Astronomie populaire (Arago)/XXVII/09

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GIDE et J. BAUDRY (Tome 4p. 350-355).

CHAPITRE IX

historique de la découverte des satellites


La découverte des satellites de Jupiter fut un des premiers fruits de l’application des lunettes à l’étude des astres.

Le 7 janvier 1610, à Padoue, Galilée aperçut près de la planète, que le nouvel instrument avait dotée d’un disque sensible et bien tranché, trois petites étoiles ; deux étaient à l’orient, la troisième à l’occident. Le lendemain, il les vit toutes les trois à l’occident, le surlendemain on n’en voyait plus que deux et elles étaient situées à l’orient du disque de Jupiter. Tout cela ne pouvait pas être expliqué par un déplacement admissible de la planète et impliquait un mouvement propre de ces petites étoiles. Frappé de la singularité de ce résultat, Galilée redoubla d’attention ; le 13, il aperçut quatre étoiles. Bref, il constata qu’il y avait dans le firmament un astre autour duquel circulaient des planètes secondaires, comme les planètes anciennement connues circulent autour du Soleil : c’était le monde de Copernic en miniature ; les idées de ce grand homme semblaient désormais ne pouvoir plus être rejetées. Aussi rapporte-t-on que Kepler en apprenant les observations de l’astronome de Florence, s’écria, en parodiant l’exclamation de l’empereur Julien : Galilœe, vicisti !

Galilée voulait qu’on appelât les étoiles nouvellement aperçues Astres de Médicis, mais le nom de satellites de Jupiter a prévalu.

Dans une lettre au grand-duc de Toscane écrite en 1612, Galilée donne les résultats suivants pour les durées des révolutions des satellites de Jupiter :

Premier satellite 
1j 18h
Deuxième 
13  1/3 environ.
Troisième 
à peu près.
Quatrième 
16  18  à peu près.

On a prétendu que la découverte des satellites de Jupiter fut accueillie dans le monde avec une satisfaction universelle. Des documents, empruntés aux sources les moins contestables, prouvent qu’il n’en fut pas ainsi. Une Académie tout entière, celle de Cortone, prétendit que les satellites étaient le résultat d’une illusion d’optique produite par la lunette. Dans les dialogues contenus dans l’ouvrage de Sizio, lorsqu’un des interlocuteurs demande pourquoi on voit quatre satellites autour de Jupiter seulement, on lui répond : parce que la lunette est propre (proporzionato) à produire de telles apparences à la distance de Jupiter et non à d’autres distances. (Venturi, t.Ier, p. 126.) Clavius disait, en octobre 1610, que pour voir les satellites, il fallait d’abord construire une lunette qui les engendrât. Il est vrai que dès le mois de décembre suivant il abandonna cette opinion absurde aussitôt qu’il eut observé lui-même les astres en question (page 142). Galilée rapporte qu’il y avait, à Pise, un philosophe nommé Libri, qui ne consentit jamais à mettre l’œil à la lunette pour voir les satellites de Jupiter. « J’espère, ajoute l’illustre philosophe (ledit Libri venait de mourir), que n’ayant jamais voulu voir les satellites sur la terre, il les aura aperçus en allant au ciel. » (Page 144.)

On eut recours même aux causes finales pour démontrer la non-existence des satellites. Horky demandait à quoi serviraient, au point de vue astrologique, les quatre satellites de Jupiter annoncés dans le Nuntius sidereus. Woderbonius, auteur écossais, contemporain de Galilée, répondait, avec beaucoup d’esprit et d’à-propos : « Ils serviront à confondre les Horky et tous les astrologues superstitieux. » (Page 129.)

Enfin, en Allemagne, Simon Marius affirma qu’il avait fait l’observation avant Galilée. Consacrons quelques lignes à ses prétentions. La publication de Simon Marius au sujet des satellites de Jupiter, son Mundus jovialis, est de 1614 ; elle est postérieure de quatre ans à l’apparition du Nuntius sidereus de Galilée, qui parut à la fin de 1610, et dans lequel ce grand homme faisait connaître le résultat de ses premières investigations sur les satellites de Jupiter. La première observation donnée par l’astronome allemand correspond à la seconde de Galilée ; mais l’identité ne paraît pas au premier coup d’œil, parce que Simon Marius date d’après le calendrier non réformé, ce qui semble présenter en sa faveur une antériorité de dix jours sur les observations de Galilée, qui suivait déjà le calendrier grégorien.

