Astronomie populaire (Arago)/XXIX/06

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GIDE et J. BAUDRY (Tome 4p. 456-460).

CHAPITRE VI

rotation, figure et aplatissement de saturne


Saturne est doué d’un mouvement de rotation sur lui-même en vertu duquel il fait un tour entier en 10h 24m. L’axe autour duquel le mouvement de rotation s’exécute est plus court que l’axe perpendiculaire, ou que l’axe de l’équateur, de 1/10e.

Cassini vit, en 1683, sur le globe de Saturne, des phénomènes lumineux qui le conduisirent à supposer que la planète tournait sur elle-même, mais aucun temps exact de la rotation ne fut obtenu. Dans l’ouvrage de Huygens, intitulé Cosmotheoros, où sont décrits les principaux phénomènes du firmament, tels qu’on doit les observer sur diverses planètes, le grand géomètre dit positivement que les habitants de Saturne ont des jours et des nuits, ce qui implique l’existence d’un mouvement de rotation de la planète sur son centre. Huygens qui, dans ses recherches astronomiques, donne tant d’attention à Saturne, avait-il déjà reconnu par des observations directes le mouvement de rotation ? Je dois faire remarquer que le Cosmotheoros ne fut publié qu’en 1702, sept années après la mort de l’auteur. C’est à William Herschel qu’était réservée la détermination de la durée de la rotation de Saturne. L’observation assidue de quelques irrégularités qu’offraient les bandes de Saturne et une discussion approfondie de tous les résultats, prouvèrent à l’astronome de Slough, en 1794, que cette planète emploie 10h 16m à faire une révolution sur elle-même.

Personne, avant William Herschel, n’avait même soupçonné l’aplatissement de Saturne. Les mesures du grand astronome qui mirent ce fait hors de doute sont du mois de septembre 1789. Le diamètre équatorial se trouva alors de 22″,8, et le diamètre des pôles de 20″,6. Avouons franchement que les observations partielles qui conduisirent à ces moyennes ne s’accordaient pas entre elles autant qu’on aurait pu le désirer.

Herschel ajouta, en 1805, une grande singularité à toutes les circonstances que ses prédécesseurs avaient observées dans la constitution physique de Saturne. Jupiter et Mars sont aplatis. L’axe autour duquel chacune de ces planètes tourne sur elle-même est le plus court des diamètres du disque apparent ; le diamètre équatorial, au contraire, est le plus grand ; les diamètres intermédiaires ont des longueurs intermédiaires graduellement croissantes depuis le pôle jusqu’à l’équateur. Tout, dans la manière dont ces variations de longueur s’enchaînent, autorise à regarder les disques apparents comme des ellipses, à assimiler chacune des deux planètes à un ellipsoïde de révolution, à un sphéroïde engendré par le mouvement d’une ellipse tournant autour de son petit axe. Selon Herschel, cette régularité, cette simplicité de forme n’existe pas dans le globe de Saturne. Le disque apparent, au lieu d’être une ellipse, ressemble plutôt à un rectangle dont les quatre angles seraient arrondis et dont la plus grande longueur est suivant le plan de l’équateur. Il y a bien là encore un axe des pôles, le plus court de tous ; c’est l’axe autour duquel la planète exécute une révolution sur elle-même dans l’intervalle de 10 heures un quart. Il y a bien aussi un axe équatorial notablement plus grand que l’axe des pôles ; mais c’est ici que l’anomalie commence : sur Saturne, l’axe équatorial n’est pas l’axe maximum ; l’axe maximum fait avec le plan de l’équateur un angle que l’observateur a trouvé tantôt de 46° 38′, tantôt de 45° 31′, et enfin, par une dernière mesure plus exacte, de 43° 20′. Aux extrémités de l’axe maximum, la courbure du disque est très-prononcée. Près des pôles et de l’équateur on croirait voir, au contraire, des lignes droites sur une assez grande longueur.

Les observations dont je viens d’indiquer les résultats sont des mois d’avril, mai et juin 1805. Le 26 mai, Herschel ne se borna pas, au sujet de l’irrégularité de forme du disque apparent de Saturne, à un simple aperçu ; il recourut à des mesures micrométriques qui lui donnèrent pour le demi-diamètre équatorial 11″,27, pour le demi-diamètre à 45 degrés, 11″,98. Le lendemain 27, ces mêmes demi-diamètres parurent respectivement, 11″,44 et 11″,88.

Afin de s’assurer que cette étrange forme de la planète ne dépendait pas de quelques irrégularités accidentelles dans la courbure du miroir du télescope dont il s’était d’abord servi, Herschel fit successivement usage des télescopes de 2m,27, de 3m,24, de 6m,50 et même du télescope de 12m,67, armés des grossissements les plus variés : l’anomalie persista toujours.

Quelle peut être maintenant la cause de ces irrégularités auxquelles aucun astronome ne croit, je l’ignore ; car remarquons que chacun des instruments dont se servait l’illustre observateur de Slough put être successivement dirigé sur Saturne et sur Jupiter à une époque où les deux planètes se trouvaient en même temps sur l’horizon, que Jupiter restait elliptique et Saturne quadrangulaire avec ses angles arrondis.

On a voulu expliquer cette anomalie par de certaines irrégularités dans la température de l’air contenu dans les tuyaux des télescopes ; mais en supposant que ces inégalités existassent dans des tuyaux complétement ouverts à l’une de leurs extrémités et qu’elles fussent régulières et suffisantes pour rendre compte de l’effet observé quand il s’agit de Saturne, on aurait le droit de se demander comment les mêmes causes ne produisaient pas des effets semblables avec la lumière de Jupiter.

Herschel assignait une cause physique à l’irrégularité qu’il avait trouvée dans la forme de Saturne : il prétendait que cette irrégularité provenait de l’attraction que l’anneau avait exercée sur la masse de la planète non solidifiée encore ; mais Bessel a prouvé que l’attraction de l’anneau n’a jamais pu amener la forme singulière que les observations avaient semblé indiquer.