Astronomie populaire (Arago)/XXI/38

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GIDE et J. BAUDRY (Tome 3p. 517-519).

CHAPITRE XXXVIII

des pronostics


Les partisans des pronostics empruntés aux phases de la Lune s’appuient particulièrement sur leur ancienneté. Comment croire, disent-ils, qu’un tel système, s’il n’était pas fondé, serait encore debout après avoir été sans cesse mis à l’épreuve par des millions d’observateurs dans les climats les plus divers et pendant une période dont la durée surpasse une vingtaine de siècles ?

Je m’incline devant une telle argumentation, mais j’ai encore plus de respect, je l’avoue, pour les arguments empruntés à la logique ; or, il ne me sera pas difficile de prouver que les pronostics que les siècles nous ont légués conduisent à des résultats contradictoires. Voyez, par exemple, Théophraste, dans son Traité sur les signes avant-coureurs de la pluie et du vent ; il dit : « Que la nouvelle Lune est généralement une époque de mauvais temps. » Un autre passage nous apprend que les changements de temps tombent ordinairement sur les syzygies, c’est-à-dire sur les nouvelles et les pleines Lunes, et sur les quadratures.

Aux mauvais temps de la nouvelle Lune succéderait donc du beau temps dans la quadrature suivante, et du mauvais temps dans la pleine Lune qui lui succède à son tour. Les nouvelles et les pleines Lunes ne se distingueraient donc pas les unes des autres, sous le rapport des circonstances atmosphériques ; ce qui est en désaccord formel avec les opinions professées par le savant disciple d’Aristote.

Celui que l’antiquité appelait le plus savant des Romains, Varron, avait formulé ainsi un pronostic tiré de la forme des cornes qui terminent le croissant de la Lune :

« Si la corne supérieure du croissant, paraît noirâtre le soir, au coucher de l’astre, on aura de la pluie au déclin, c’est-à-dire après la pleine Lune ; si c’est la corne inférieure, il pleuvra avant la pleine Lune ; si c’est le centre du croissant, il pleuvra dans la pleine Lune même. »

Personne n’ignore aujourd’hui que la Lune emprunte sa lumière au Soleil, et qu’il n’existe point de matière entre les deux astres qui puisse, dans les quartiers, affaiblir d’une manière sensible le faisceau éclairant. Ainsi les changements qu’on pourra remarquer dans l’intensité des phases lunaires, dépendent nécessairement de l’atmosphère terrestre.

Quand la corne supérieure est noirâtre comparativement au reste du croissant, c’est qu’il existe dans la direction de cette corne plus de vapeurs que le long du trajet des autres lignes visuelles. Si ces vapeurs s’abaissent un tant soit peu, elles affaiblissent le centre de l’astre. Il suffira d’un autre léger mouvement dans le même sens pour que l’obscurcissement porte sur la corne inférieure. Toute la différence entre les deux phénomènes extrêmes tiendra donc à la hauteur angulaire plus ou moins considérable d’un petit amas de vapeurs atmosphériques dont l’existence n’aurait peut-être pas été aperçue dans une autre région du ciel. Cependant ce petit amas, à peu près visible, qui dans une première position présageait la pluie pour une époque assez éloignée (pour le temps du déclin), s’il se rapproche de l’horizon seulement de quel minutes, annoncera, dit-on, des pluies très-prochaines.

Si, envisagé de cette manière, le résultat du pronostic ne paraît pas encore assez dénué de vraisemblance, je proposerai de placer deux observateurs à quelques centaines de mètres de distance. Alors un même nuage se projettera, pour l’un sur le bord supérieur du croissant, pour l’autre sur le bord inférieur ; alors la corne élevée paraîtra sombre au premier, tandis que le second ne remarquera d’obscurité que dans la corne basse ; alors dans deux quartiers différents de la même ville, le même nuage, observé au même instant, signalera ici une pluie très-prochaine, là une pluie éloignée.

La savante autorité de Varron ne saurait empêcher de rejeter une règle qui conduit à d’aussi absurdes conséquences.