La préface dont est accompagné l’ouvrage de Marius de 1614, en la supposant véridique, prouverait que cet astronome avait déjà reconnu, à la fin de novembre ou au commencement de décembre 1609, que de petites étoiles circulent autour de Jupiter. Mais doit-on ajouter foi à la réclamation tardive de Marius lorsqu’on songe qu’il s’était déjà trouvé quelque peu impliqué dans l’accusation de plagiat que fit Galilée à un seigneur Capra, à l’occasion du compas de proportion, procès que le grand astronome de Florence gagna complétement ?

Au surplus, la révélation d’une découverte par une lecture académique ou par l’impression sont les seuls moyens de constater les droits à une invention, et, sous ce rapport, la priorité ne saurait être contestée à Galilée[1].

Nous opposerons aussi cette dernière remarque aux réclamations posthumes qu’on a faites en faveur d’Harriot, savant anglais très-distingué, et qui mourut fort jeune. Ses manuscrits, a dit M. de Zach, renferment la preuve qu’Harriot vit les satellites de Jupiter dès le 16 janvier 1610, date postérieure à celle des premières observations de Galilée, et qui le serait bien davantage si l’auteur anglais avait compté d’après le calendrier julien.

Une lettre récente du docteur Robertson à sir David Brewster renferme les renseignements plus précis qu’on va lire. Les premières observations des satellites faites par Harriot sont du 17 octobre 1610. La feuille manuscrite où se trouvent les configurations pour ce jour-là porte cette note de la main d’Harriot : « Ma première observation des nouvelles planètes. » Sur une autre feuille, on lit « 1611 : Seconde année de mes observations des planètes de Jupiter. » Des dessins grossiers des configurations des satellites sont, au reste, tout ce qu’on trouve dans ces manuscrits.

M. de Zach nous apprend que les satellites de Jupiter étaient observés à Aix, en Provence, dans le mois de novembre 1610, par Peyresc, Gassendi et Gautier.

Après avoir nié l’existence des quatre satellites de Jupiter, il se trouva des astronomes qui accusèrent le grand philosophe de Florence de n’avoir aperçu qu’une partie de la vérité. Scheiner déclara qu’il y avait non pas quatre, mais cinq satellites. Rheita porta leur nombre à neuf. D’autres en comptèrent jusqu’à douze. Mais il est évident aujourd’hui que ces petits astres ajoutés si libéralement aux quatre découverts par Galilée, ne pouvaient être que de petites étoiles dans le voisinage desquelles Jupiter s’était transporté par son mouvement propre, et les observations faites avec les plus puissants télescopes n’ont jamais montré la plus petite trace des satellites additionnels de Scheiner, Rheita, etc.

Nous terminerons cet aperçu historique par un fait qui démontre combien sont parfois faibles les plus grands hommes. En écrivant de Padoue, le 16 juin 1610, une lettre à Belisario Vinta, secrétaire du grand-duc de Toscane, Galilée se réjouissait d’avoir constaté que Mars et Saturne n’avaient point de satellites. Le motif qu’il en donnait, c’est qu’il pouvait espérer que Dieu lui avait fait la grâce spéciale d’être le seul à qui avait été accordée la faveur de découvrir de nouveaux astres. (Venturi, t. ier, p. 156.)

  1. J’ai été étonné de lire dans l’ouvrage de mon meilleur ami, le Cosmos de M. de Humboldt, que, malgré les principes reconnus libéralement par lui-même en tant d’occasions, il attribue la première découverte des satellites de Jupiter à Marius. Le mathématicien de l’électeur de Brandebourg n’a droit à être cité sur cette matière que pour avoir eu l’idée, malheureuse à tant d’égards, de donner à ces satellites les noms d’Io, d’Europe, de Calisto et celui de Ganymède.