Astronomie populaire (Arago)/XXIII/27

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GIDE et J. BAUDRY (Tome 4p. 117-120).

CHAPITRE XXVII

sur la transmission de l’attraction


L’attraction est-elle simplement une propriété essentielle de la matière, ou bien a-t-elle une cause physique ? C’est une question qui a vivement préoccupé Newton et ses disciples. Les uns ont imaginé que l’attraction est la résultante de l’effort que fait l’éther (chap. iv) pour se porter des régions libres de l’espace où sa densité est au maximum vers les corps planétaires autour desquels il existe dans un plus grand état de raréfaction ; les autres ont supposé que cette puissance est la conséquence de l’impulsion d’un milieu fluide quelconque. Newton ne s’est jamais expliqué catégoriquement sur la manière dont pourrait naître une impulsion, cause physique de la puissance attractive de la matière, du moins dans notre système solaire. Mais nous avons aujourd’hui de fortes raisons de croire qu’en écrivant le mot impulsion, le grand géomètre songeait aux idées systématiques de Varignon et de Fatio de Duillier, retrouvées plus tard et perfectionnées par Lesage : ces idées, en effet, lui avaient été communiquées avant toute publication. Selon Lesage, il y aurait dans les régions de l’espace des corpuscules se mouvant suivant toutes les directions possibles et avec une excessive rapidité. L’auteur donnait à ces corpuscules le nom de corpuscules ultra-mondains. Leur ensemble composait le fluide gravifique, si toutefois la désignation de fluide pouvait être appliquée à un assemblage de particules n’ayant entre elles aucune liaison.

Un corps unique, placé au milieu d’un pareil océan de corpuscules mobiles, resterait en repos, puisqu’il serait également poussé dans tous les sens. Au contraire, deux corps devraient marcher l’un vers l’autre, car ils se feraient réciproquement écran ; car leurs surfaces en regard ne seraient plus frappées dans la direction de la ligne qui les joindrait, par les corpuscules ultra-mondains ; car il existerait alors des courants dont l’effet ne serait plus détruit par des courants contraires. On voit d’ailleurs aisément que deux corps plongés dans le fluide gravifique tendraient à se rapprocher avec une intensité qui varierait en raison inverse du carré des distances.

Si l’attraction est le résultat de l’impulsion d’un fluide son action doit employer un temps fini à franchir les espaces immenses qui séparent les corps célestes. Le Soleil serait donc subitement anéanti, qu’après la catastrophe, la Terre, mathématiquement parlant, ressentirait son attraction encore pendant quelque temps. Le contraire arriverait à la naissance subite d’une planète : un certain temps s’écoulerait avant que l’action attractive du nouvel astre se fît sentir sur notre globe.

Plusieurs géomètres du siècle dernier croyaient que l’attraction ne se transmettait pas instantanément d’un corps à l’autre ; ils l’avaient même douée d’une vitesse de propagation assez faible. Daniel Bernoulli, par exemple, voulant expliquer comment la plus grande marée arrive sur nos côtes un jour et demi après les époques où le Soleil et la Lune se sont trouvés le plus favorablement situés pour la production de ce magnifique phénomène, admit que l’action lunaire employait tout ce temps (un jour et demi) à se transmettre de la Lune à la mer. Une si faible vitesse ne pourrait pas se concilier avec l’explication mécanique de la pesanteur dont nous venons de parler. L’explication suppose, en effet, impérieusement, que la vitesse propre des corps célestes est insensible comparativement à celle du fluide gravifique.

Avant d’avoir trouvé que la diminution actuelle d’excentricité de l’orbite terrestre est la cause réelle de l’accélération observée dans le mouvement de la Lune (chap. xix), Laplace, de son côté, avait cherché si cette accélération mystérieuse ne dépendrait pas de la propagation successive de l’attraction.

Le calcul, un moment, rendit la supposition plausible. Il montra que la propagation graduelle de l’attraction introduirait inévitablement dans le mouvement de notre satellite une perturbation proportionnelle au carré du temps écoulé à partir de toute époque ; que pour représenter numériquement les résultats des observations astronomiques, il ne serait nullement nécessaire d’attribuer à l’attraction de petites vitesses ; qu’une propagation huit millions de fois plus rapide que celle de la lumière satisferait à tous les phénomènes.

Quoique la vraie cause de l’accélération de la Lune soit actuellement bien connue, l’ingénieux calcul dont je viens de parler n’en conserve pas moins sa place dans la science. Au point de vue mathématique, la perturbation dépendante de la propagation successive de l’attraction que ce calcul signale, a une existence certaine. La liaison entre la vitesse et la perturbation est telle, qu’une des deux quantités conduit à la connaissance numérique de l’autre. Or, en donnant à la perturbation la valeur maximum que les observations comportent lorsqu’elles sont corrigées de l’accélération connue provenant du changement d’excentricité de l’orbe terrestre, on trouve cinquante millions de fois la vitesse de la lumière pour la valeur de la vitesse de la force attractive.