Au Pays de Rennes/Canton Nord-Est de Rennes
CANTON NORD-EST DE RENNES
Le sifflet du bateau à vapeur de Saint-Grégoire se fait entendre et nous allons en profiter pour faire une excursion dans le canton Nord-Est de Rennes.
En face le cimetière, de l’autre côté du canal, sur la rive gauche, on aperçoit le moulin de Trublet, encadré dans un paysage de la rivière d’Ille. De nombreux ruisseaux se croisent en tous sens, se cachent sous les oseraies, se séparent un instant, se retrouvent plus loin et enfin s’unissent pour venir baigner le bas du coteau du faubourg d’Antrain.
Depuis moins d’un an de nombreux suicides ont eu lieu au moulin de Trublet.
Plus loin des bouquets d’arbres, de grandes futaies nous révèlent la présence de villas cachées au milieu de la verdure : C’est d’abord la Bellangerais, à M. Le Bastard, Maire de Rennes. Et au-delà du chemin de fer, d’un côté le Brossif et de l’autre la Brétèche.
La Brétèche est un ancien manoir, converti en habitation moderne, qui est loué, chaque été, par ses propriétaires à des familles de Rennes. Une chapelle y fut édifiée en 1715 par Sébastien Bodin, sieur de la Morandais, échevin de Rennes, et on y disait la messe les dimanches et jours fériés pendant la vie du fondateur.
Il y a dans le jardin de la Brétèche un écho qui répète plusieurs fois chaque syllabe prononcée.
Au détour, que fait le canal à cet endroit, on voit l’écluse de Saint-Grégoire, le rendez-vous des pêcheurs. Là, d’ailleurs, se trouvent de charmants petits coins soit près de la minoterie, soit au bord des caves profondes près du pont de fer, soit enfin au-delà de l’écluse. Le canal s’élargit jusqu’à Charbonnière et présente une superbe nappe d’eau entourée de glaïeuls, de menyanthes, de nénuphars, de joncs, de carex sous lesquels le poisson fait la sieste à l’abri des chauds rayons du soleil.
Le bourg de Saint-Grégoire, environné de petits chemins creux, avec sa vieille église entourée de son cimetière, ses nombreuses maisons de campagne, sa proximité du canal, ses prairies verdoyantes, son bassin calcaire et ses souvenirs, offre de l’attrait aux promeneurs, aux savants et aux poëtes.
Saint-Grégoire est antérieur au XIIe siècle, et on assure qu’il existait autrefois dans un des murs de l’église un appareil gallo-romain. Les seigneurs de la Plesse, du Désert et de la Sauldraye y avaient jadis leurs armoiries et leurs tombeaux.
En 1456, l’évêque Jacques d’Epinay excommunia cette paroisse pour venger l’insulte que lui avaient faite les habitants en refusant de lui payer une rente de froment.
Le bassin calcaire de Saint-Grégoire est une des curiosités des environs de Rennes. Ce dépôt coquillier servit jadis à la confection des tombes funéraires. Il est présentement utilisé pour l’agriculture. On y trouve des coquillages entiers, et entre autres le pecten solarium, des bryozoaires, du corail blanc, des madrépores, des vermisseaux tubulaires et des dents de squales atteignant des dimensions énormes.
On retrouve en Saint-Grégoire la trace de la voie romaine, dite chemin de la Reine Anne, s’en allant vers Melesse, et à un kilomètre du bourg les vestiges d’un camp romain.
La Saudraye (autrefois Sauldraye) est un antique manoir de Saint-Grégoire qui appartint à Raoul du Tronchay au XVe siècle, et à Jean Louail seigneur de la Sauldraye au XVIe siècle. Sa vieille chapelle existe encore, et l’on s’y rendait autrefois en procession aux rogations.
Sur l’autre rive, en face la Saudraye, se dresse, comme une sentinelle vigilante, une maison d’éclusier derrière laquelle s’étendent d’immenses prairies baignées par la rivière d’Ille. Cette rivière alimente le moulin de Charbonnière avant de se jeter dans le canal.
Du mois d’Octobre au mois d’Avril, on entend, au milieu des aulnes, sur le bord de l’Ille, le chant d’un petit oiseau appelé tarin qui se suspend aux branches à l’exemple de la mésange. Il est gracieux, élégant et, malheureusement pour lui, beaucoup trop confiant, car il se laisse prendre à tous les pièges. C’est à Charbonnière que les oiseleurs de Rennes vont faire la chasse aux tarins qu’ils vendent pendant tout l’hiver, le samedi, sous les halles des Lices.
