Astronomie populaire (Arago)/XXI/06

La bibliothèque libre.
GIDE et J. BAUDRY (Tome 3p. 394-396).

CHAPITRE VI

sur les noms des mois de l’année solaire donnés aux lunaisons


Le public a contracté l’habitude de désigner les diverses lunaisons d’après les noms des mois dans lesquels on les observe et de dire, par exemple, la lune de mars, la lune d’avril, la lune de mai, etc. ; mais comme la Lune devient nouvelle ou pleine, tantôt au commencement et tantôt à la fin des mois solaires, les dénominations précédentes peuvent donner lieu à quelques difficultés, à moins qu’on ne soit parti d’une définition précise.

Les détails qui vont suivre montreront combien sont futiles et arbitraires les motifs sur lesquels se fondent ceux qui, tous les ans, établissent des paris sur les noms que doivent porter les Lunes des divers mois.

D’après l’usage le plus généralement adopté, la Lune prend son nom du mois dans lequel elle finit.

Cette règle a été constamment suivie par les computistes, par Clavius, par Blondel, dans son Histoire du calendrier romain, par les auteurs de l’Art de vérifier les dates, etc., non par les astronomes qui n’avaient pas à intervenir dans une pareille question.

Mais, il faut l’avouer, cette définition conduit quelquefois à des résultats assez étranges. Supposons, par exemple, qu’une certaine année la Lune devienne nouvelle dans la nuit du 28 février au 1er mars, une seule seconde, si l’on veut, après minuit. Dès que minuit est passé, pour si peu que ce soit, on est au 1er mars. Ainsi, d’après la règle, une lune dont toute la révolution, sauf une très petite fraction de seconde, se verrait opérée durant les derniers jours de janvier et les 28 jours de février, devrait cependant s’appeler Lune de mars. Au reste, on trouverait des résultats tout aussi bizarres, si la dénomination de la Lune avait été empruntée au nom du mois dans lequel elle commence.

Voici, suivant toute apparence, une remarque qui n’a pas peu contribué à faire prendre la fin de la lunaison pour type. Considérons l’année 1767, par exemple. Dans cette année, il y a eu une Lune qui a commencé le 1er janvier et qui a fini le 30 ; ainsi, pour tout le monde, cette Lune a été celle de janvier. La suivante aurait donc dû être la Lune de février ; or, cette Lune suivante a commencé le 30 janvier ; elle n’aurait donc pu s’appeler que la seconde Lune de janvier, si le nom avait été emprunté au mois dans lequel elle a commencé, tandis qu’elle a appartenu, comme c’est nécessaire, au mois de février, quand on se règle sur la fin de la lunaison.

Mais, en adoptant la définition citée plus haut, de Clavius, de Blondel, des auteurs de l’Art de vérifier les dates, on trouvera des mois auxquels correspondront deux Lunes, et des années pour lesquelles le mois de février sera sans lunaison.

Citons des exemples de l’un et l’autre cas. Une lune finit dans la nuit qui sépare le 31 décembre du 1er janvier, et très-près de minuit : cette lune est celle de janvier ; la Lune suivante, commençant au même instant, finira donc avant le 30 janvier ; ce mois comptera donc deux Lunes.

Supposons maintenant, comme second exemple, qu’une lunaison finisse le 31 janvier, près de minuit ; le temps de la révolution synodique de notre satellite étant en moyenne de 29j,53, cette Lune ne finira qu’en mars. Ainsi aucune lunaison ne se terminera en février, aucune Lune ne pourra donc, d’après la définition, être attribuée à ce mois.

Il est une autre difficulté dont les parieurs ne tiennent aucun compte ; elle dépend de la différence des méridiens. Supposons qu’une Lune finisse à Rome une minute après le minuit qui sépare le 31 décembre du ler janvier ; cette Lune, pour un habitant de Rome, sera celle de janvier ; mais le minuit de Paris arrive plus tard ; au minuit de Rome correspond à Paris le 31 décembre à 11h 19m 26s. Ainsi la Lune dont la fin à Rome avait lieu une minute après minuit, et devait s’appeler la Lune de janvier, porterait à Paris le nom de Lune de décembre.

On voit, par cet exemple, à quels embarras peut donner lieu l’habitude de désigner les Lunes par les noms des mois.

Ces complications n’existent pas dans l’astronomie proprement dite, où jamais, avec raison, on n’a cherché à rapporter aux mois de l’année solaire la fin ni le commencement des lunaisons.

La science, je désire que les parieurs dont j’ai parlé tiennent compte de l’avertissement, n’a rien à faire avec des règles abstraites, qui ne sont suivies que par les computistes et les gens du monde.