Astronomie populaire (Arago)/XXXII/19

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GIDE et J. BAUDRY (Tome 4p. 583-598).

CHAPITRE XIX

les vents — brises de terre et de mer réglées par l’échauffement et le refroidissement inégaux de la terre et des eaux — moussons — vents alizés — vents d’impulsion et d’aspiration — harmattan — semoun — chamsin — vitesses des diverses sortes de vents — influence des chaînes de montagnes et des plateaux élevés sur la propagation des vents


Il faut soigneusement éviter, quand on veut introduire l’action perturbatrice du vent dans l’explication des saisons, de tomber dans un cercle vicieux. L’origine des vents généraux et leur mode de propagation doit faire l’objet d’une étude préliminaire et toute spéciale. La première question à résoudre est évidemment celle-ci :

De quelle manière se comporteront deux portions contiguës de l’atmosphère, si elles viennent à être inégalement échauffées ?

La difficulté du problème tient à ce que, dans une atmosphère sereine, l’œil ne peut saisir aucun repère propre à lui dévoiler le sens du déplacement des couches. Cependant on est arrivé à la solution dans certaines limites.

Pour déterminer comment se mêlent les atmosphères de deux salles contiguës et inégalement échauffées, Franklin imagina de promener une chandelle à toutes les hauteurs de la porte de communication. Dans le bas, près du parquet, la flamme indiquait un courant dirigé de la salle froide vers la salle chaude. Dans le haut de la porte, la flamme s’inclinant en sens inverse, signalait un courant dirigé de la salle chaude vers la salle froide. À une certaine hauteur, entre ces deux positions extrêmes, l’air semblait stationnaire.

Que conclure de cette expérience ? Évidemment que si, en un point de la surface de la Terre, il y a une cause d’échauffement, la colonne d’air superposée s’élève, qu’un courant inférieur se dirige vers la partie chaude et que la colonne d’air échauffée fournit un courant supérieur ayant un mouvement inverse ou dirigé du lieu chaud vers le lieu froid.

Ceux qui ont résidé dans les saisons chaudes sur le bord de la mer savent que tous les jours à partir d’une certaine heure (neuf ou dix heures du matin), il s’élève un vent soufflant de la mer vers la terre qu’on appelle une brise de mer. Ce vent, attendu avec impatience par les habitants, rafraîchit l’atmosphère pendant la plus grande partie de la journée jusque vers les cinq ou six heures du soir. La cause de ce vent est facile à trouver, d’après l’expérience de Franklin : il dépend en effet, évidemment, des échauffements inégaux que l’action des rayons solaires fait éprouver aux terres continentales et à l’Océan.

Chaque jour, lorsque, à partir de neuf heures du matin, la température de la côte commence à dépasser la température moyenne qui est toujours à peu près celle de la mer, l’air qui repose sur celle-ci souffle vers la terre. Après neuf heures du soir, au contraire, lorsque la température de la côte est retombée au-dessous de la moyenne, l’air reflue de la terre vers la mer. À la brise de mer ou du matin succède ainsi chaque jour, après quelques heures de calme, la brise du soir ou de terre. Les marins profitent de ces deux vents pour entrer dans les ports ou pour en sortir.

À propos de cette explication des brises de terre et de mer, je consignerai ici une remarque qui me paraît propre à expliquer pourquoi, sur la côte orientale des États-Unis, la température, en été, est si excessive. Si je ne me trompe, la brise de mer, ce vent modérateur des températures, ne peut pas exister sur cette partie des côtes des États-Unis, toutes les fois que le vent d’ouest y souffle. Ce dernier vent, en effet, doit refouler le vent de direction contraire qui, sans cela, se serait répandu de l’Atlantique sur toute l’étendue des côtes des États-Unis.