Cet oiseau nous quitte à la fin de Mars pour aller nicher dans les sapins des Alpes.
Le tarin, aux couleurs variées, s’habitue facilement en cage, devient même familier et s’apparie avec la femelle du chardonneret et du serin.
On rencontre à Charbonnière, au pied d’un petit tertre, une fontaine dont l’eau est excellente et la source abondante même pendant les plus grandes chaleurs de l’été. Elle est appelée fontaine du bois de Charbonnière.
Nous suivrons le canal à pied jusqu’à Betton. C’est une promenade qui ne manque pas de charme.
Un peu plus loin que Charbonnière, et du même côté, se trouvent le grand ruisseau de la Ville-Asselin et le vieux manoir de ce nom, dépendant encore de Saint-Grégoire. Cette propriété, avant d’être dévastée par le chemin de fer possédait de superbes charmilles qui servaient de but de promenades aux élèves du Grand Séminaire.
Puis, nous arrivons à Roulefort, en Betton, qui est relié à la Busnelaye par une longue avenue de châtaigniers. La Busnelaye était, en 1513, à Guy, sire d’Espinay.
Roulefort, situé sur le bord du canal, a été construit sur un petit monticule au milieu d’un verger planté de grands arbres. Il appartint autrefois à la famille de Lantivy et est aujourd’hui à M. de Bréon.
Chose assez curieuse, toutes les campagnes de Saint-Grégoire à Betton, sont sur la rive gauche du canal. Cela tient sans doute à la configuration du sol. La rive gauche possède quelques accidents de terrain, tandis que la rive droite est complètement plate.
Au point où nous en sommes de notre promenade, le canal décrit une courbe qui allonge considérablement le trajet. C’est un arc allant vers l’ouest dont l’un des bouts est à Roulefort et l’autre à la Mesvrais. À l’extrémité de cet arc est l’écluse du Gacet dont le nom a encore été emprunté à un petit manoir bien délaissé présentement et qui appartient à M. Édouard Duclos.
Après le Gacet c’est, à gauche du canal, une importante minoterie et la vieille gentilhommière de Pont-Bran. À droite, le grand village de la Rinais et, un peu plus loin, le château de la Vallée, de construction moderne et qui a remplacé l’antique habitation de la Mesvrais (autrefois Mesveraye), à la famille Torquat.
Ce château de la Vallée est superbe avec ses belles avenues, ses petits sentiers sous bois, son ruisseau communiquant avec le canal et permettant d’y aller en bâteau, ses grands jardins et sa chapelle. C’est une des belles propriétés des environs de Rennes.
Il y a quelques années on remarquait, sur le bord de la route de Rennes à Saint-Malo, en face le bourg de Montgermont, mais sur le territoire de Saint-Grégoire, les débris d’une vieille croix en pierre sculptée qui devait être du commencement du XVIe siècle. On voyait d’un côté l’image de Saint Nicolas et de l’autre un prédicateur en chaire. Elle était appelée croix de Galisson, du nom de la ferme sur laquelle elle se trouvait. Les mères qui avaient de petits enfants atteints de convulsions, les conduisaient en pélerinage au pied de cette croix, et priaient Saint Nicolas de guérir ces pauvres petits êtres, de leur affreuse maladie. M. Torquat, son propriétaire, l’a fait transporter dans son jardin de la Vallée et l’a placée, sous de grands arbres, près d’une statue de Saint André provenant de l’ancienne chapelle de la Mesveraye.
En 1723, Gilles Serpin, sieur de la Mesveraye, présenta pour desservir sa chapelle Alexis Haligon, clerc tonsuré, en remplacement de Benoît Yvon, sieur de la Bertrie, prêtre démissionnaire.
Avant d’arriver à Betton, il ne nous reste plus à signaler que l’écluse du Vauchalet, l’usine et la minoterie de Betton.
L’usine traite tous les produits obtenus par la distillation du bois en vase clos. Les principaux sont : l’alcool méthylique, vulgairement appelé esprit de bois ; l’acide acétique, très employé en agriculture sous forme d’acétate de soude ou de chaux. Le résidu de la distillation donne du charbon de bois et des goudrons.
