Astronomie populaire (Arago)/XXIII/20

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GIDE et J. BAUDRY (Tome 4p. 90-93).

CHAPITRE XX

cause de la libration de la lune


Le firmament n’offre aux esprits réfléchis rien de plus curieux, de plus étrange que l’égalité des mouvements moyens angulaires de révolution et de rotation de notre satellite. À cause de cette égalité parfaite, la Lune présente toujours le même côté à la Terre (liv. xxi, ch. x, ch. xi et xxix). L’hémisphère que nous voyons aujourd’hui est précisément celui que voyaient nos ancêtres aux époques les plus reculées ; c’est exactement l’hémisphère qu’observeront nos arrière neveux.

Les causes finales dont certains philosophes ont usé avec si peu de réserve pour rendre compte d’un grand nombre de phénomènes naturels, étaient, dans le cas particulier que nous signalons, sans application possible. Comment prétendre, en effet, que les hommes pourraient avoir un intérêt quelconque à apercevoir sans cesse le même hémisphère de la Lune, à ne jamais entrevoir l’hémisphère opposé ? D’autre part, une égalité parfaite, mathématique, entre des éléments sans liaison nécessaire, tels que les mouvements de translation et de rotation d’un corps céleste donné, ne choquait pas moins les idées de probabilité. Il y avait d’ailleurs deux autres coïncidences numériques tout aussi extraordinaires : une orientation identique, relativement aux étoiles, de l’équateur et de l’orbite de la Lune ; des mouvements de précession de ces deux plans, exactement égaux. Cet ensemble de phénomènes singuliers, découverts par J.-D. Cassini, constituait le code mathématique de ce qu’on a appelé la libration de la Lune.

La libration était encore une vaste et très-fâcheuse lacune de l’astronomie physique, quand Lagrange la fit dépendre d’une circonstance, dans la figure de notre satellite, non observable de la Terre, quand il la rattacha complétement aux principes de l’attraction universelle.

À l’époque où la Lune se solidifia, elle prit, sous l’action de la Terre, une forme moins régulière, moins simple que si aucun corps attractif étranger ne s’était trouvé à proximité. L’action de notre globe rendit elliptique un équateur qui, sans cela, aurait été circulaire. Cette action n’empêcha pas l’équateur lunaire d’être partout renflé, mais la proéminence du diamètre équatorial dirigé vers la Terre, devint quatre fois plus considérable que celle du diamètre que nous voyons perpendiculairement.

La Lune s’offrirait donc à un observateur situé dans l’espace et qui pourrait l’examiner transversalement comme un corps allongé vers la Terre, comme une sorte de pendule sans point de suspension. Quand un pendule est écarté de la verticale, l’action de la pesanteur l’y ramène ; quand le grand axe de la Lune s’éloigne de sa direction habituelle, la Terre le force également à y revenir.

Voilà donc l’étrange phénomène complétement expliqué, sans recourir à une égalité, en quelque sorte miraculeuse, entre deux mouvements de rotation et de translation entièrement indépendants. Les hommes ne verront jamais qu’une face de la Lune. Les observations nous l’avaient appris ; maintenant nous savons de plus que cela est dû à une cause physique calculable et visible seulement avec les yeux de l’esprit ; que cela est dû à l’allongement qu’un diamètre de la Lune éprouva, quand l’astre passa de l’état liquide à l’état solide, sous l’action attractive de la Terre.

S’il avait existé, à l’origine, une petite différence entre les mouvements de rotation et de révolution de la Lune, l’attraction de la Terre aurait amené ces mouvements à une égalité rigoureuse. Cette attraction eût de même suffi pour faire disparaître un léger défaut de coïncidence entre les lignes résultant des intersections de l’équateur et de l’orbite lunaires avec le plan de l’écliptique.