Les brises cessent de se faire sentir à une petite distance des côtes, et à leur place règnent en mer les vents qu’on appelle des moussons, mot qui vient de l’arabe et signifie saisons, parce que ces vents soufflent six mois dans un sens et six mois dans l’autre. L’observation montre que, dans l’hémisphère boréal, la mousson de printemps commence en avril et la mousson d’automne en octobre ; dans l’hémisphère austral, où nous avons vu que les saisons sont contraires, la mousson d’automne commence en avril et la mousson de printemps en octobre. Une mousson est toujours dirigée vers l’hémisphère que le Soleil échauffe le plus de ses rayons. Le passage d’une mousson à la suivante est souvent une époque critique pour la navigation, soit parce que plusieurs vents forment une espèce de conflit d’où il résulte des tempêtes, soit parce que, ailleurs, il règne un calme plus ou moins prolongé entre les deux moussons contraires. La conformation des mers et des côtes influe sur ces phénomènes de manière à leur imposer des lois particulières dans chaque région.

Vers l’équateur, le Soleil frappant la Terre de ses rayons, dans une direction perpendiculaire ou très-peu obliquement, y produit, comme nous l’avons vu, une température constamment plus élevée que dans les autres points de notre globe. Il en résulte que des deux hémisphères doivent affluer vers l’équateur deux courants inférieurs. À cause du mouvement de rotation diurne de la Terre, ces courants rencontrent des couches animées d’une vitesse croissante dans le sens de l’ouest à l’est. L’air qui était sur un parallèle de plus petit rayon venant à rencontrer l’air placé sur un parallèle de plus grand rayon, marche moins vite qu’il ne le devrait pour suivre notre globe dans son mouvement ; il est en retard pour un observateur et il doit, par conséquent, paraître se mouvoir en sens contraire du mouvement diurne. Il résulte de la combinaison de ces deux effets des vents constants, nommés vents alizés, d’un vieux mot français qui signifie l’uniformité, la constance ; ces vents auront nécessairement, en toute saison, si d’autres causes n’interviennent pas dans le phénomène, la direction du nord-est dans l’hémisphère boréal, et celle du sud-est dans l’hémisphère austral. Il est bien entendu que beaucoup de circonstances locales pourront apporter des changements à ce résultat théorique. Ainsi, comme l’a appris le capitaine Basil Hall, entre et 22° de latitude nord, on trouve un vent d’ouest à peu près permanent sur la mer qui baigne la côte occidentale du Mexique, de Panama à la péninsule de Californie.

Lorsqu’il s’éloigne des régions équatoriales, et à mesure qu’il se rapproche des zones tempérées sur lesquelles il va retomber en les refroidissant, le courant supérieur rencontre des couches d’air animées d’une moindre vitesse dans le sens du mouvement diurne. Il en résulte que le retour des vents alizés donne lieu dans les zones tempérées à un vent qui souffle du sud-ouest pour l’hémisphère boréal, et du nord-ouest pour l’hémisphère austral. C’est cette circonstance qui explique comment à Paris le vent souffle plus souvent du sud-ouest que de toute autre direction.

Dès les premières disputes sur le mouvement réel de la Terre, les coperniciens présentèrent les vents alizés comme une preuve du mouvement de rotation diurne, dirigé de l’occident à l’orient. Le vent alizé était à leurs yeux, comme le rapporte Cassini dans son Mémoire de 1693 sur la lumière zodiacale, une simple illusion.

L’observateur entraîné par le mouvement de la partie solide de notre globe aurait quitté l’air atmosphérique qui, dès lors, aurait semblé produire un vent soufflant en sens contraire, ou de l’orient à l’occident. Nous venons de voir que c’est la combinaison des vitesses différentes d’une part des couches d’air déplacées par suite des différences de température des divers points du globe et d’autre part des couches atmosphériques entraînées dans le mouvement diurne, qui produit réellement les vents alizés.

La théorie des vents alizés exige l’existence d’un contre-courant supérieur ; plusieurs observations en ont donné la preuve. Le capitaine Basil Hall a observé que dans la région des vents alizés, les nuages très-élevés marchent constamment dans une direction opposée à celle du vent inférieur. Le même voyageur trouva, dans le mois d’août 1820, au sommet du pic de Ténériffe, un vent du sud-ouest, c’est-à-dire un vent diamétralement opposé au vent alizé qui soufflait à la surface de la terre. Le 22 juin 1799, lors de l’ascension que fit sur la même montagne mon illustre ami M. de Humboldt, il régnait sur le sommet du Piton un vent d’ouest très-violent.

