Au Pays des Peaux-Rouges/Appendice.

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Société de Saint-Augustin ; Desclée, De Brouwer et Cie (p. 233-236).


APPENDICE.

La chasse.


Toutes les tribus de l’ouest des Montagnes Rocheuses allaient, une ou deux fois l’an, à la chasse du buffalo dans les régions où ces animaux erraient en troupeaux de plusieurs milliers. Il y a une douzaine d’années, un Américain qui portait le courrier d’Helena à Benton, distance d’environ 175 milles, fut forcé de s’arrêter pendant dix heures sur les bords du fleuve Sunriver (rivière du Soleil) pour laisser passer un de ces troupeaux, lequel pourtant galopait à toute vitesse. Il devait donc y avoir là plusieurs milliers de bufîalos. Les Indiens consacraient à ces chasses environ quatre mois de l’année ; un peu plus d’un mois à l’aller et autant au retour, et plus de quarante jours à la chasse.

Ceux qui y prenaient part emmenaient toute leur famille avec de nombreux chevaux qui portaient les bagages, tentes, couvertures, provisions, haches, couteaux et autres ustensiles. Les Yakima et les tribus voisines avaient à parcourir plus de 600 milles ; les Cœurs d’Alêne plus de 400, les Têtes-Plates plus de 200, tandis que les Corbeaux, les Pieds-Noirs, les Gros-ventres et les autres tribus à l’est des Montagnes Rocheuses n’avaient à faire que peu de chemin. Parfois ils devaient traverser les plaines à l’est du Montana à la poursuite du buffalo qui lui-même parcourait des centaines de milles.

Pour ces chasses, les Indiens ont de petits chevaux très rapides qu’ils montent merveilleusement. Lancés à la poursuite des buffalos, dès qu’ils les voient à portée de fusil, ils tirent, tout en courant à bride abattue, jusqu’à ce qu’ils aient disparu, ou que les chevaux soient épuisés, ou la nuit venue, laissant derrière les bêtes tuées ou blessées.

La chasse terminée, ils reviennent à leur campement, et chacun raconte combien de buffalos il a tué pendant la journée et en quel endroit. Le lendemain toute la famille : hommes, femmes et enfants, vont dépecer les buffalos tués ; les femmes emportent sur des chevaux les peaux et les quartiers de viande, laissant les os et les intestins. Quand la chasse est abondante, ils prennent les meilleurs morceaux, la langue et la peau, et laissent tout le reste en pâture aux loups, aux ours et aux oiseaux de proie. Les jours suivants, pendant que les hommes retournent à la chasse, les femmes préparent la venaison, la coupent par tranches et la font cuire à petit feu, pour la conserver des semaines et des mois entiers. S’il leur reste du temps, elles préparent aussi les peaux, et, par un travail de plusieurs semaines, les rendent assez souples pour en faire des couvertures, des chaussures et même des bottes et (les habits pour les hommes. Une dizaine de jours plus tard, quand les buffalos décimés se sont éloignés, les chasseurs lèvent le camp et transportent leurs tentes là où ils comptent retrouver les troupeaux, à la poursuite desquels ils s’élancent de nouveau.

Les Indiens catholiques ne font plus ces chasses ; depuis que, sous la direction des missionnaires, en même temps que bons catholiques ils sont devenus bons cultivateurs, ils tirent plus de profit de la culture que de la chasse, et leurs mœurs sont moins exposées à se corrompre que dans ces expéditions ou ils se trouvaient mêlés à toutes sortes de gens grossiers. Les tribus chrétiennes conservent encore ce qu’ils appellent la petite chasse, c’est-à-dire la chasse au cerf et au chevreuil dans leurs forêts. Cette chasse se fait toujours par des gens de la même tribu et généralement après les fêtes de Noël, lorsqu’ils reviennent de la Mission. Ceux qui veulent y prendre part, se réunissent entre eux et choisissent un chef, lequel autrefois devait être inspiré du grand Sunmesch (grand Esprit). Celui-ci fixe le jour du départ et le lieu du rassemblement où se rendent tous les chasseurs avec leurs familles et leurs bêtes de somme. Le premier soir, ils tiennent conseil et le chef, après avoir pris l’avis de tous, assigne à chacun son office et le poste qu’il doit occuper parmi les chasseurs rangés en cercle : ce cercle est d’autant plus grand qu’il y a plus de chasseurs : ainsi, pour quarante hommes, il a de quatre à cinq milles de circonférence.

Dès avant l’aube, un des chasseurs, désigné par le chef, suspend à des pieux, dans un des secteurs du cercle, des peaux de cerf à moitié brûlées, à 70 ou 100 pas de distance l’une de l’autre ; les chasseurs s’embusquent dans les trois autres secteurs, à 200 pas l’un de l’autre. Le cerf, qui veut sortir de l’enceinte, sent l’odeur des peaux brûlées et fuit vers le chasseur ; aussitôt qu’il l’aperçoit, il revient en arrière ; alors les chasseurs, sur un signal donné, s’avancent de conserve, rabattent les cerfs vers le centre, et quand ils en ont réuni un grand troupeau, ils en font à coups de fusil un véritable massacre. Ainsi, dans une seule journée de l’année passée, les chasseurs Spokanes en ont tué plus d’une centaine. À la tombée de la nuit, ils retournent au camp, mourant de faim et brisés de fatigue, n’ayant rien mangé depuis le matin, et ils s étendent sur leurs peaux de buffalos. Les femmes allument du feu pour réchauffer les chasseurs et préparer leur repas. Le lendemain ils s’en vont chercher les cerfs tués, les rapportent au camp où on les distribue de la manière suivante ; la peau, les pieds et la partie antérieure de ranimai reviennent à celui qui l’a tué ; la tête au chasseur qui était le plus rapproché de lui ; les épaules et les jambes, à la communauté. Et voilà toute une tribu en fête !


FIN.