne parcourrait pas moins de 520 millions des mêmes lieues par seconde.

Ainsi, ceux qui refuseraient d’admettre le mouvement de rotation de la Terre, parce qu’ils regarderaient comme excessive une vitesse de 1/10e de lieue par seconde dont seraient animés les points de l’équateur, se trouveraient inévitablement conduits par des calculs arithmétiques irréfutables, à reconnaître dans le Soleil, 1 400 000 fois plus grand que notre globe, dans Jupiter et dans Saturne, d’un volume 1 400 et 700 fois supérieurs à celui de la Terre, des vitesses de 2 300, 11 500 et 22 000 lieues par seconde.

Je ne fais cette remarque que pour montrer à quel point s’abusaient ceux qui prétendaient trouver une objection contre le système du mouvement de la Terre dans la vitesse de rotation dont les points matériels de l’équateur devaient être animés. Il est rare, en effet, que des considérations de grand et de petit puissent conduire, dans l’étude de la nature, à des conclusions certaines et définitives. Passons donc à d’autres objections.

Des observations certaines ont appris depuis longtemps que Jupiter et Saturne, dont les volumes, comme nous venons de le dire et comme nous le verrons plus tard, surpassent plusieurs centaines de fois celui de notre globe, exécutent une révolution entière sur eux-mêmes dans l’espace d’environ dix heures. Ces révolutions s’effectuent d’ailleurs dans la direction de celle qu’il faut attribuer à la Terre pour expliquer le mouvement diurne de l’occident à l’orient. Ainsi, la simplicité et l’analogie sont en faveur du mouvement de rotation de la Terre.

Parmi les difficultés qu’on a présentées contre l’existence de ce mouvement, celle qui pendant longtemps a joui de plus de faveur, peut être formulée ainsi : La Terre parcourant 1/10e de lieue par seconde, de l’occident à l’orient, une lieue entière par 10 secondes, si l’on s’élevait dans l’air pendant 10 secondes, on tomberait après ce court laps de temps dans un lieu plus occidental que le point de départ d’une lieue entière. Celui qui trouverait le moyen de se soutenir immobile dans l’atmosphère pendant le court intervalle d’une demi-minute ou 30 secondes, ce qui n’est pas difficile, retomberait 3 lieues à l’occident du point d’où il serait parti. On aurait ainsi, comme on voit, un moyen de voyager de l’orient à l’occident avec une vitesse beaucoup plus rapide que celle que donnent sur les chemins de fer les locomotives les plus puissantes.

Buchanan, le célèbre poëte écossais, a donné à l’objection, dans ses vers, une forme toute sentimentale, en disant que si la Terre tournait la tourterelle n’oserait plus s’élever de son nid, car bientôt elle perdrait inévitablement la vue de ses petits.

Mais la réponse à l’objection que nous examinons, sous quelque forme qu’on la présente, est d’une extrême simplicité. Personne n’a prétendu, en effet, que la Terre dans son mouvement de rotation n’entraînât pas l’atmosphère avec elle, et que sauf l’action des vents et des courants, les molécules matérielles dont cette atmosphère gazeuse se compose, ne participassent pas aux mouvements de la partie solide de notre globe avec laquelle elles sont immédiatement en contact. Personne n’a supposé, non plus, que le mouvement de ces molécules gazeuses, en contact avec la Terre, ne se soit pas communiqué aux couches superposées jusqu’aux dernières limites de l’atmosphère.

Ainsi l’objection est sans valeur.

J’examinerai maintenant avec toute liberté, sans aucune réticence, une difficulté jadis célèbre, empruntée à une source respectable, à l’Écriture sainte.

Josué, prétendait-on dans les temps d’ignorance, n’aurait pu commander au Soleil de s’arrêter, si cet astre n’avait pas marché. En raisonnant de la même manière, on pourrait affirmer que les astronomes d’aujourd’hui ne croient pas au mouvement de la Terre, car ils disent généralement, le Soleil se lève, le Soleil passe au méridien, le Soleil se couche ; leur langage est d’accord avec les apparences, sans cela ils ne seraient pas compris. Si Josué s’était écrié : «Terre, arrête-toi ! » aucun des soldats de son armée n’aurait certainement su ce qu’il voulait dire. Il faut remarquer que la Bible n’est pas un ouvrage de science, que le langage vulgaire a dû y remplacer souvent le langage mathématique : ainsi on voit quelque part un passage dans lequel il est question d’un vase circulaire, qui a un pied de diamètre et trois pieds de circonférence ; or, tout le monde sait qu’un cercle d’un pied de diamètre a plus de trois pieds de circonférence ; ajoutons même que la circonférence du vase en question n’aurait pas pu être assignée mathématiquement, alors même qu’on eût consenti à mettre 150 décimales à la suite du chiffre 3, puisqu’il n’existe pas de commune mesure entre la longueur du diamètre d’un cercle et celle de la circonférence qui le termine.

Ces vues sur les objections tirées du texte de la Bible, sont maintenant admises par les personnes les plus pieuses, même dans la capitale du monde catholique.