Voici une autre preuve de l’existence de ce même contre-courant des vents alizés, déduite de la chute à la Barbade des poussières lancées par le volcan de l’île de Saint-Vincent (liv. xx, chap. xiii).

Dans la soirée du 30 avril 1812, on entendit pendant quelques instants, à l’île de la Barbade, des explosions tellement semblables aux décharges de plusieurs pièces de gros calibre, que la garnison du château Sainte-Anne resta sous les armes toute la nuit. Le lendemain matin, 1er  mai, l’horizon de la mer, à l’orient, était clair et bien défini ; mais immédiatement au-dessus on apercevait un nuage noir qui couvrait déjà le reste du ciel, et qui même, bientôt après, se répandit dans la partie où commençait à poindre la lumière du crépuscule. L’obscurité devint telle alors que dans les appartements il était impossible de distinguer la place des fenêtres, et qu’en plein air plusieurs personnes ne purent voir ni les arbres à côté desquels elles se trouvaient, ni les contours des maisons voisines, ni même des mouchoirs blancs placés à 15 centimètres des yeux. Ce phénomène était occasionné par la chute d’une grande quantité de poudre volcanique, provenant de l’éruption d’un volcan de l’île de Saint-Vincent, et qui contenait, d’après une analyse du docteur Thomson, 91 parties de silice et d’alumine, 8 de calcaire et 1 d’oxyde de fer. Cette pluie d’un nouveau genre et l’obscurité profonde qui en était la conséquence, ne cessèrent entièrement qu’entre midi et une heure ; mais plusieurs fois, depuis le matin, on avait remarqué, en s’aidant d’une lanterne, comme des espèces d’averses pendant lesquelles la poussière tombait en plus grande abondance. Les arbres d’un bois flexible ployaient sous le faix ; le bruit que les branches des autres arbres faisaient en se cassant contrastait d’une manière frappante avec le calme parfait de l’atmosphère ; les cannes à sucre furent totalement renversées, enfin toute l’île se trouva couverte d’une couche de cendres verdâtres qui avait 3 centimètres d’épaisseur.

La situation relative de la Barbade et de Saint-Vincent rend l’observation que nous venons de rapporter fort intéressante. Cette dernière île, comme on sait, est de 80 kilomètres plus occidentale que l’autre. Les vents alizés, dans ces parages, et particulièrement en avril et mai, soufflent uniformément et sans interruption de l’est, avec une légère déviation vers le nord. Il faut donc admettre que le volcan de Saint-Vincent avait projeté l’immense quantité de poussière qui tomba sur la Barbade et les mers voisines jusqu’à une hauteur où non-seulement les vents alizés ne se faisaient pas sentir, mais dans laquelle régnait même un courant diamétralement opposé. Ainsi les cendres du volcan de l’île de Saint-Vincent durent être projetées à une hauteur assez considérable pour avoir échappé à l’influence du vent alizé du nord-est, puisqu’elles se propagèrent dans une direction opposée ; cette propagation ne put avoir lieu que par l’effet du contre-courant supérieur, dont l’existence se trouve ainsi constatée sans réplique.

Lorsque les vents prennent naissance en un lieu donné par suite d’une augmentation de la pesanteur de la couche d’air superposée, ils se propagent par impulsion, ils poussent devant eux les couches atmosphériques, ils se font sentir d’abord dans les lieux d’où ils paraissent provenir. Lorsque, au contraire, il se produit quelque part une diminution de la pesanteur de la colonne aérienne, il y a appel des couches voisines ; le vent se propage par aspiration, il se fait sentir d’abord dans les lieux vers lesquels il se dirige.

Il n’est guère permis de douter, d’après les détails qui précèdent, que certains vents n’aient pour cause les vides partiels atmosphériques, ou les courants ascendants qui se produisent à telle ou telle époque et dans telle ou telle région des continents et des mers. Les lieux où ces diminutions de densité se manifestent deviennent autant de centres vers lesquels les atmosphères circonvoisines affluent ou se précipitent. Jusqu’ici il n’a été question que de vents modérés. Prouvons par quelques faits que des vents très-violents, que de véritables ouragans sont quelquefois aussi des vents d’aspiration.