Encore quelques pas et notre voyage sera terminé. Du pont, sur le canal, qui précède l’entrée du bourg de Betton, on aperçoit, à gauche, plusieurs bras de la rivière d’Ille qui se réunissent à la place qu’occupait l’ancien moulin de Betton, aujourd’hui transformé en minoterie.
Si nous suivions un instant le cours de l’Ille, en allant vers le village des Landelles, nous rencontrerions de délicieux endroits. Les arbres s’inclinent sur l’eau, les branches s’enlacent, les fleurs des rives s’allongent démesurément dans la pénombre, et le tout forme des paysages qui, sur l’album d’un artiste, feraient de charmants fusains.
Betton, bâti en amphithéâtre sur un rocher, est dans une jolie situation. Aspecté au soleil levant, il domine la rivière d’Ille, le canal, un marais, de vastes prairies et le chemin de fer de Saint-Malo. Du haut du bourg on aperçoit la forêt de Rennes.
Cette paroisse dut son origine à un ancien prieuré dépendant de l’abbaye de Saint-Melaine de Rennes, qui existait dès le XIIe siècle.
De l’ancien manoir prioral, il reste encore, au milieu du bourg, près de l’église, un grand corps de logis flanqué d’une élégante tourelle. Cette habitation, qui a conservé de son ancienne splendeur de jolies fenêtres et de beaux jardins, est occupée par des religieuses institutrices.
La charmante propriété du Val-Richer, à M. Delalande, située au-dessous de la précédente, faisait jadis partie des dépendances du prieuré.
Il y eut parmi les prieurs de Betton de véritables personnages : l’un d’eux fut inhumé dans la cathédrale de Rennes, et l’on plaça sur sa tombe l’épitaphe suivante : « Cy-gist Messire Jacques Leduc, en son temps sieur de la Massaye, prieur de Béthon, chanoine de céans, décédé en décembre 1570 ».
Un autre, Claude Cornulier, fut aumônier et conseiller du Roi, abbé commendataire de Blanche-Couronne et prieur de Betton, vers 1635.
Dom Nicolas Tartarin succéda au précédent.
Le prieuré consistait alors en un manoir avec ses grange, cour, jardins, prairies et bois taillis. Une juridiction seigneuriale de moyenne justice à Betton, les dîmes grosses et menues en la même paroisse dans les traits de Launay, le Guérichet, la Touche, la Gaudière, la Renaudière, Mézière, Cottuel et moitié du trait de Vauchalet ; dix mines[1] de seigle dues, chaque année, à la Toussaint, par le recteur de Betton, et vingt-deux charretées de bois à prendre tous les ans dans la forêt de Liffré.
Le prieur avait en outre les bailliages de Gevezé et de Vignoc. Gevezé devait chaque année au prieur de Betton 15 livres monnaie, un coq, une paire d’éperons, deux esteufs[2] et « deux douzaines de ruban incarnat ».
En 1787, les religieux de Saint-Melaine affermaient le prieuré de Betton aux conditions suivantes :
2 400 livres ;
10 milliers de paille à conduire à l’abbaye ;
62 livres 8 sols à payer au recteur de Betton pour le service de deux messes par semaine dues par le prieur ;
7 livres 10 sols à la Fabrique pour le luminaire ;
6 livres 19 sols 3 deniers, à l’évêque de Rennes, pour droit synodal.
En 1762, l’abbesse de Saint-Sulpice-la-Forêt affermait les dîmes de Betton 40 livres.
La Seigneurie de Saint-Sulpice s’étendait dans la paroisse de Betton et comprenait les fiefs et masures de Rigué, Macheré, le Housset, la Béchère, etc., valant 7 livres 9 sols 4 deniers, 17 boisseaux d’avoine et 4 gélines[3]. L’abbesse devait pour ce fief, au seigneur de Betton, 14 sols de rente.
En 1773, l’abbaye de Saint-Melaine possédait des dîmes en Betton qui s’élevaient à 2 600 livres de rente. Et le recteur de Betton, une portion congrue de 450 livres de rente.
En 1792, les Carmes de Rennes étaient propriétaires des terres de Calœuvre et du Bas-Boussart en Betton.
Vers la même époque, les Cordeliers possédaient la métairie de la Trunay en Betton.
Les Minimes avaient la métairie de Maison-Neuve.
Etc., Etc.
La Châtellenie de Betton appartenait à la famille de Saint Gilles, dès le XIIIe siècle. Vers 1425, Jehan de Saint-Gilles fut chambellan du duc de Bretagne Jean V.
