Astronomie populaire (Arago)/XXXII/18

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GIDE et J. BAUDRY (Tome 4p. 579-583).

CHAPITRE XVIII

explication des différences de température qui existent entre les côtes orientales et les côtes occidentales des deux continents — climat rigoureux de l’amérique septentrionale


Répondons sur-le-champ à une objection qu’on ne manquerait pas de faire contre la théorie à l’aide de laquelle nous avons cherché à rendre compte de la diversité des climats. Vos explications, pourra-t-on nous dire, rendent suffisamment compte des différences de climats qui existent entre des îles et les points semblablement placés dans l’intérieur des continents ; mais comment expliquer, d’après les mêmes principes, les différences qu’on trouve entre les températures de deux lieux l’un et l’autre continentaux situés par les mêmes latitudes ? Comment expliquer, par exemple, les différences qu’on remarque entre les températures moyennes et les températures des diverses saisons de Quebec, quand on les compare aux observations de Paris ? comment rendre compte des dissemblances que l’on observe entre les températures de Boston, de New-York, de Philadelphie et les températures des lieux qui ont les mêmes latitudes en Europe ? Voilà l’objection dans toute sa force.

Eh bien, je réponds : Que les vents influent énormément sur la température des lieux qu’ils vont visiter, qu’ils portent dans chacun de ces lieux une partie de la température des régions qu’ils ont traversées ; que partout où ils passent, ils laissent une portion plus ou moins considérable de leur température initiale lorsqu’ils sont plus chauds que les régions parcourues, et que le contraire arrive lorsqu’ils sont plus froids. Or, par une cause astronomique que j’expliquerai dans le chapitre suivant, les vents prédominants dans les latitudes tempérées de l’Amérique sont les vents de sud-ouest. Ces vents venant de l’océan Pacifique n’atteignent la côte des États-Unis qu’après avoir traversé l’Amérique dans sa plus grande largeur. Quand ils soufflent en été, leur température, très-modérée au moment où ils quittent la mer Pacifique pour s’enfoncer dans le continent, s’accroît d’une partie de la température très-supérieure à la leur que toute la partie solide du continent américain a dû acquérir à cette époque de l’année. Au moment où ce vent arrivera à Quebec, à Boston, à Philadelphie, il aura donc à peu près la température que les atmosphères de ces villes auraient acquise par la seule absorption des rayons solaires. Le vent sud-ouest ne produira aucune diminution sur les températures estivales de la côte nord-est d’Amérique.

Pendant l’hiver, les vents du sud-ouest qui proviennent de l’océan Pacifique sont d’une température modérée ; mais ils se refroidiront considérablement en traversant la vaste étendue du continent américain, et n’atteindront la côte orientale qu’avec une température très-basse, et qui ne pourra influer que très-faiblement sur la température astronomique ou indépendante des déplacements atmosphériques des villes que nous avons nommées.

Après avoir dépassé la côte orientale d’Amérique, le vent s’identifiera en toute saison avec la température de l’océan Atlantique qu’il traverse ; il arrivera donc aux rives de l’Ancien continent avec une température supérieure à celle de ce continent en hiver et plus faible en été ; il aura pour effet de rendre moins dissemblables les températures des deux saisons extrêmes. Chacun comprendra alors pourquoi Buffon disait que sur la côte orientale des États-Unis on avait un climat excessif, c’est-à-dire pour chaque température moyenne comparée à celle d’Europe, un été beaucoup plus chaud et un hiver beaucoup plus froid.

Si l’explication est juste, on voit que les mêmes différences, relativement aux températures, doivent exister à parité de latitude entre les côtes orientales et occidentales du Nouveau continent, comme aussi entre les côtes du vaste empire de la Chine situées à l’orient de l’Ancien continent.

Les observations confirment complétement la théorie. Sous le rapport de la température, la côte occidentale d’Amérique, très différente de la côte orientale du même continent, ressemble à la côte occidentale d’Europe, et, d’un autre côté, la côte orientale d’Amérique à climats excessifs est semblable à la côte orientale d’Asie.

Aussitôt que les régions septentrionales de l’Amérique furent découvertes, les navigateurs remarquèrent qu’à parité de latitude elles sont beaucoup plus froides que l’Europe. Ce fait, dont la théorie astronomique des climats ne pouvait pas donner une explication satisfaisante, exerça la sagacité de plusieurs physiciens, et entre autres de Halley. Suivant ce savant célèbre, une comète choqua jadis obliquement la Terre et changea la position de son axe de rotation. Par suite de cet événement, le pôle nord, qui primitivement était très-voisin de la baie d’Hudson, se trouva transporte plus à l’orient. Mais les contrées qu’il venait d’abandonner avaient été si longtemps et si profondément gelées, qu’il y reste encore aujourd’hui des traces évidentes de cet ancien froid polaire. Il faudra, ajoutait-on, une longue série d’années pour que l’action du Soleil procure aux parties boréales du nouveau continent, le climat correspondant à leur position géographique, dégagé des effets de l’influence frigorifique qu’elles avaient anciennement subie.

Cette théorie pouvait paraître plausible du temps de Halley. Aujourd’hui que le fait météorologique qu’elle devait expliquer est connu dans tous ses détails, elle se trouve inutile, insuffisante, contraire même aux observations.

Il est très-vrai qu’à égalité de latitude il fait beaucoup plus froid aux États-Unis qu’en Europe ; mais cette dissemblance s’efface presque entièrement quand les points de comparaison en Amérique sont pris sur la côte occidentale, ou, en d’autres termes, près des rivages du grand Océan. Ainsi, en admettant l’hypothèse de Halley, l’ancien pôle nord de la Terre n’a modifié en Amérique que la température de la côte orientale. Il a donc fallu que ce pôle se trouvât situé primitivement ou sur cette côte même, ou sur des méridiens qui en fussent peu éloignés. Alors quelle serait la cause du froid excessif de la côte d’Asie, qui, sous des latitudes semblables, ne le cède pas à celui de la côte atlantique de l’Amérique du nord ? Hâtons-nous de le dire, Halley ne connut qu’un petit coin de l’intéressant phénomène de climatologie qu’il voulut expliquer. Il ignora que dans l’ancien, comme dans le nouveau monde, la côte orientale se fait remarquer par une température très-basse ; que les lignes d’égale température, qu’on appelle maintenant lignes isothermes, d’après M. de Humboldt, diffèrent beaucoup des parallèles terrestres, qu’elles s’abaissent considérablement vers l’équateur, tant dans l’Amérique qu’en Europe, à mesure qu’en partant des côtes occidentales on s’enfonce dans l’intérieur des continents, etc.

La théorie de Halley reposant sur un fait mal observé ne saurait conduire en rien à admettre que l’axe de la Terre ait jamais changé de position, même d’un petit nombre de degrés.