Le 21 octobre 1743, Franklin se préparait à observer une éclipse de Lune qui devait commencer à Philadelphie vers les 9 heures. Un ouragan du nord-est se manifesta, dès les 7 heures, avec une grande violence, avec son accompagnement ordinaire d’épais nuages et rendit l’observation impossible. Eh bien, à Boston, situé à environ 140 lieues au nord-est de Philadelphie, on put très-bien observer l’éclipse, l’ouragan s’y fit sentir deux heures plus tard que dans cette dernière ville. En faisant une enquête sur ce phénomène, Franklin trouva que le commencement du même ouragan avait été toujours plus tardif à mesure qu’on remontait davantage vers le nord-est.

On trouve dans un Mémoire du capitaine Tillard, sur la formation de l’île Sabrina, dans les Açores, en 1811, le passage suivant : « Le nuage de fumée (qui sortait du volcan) s’élevait beaucoup plus haut que les cendres ; de grandes masses moutonneuses s’étendaient graduellement dans la direction du vent, en une couche horizontale, et tiraient à elles une quantité de trombes qui ajoutaient beaucoup à la beauté de la scène. »

Franklin rend parfaitement compte, par deux exemples familiers, de la cause de pareils ouragans : « Supposons, dit-il, un long canal d’eau fermé à l’une de ses extrémités par une porte. L’eau y est tout à fait en repos jusqu’à ce que la porte s’ouvre. Alors l’eau commence à se mettre en mouvement pour s’écouler par cette porte ; l’eau qui en est le plus proche se met la première en mouvement pour s’écouler par cette issue ; l’eau qui avoisine cette première s’ébranle ensuite, et ainsi successivement, jusqu’à ce que l’eau qui est à l’autre extrémité du canal s’achemine la dernière de toutes vers le côté où la résistance est diminuée. Ainsi dans ce cas, toute l’eau se meut véritablement vers la porte, mais les temps successifs où ces mouvements commencent sont en sens contraire, c’est-à-dire de la porte en arrière jusqu’à la tête du canal.

« Supposons encore que l’air d’une chambre soit tranquille et sans aucun courant dans toute la chambre, jusqu’à ce qu’on fasse du feu dans la cheminée. L’air de dedans la cheminée, étant raréfié par le feu, s’élève immédiatement ; l’air d’auprès de la cheminée accourt pour le remplacer dans la cheminée même, et ainsi de proche en proche, tout le reste de l’air, jusqu’à celui de derrière la porte.

« Ainsi, pour produire nos ouragans nord-est, sur les côtes occidentales des États-Unis, il suffit d’admettre une grande chaleur et une grande raréfaction dans le golfe du Mexique, ou dans le voisinage. L’air qui s’en élève y est remplacé par celui qui l’avoisine du côté du nord, et qui, étant plus froid, est conséquemment plus dense et plus pesant. Celui-ci étant en mouvement est bientôt suivi par l’air le plus proche, en tirant toujours au nord, etc., etc. ; d’où il résulte un courant successif qui prend la direction du nord-est, parce que les côtes et les chaînes de montagnes du continent mexicain s’étendent du nord-ouest au sud-est. »

La haute température de l’intérieur de l’Afrique est l’origine des vents extraordinaires qui se font sentir sur les côtes de Guinée, sur celles de la Barbarie, en Égypte, dans l’Arabie, dans la Syrie, dans les steppes de la Russie méridionale et même jusqu’en Italie. Ces vents, nommés harmattan, semoum, chamsin, sont accompagnés de circonstances étranges sur lesquelles il est utile de donner quelques détails ; ils sont particulièrement chauds et secs et entraînent avec eux des tourbillons de poussière.

On appelle harmattan un vent qui souffle trois ou quatre fois chaque saison, de l’intérieur de l’Afrique vers l’océan Atlantique ; dans la partie de la côte comprise entre le cap Vert (latit. 15° N.) et le cap Lopez (latit. S.), l’harmattan se fait principalement sentir dans les mois de décembre, de janvier et de février. Sa direction est comprise entre l’est-sud-est et le nord-nord-est. Sa durée est ordinairement d’un ou deux jours, quelquefois de cinq ou six. Ce vent n’a qu’une force modérée.