Cette châtellenie passa plus tard aux d’Argentré et aux Montbourcher qui avaient le droit de faire courir quintaine et de tenir un marché au bourg le lundi, et trois foires aux fêtes de Saint-Mathieu, Saint Yves et le lundi de la Pentecôte.
L’emplacement du château des seigneurs de Betton se voyait encore, il n’y a pas très longtemps, à la ferme appelée la Métairie, près de laquelle se trouvait aussi une motte féodale.
En 1860, le seigneur de Betton avait le droit, le jour de la foire Saint-Eloy, de prendre dans l’Église de Mouazé, sur l’autel Saint-Eloy, cinq sols des oblations faites, pour payer une paire de gants qu’il portait à ladite foire.
Nous avons, sous les yeux, un acte de vente de 1792 en tête duquel nous lisons :
« Par devant les notaires soussignés de la juridiction et chastellenie de Betton supérieure à celle des Gailleules-la-Louvraye, » etc.
On voyait autrefois dans le chœur de l’ancienne église de Betton, la porte du manoir prioral, et dans la fenêtre ogivale du chevet, une remarquable verrière représentant la légende de Saint-Martin de Tours, patron de la paroisse, avec le portrait des donateurs, les de Saint-Gilles. Quelques débris de ces vitraux ont été conservés au musée archéologique de Rennes.
Des fonts baptismaux de 1536, portant les armes des de Saint-Gilles, ont été vendus au musée de Cluny.
L’église nouvelle, sur le haut d’un rocher au milieu du bourg, est en bon style roman.
Betton fut pillé et incendié pendant la ligue, notamment en 1591, 1592 et 1597.
Enfin, il existe sur les filles de Betton et de Melesse un vieux dicton que nous ne pouvons écrire ici, mais que le lecteur entendra très certainement quand il ira se promener dans le canton Nord-Est de Rennes.
On peut revenir de Betton à Rennes par la route de Saint-Malo et s’arrêter un instant à Montgermont paroisse qui eût pour Seigneur, en 1356, Jean de Montgermont qui commandait une compagnie dans les armées de Charles V.
Le Château de Montgermont a disparu. Il reste encore dans la commune de Rennes, au nord-est de Pont-Lagot, quelques vestiges de celui de Montbarot qui était autrefois en Montgermont.
Dans le pignon ouest de l’église de cette dernière commune est encastrée verticalement une pierre tombale en granit. Un abbé, revêtu de ses vêtements sacerdotaux, les mains réunies sur la poitrine, est sculpté en petit relief à sa surface. Sa tête est surmontée d’une sorte d’arcature. L’inscription gothique qui règne tout alentour, sur une seule ligne, est assez bien conservée ; chaque lettre d’ailleurs est incrustée en plomb.
Voici ce qu’on en peut lire : « James de la Vizeulle qui decepda le XXIII jor de may mil IIIcc LXI et fonda trois messes en perpétuel a cest Aultier… priez por luy… »
Différentes armoiries se voient à l’extérieur de l’église, encastrées dans les murs, ou à l’intérieur, parmi les débris de l’ancienne verrière d’une fenêtre qui a conservé ses meneaux.
À côté de l’église, en face de la pierre tombale dont nous venons de parler, est une motte féodale entourée de fossés.
Montgermont a donné le jour au père Gérard, député de Rennes aux États généraux.
Il était cultivateur dans cette commune au moment de la convocation des États généraux et fut élu député du tiers état de la Sénéchaussée de Rennes. Il se fit remarquer par sa simplicité, son bon sens et sa franchise toute bretonne.
Il demanda, en 1789, la suppression du droit de bétail perçu dans la Bretagne, vota, en 1790, la suppression de toutes les banalités et sollicita ensuite l’augmentation du traitement des curés de campagne. Il fit décréter que tous les députés absents ou qui s’absenteraient, seraient privés de leur traitement. Il demanda ensuite que l’assemblée ne reçut aucun traitement tant qu’elle n’aurait pas terminé la constitution. Il revint dans son pays, après la session, cultiver ses champs avec la même simplicité.
Collot d’Herbois fit paraître, au commencement de la Révolution, l’Almanach du père Gérard, qui obtint un très grand succès.
Un petit journal politique, républicain, « Le Père Gérard » a paru au Mans, il y a quelques années ; il était rédigé dans un style simple approprié aux paysans. À l’époque des périodes électorales, on le répandait à profusion dans les campagnes bretonnes.