Un brouillard d’une espèce particulière et assez épais pour ne donner passage à midi qu’à quelques rayons rouges du Soleil, s’élève toujours quand l’harmattan souffle. Les particules dont ce brouillard est formé se déposent sur le gazon, sur les feuilles des arbres et sur la peau des nègres, de telle sorte que tout alors paraît blanc. On ignore quelle est la nature de ces particules ; on sait seulement que le vent ne les entraîne sur l’Océan qu’à une petite distance des côtes ; à une lieue en mer, par exemple, le brouillard est déjà très-affaibli ; à trois lieues il n’en reste plus de traces, quoique l’harmattan s’y fasse encore sentir dans toute sa force.

L’extrême sécheresse de l’harmattan est un de ses caractères les plus tranchés. Si ce vent a quelque durée, les branches des orangers, des citronniers, etc., se dessèchent et meurent ; les reliures des livres (et l’on ne doit pas en excepter ceux-là même qui sont placés dans des malles bien fermées et recouverts de linge) se courbent comme si elles avaient été exposées à un grand feu. Les panneaux des portes et des fenêtres, les meubles dans les appartements craquent et souvent se brisent. Les effets de ce vent sur le corps humain ne sont pas moins évidents. Les yeux, les lèvres, le palais, deviennent secs et douloureux. Si l’harmattan dure quatre ou cinq jours consécutifs, les mains et la face se pèlent. Pour prévenir cet accident, les Fantee se frottent tout le corps avec de la graisse.

Après tout ce que nous venons de rapporter des fâcheux effets que produit l’harmattan sur les végétaux, on pourrait croire que ce vent doit être très-insalubre : c’est cependant tout l’opposé qu’on a observé. Les fièvres intermittentes, par exemple, sont radicalement guéries au premier souffle de l’harmattan. Ceux que l’usage excessif qu’on fait de la saignée dans ces climats avait exténués, recouvrent bientôt leurs forces ; les fièvres rémittentes et épidémiques disparaissent aussi, comme par enchantement. Telle est enfin l’influence salutaire de ce vent, que pendant sa durée, l’infection ne peut pas être communiquée, même par l’art. Voici le fait sur lequel se fonde cette assertion ; il est rapporté par un ancien voyageur anglais, Mathieu Dobson :

En 1770, il y avait à Whydah, un bâtiment anglais, the Unity, chargé de plus de 300 nègres. La petite vérole s’étant déclarée chez quelques-uns de ces esclaves, le propriétaire se décida à l’inoculer aux autres. Tous ceux chez lesquels on pratiqua l’opération avant le souffle de l’harmattan gagnèrent la maladie. Soixante-dix furent inoculés le deuxième jour après que l’harmattan avait commencé à se faire sentir : aucun d’eux n’eut ni maladie ni éruption. Toutefois, quelques semaines après, à une époque où l’harmattan ne régnait plus, ces mêmes individus prirent la petite vérole, soit naturellement, soit artificiellement. Ajoutons que pendant cette seconde éruption de la maladie, l’harmattan ayant recommencé à souffler, les soixante-neuf esclaves qui en étaient attaqués furent tous guéris.

Le pays que traverse l’harmattan avant d’atteindre la côte se compose, jusqu’à la distance de plus de 100 lieues, de plaines de verdure entièrement ouvertes, et de quelques bois de peu d’étendue. On y trouve çà et là un petit nombre de rivières et de lacs peu considérables.

Le semoum, vent empoisonné du Désert, est un vent violent du sud-est. Il dessèche les outres dans lesquelles les voyageurs réunis en caravanes portent leur eau, et c’est par là surtout qu’il est à craindre. En juin 1815, Burckhardt allant de Tor à Suez, vit une outre perdre en une matinée le tiers de son eau, par l’évaporation qu’occasionna le semoum. Ce voyageur est persuadé qu’il y a de très-grandes exagérations dans tous les récits qu’on a publiés sur les effets désastreux de ce vent ; il s’y est exposé fréquemment sans en être incommodé d’une manière remarquable, et n’a pas entendu citer une circonstance bien authentique où ce vent ait occasionné la mort d’un homme ou celle d’aucun animal.

Des tourbillons, des espèces de trombes, se joignent fréquemment au semoum, et enlèvent dans les airs, jusqu’à une grande hauteur, des masses de sable qui donnent à l’atmosphère une teinte rouge, orange et même bleuâtre, suivant l’espèce de teinte du terrain ; le jaune cependant prédomine. La poussière augmente toujours notablement la température de l’atmosphère.

En mai 1813, à Esné, dans la haute Égypte, pendant le semoum, Burckhardt trouva que le thermomètre montait à l’ombre jusqu’à 49°,4 centigrades. Mais cette chaleur excessive ne dure guère jamais plus d’un quart d’heure ; aussitôt que la poussière s’abat, le thermomètre baisse. Les Arabes se couvrent la tête pour se garantir du sable flottant, et non pas, comme on l’a dit, dans la vue d’empêcher que l’air ne les frappe directement ; Burckhardt ne les a jamais vus se coucher la face contre terre.

Le chamsin, très-remarquable par sa température élevée, dure 50 jours, ainsi que l’indique son nom dans la langue du pays ; il commence environ 25 jours avant l’équinoxe du printemps pour finir 25 jours après.

En Europe, on connaît le sirocco d’Italie et le solano d’Espagne qui jettent les habitants dans un grand état de langueur par la chaleur énervante qu’ils apportent avec eux. Le Nouveau Monde n’échappe pas non plus à l’influence brûlante de quelques vents chauds et secs ; tels sont ceux qui soufflent de terre sur les côtes de la Nouvelle-Hollande, et ceux qui parfois se font sentir dans les llanos de l’Orénoque.

Les nombres suivants donnent une idée des vitesses des diverses sortes de vents :

Vitesse par seconde. Vitesse par heure. Caractère du vent.
lieues
0m,5 0,45 à peine sensible.
1  ,0 0,  9 sensible.
2  ,0 1,  8 modéré.
5  ,5 4,95 assez fort,
10  ,0 9,  0 fort.
20  ,0 18,  0 très-fort
22  ,5 20,  2 tempête.
27  ,0 24,  3 grande tempête.
36  ,0 32,  4 ouragan.
45  ,0 40,  5 ouragan qui déracine les arbres
et renverse les édifices.

Les vents qui se transportent avec ces vitesses plus ou moins grandes, doivent introduire des variations plus ou moins rapides dans les températures de chaque lieu ; ce sont donc de grands modificateurs de climats. Toutefois, ils ne peuvent agir sur la surface des continents comme sur la surface des mers où ils ne rencontrent aucun obstacle à leur passage ; mais en terre ferme, des plateaux élevés, des chaînes de montagnes les arrêtent ou changent leurs directions.

L’Asie est traversée de l’ouest à l’est par des chaînes de montagnes très-élevées qui doivent souvent mettre obstacle à la propagation des vents méridionaux.

Au sud de l’Asie aucune terre continentale n’est située dans la zone torride. On n’y trouve, sous l’équateur, que de très-petites parties des îles de Sumatra, de Bornéo, de Celèbes, de Gilolo.

Au sud de l’Europe, au contraire, les régions de l’équateur et de la zone torride sont occupées par la partie la plus large du continent de l’Afrique.

Si les atmosphères des diverses régions de la Terre se mêlent, dans le haut ou dans le bas, par un mouvement dirigé du sud au nord, l’Europe recevra de l’Afrique des courants bienfaisants ; l’Asie n’en jouira pas au même degré puisque les courants méridionaux ne pourraient lui arriver que de la mer.

M. de Humboldt a trouvé que, dans l’Amérique méridionale, l’étendue de la région montueuse est à celle des plaines comme 1 est à 4. Chacun peut concevoir, d’après ces chiffres, combien une modification sensible dans l’état physique des montagnes et conséquemment dans l’atmosphère qui les entoure, exercera d’influence sur la climatologie d’un pays tout entier.