Au camp de Soltau/6

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La Semeuse (p. 29-31).


VI

La nourriture.


Le gouvernement, au pouvoir duquel se trouvent les prisonniers de guerre, est chargé de leur entretien.

À défaut d’une entente spéciale entre les belligérants, les prisonniers de guerre seront traités pour la nourriture, le couchage et l’habillement sur le même pied que les troupes du gouvernement qui les aura capturés. (Art. 7 règlement sur les prisonniers de guerre. Conf. de La Haye 1907).


Les deux dernières conditions n’ayant pas été respectées, nous allons démontrer également qu’en ce qui concerne la nourriture, une fois de plus, les engagements pris ne furent pas respectés, ou bien, si nous avons réellement reçu la nourriture du soldat allemand, il faut bien convenir que de toutes les armées européennes, il est certainement le plus mal nourri.

L’organisation de la distribution a été de tout temps défectueuse. Pendant le mois de septembre, les hommes restaient plus de deux heures dans les rangs pour obtenir leur maigre pitance.

À titre documentaire, voici le menu de notre nourriture pendant une semaine en avril 1915.

La ration journalière de pain est d’environ 150 grammes, pain noir, dans la composition duquel entre différents produits, dont sûrement de la fécule de pomme de terre et de la farine de paille (c’est-à-dire paille finement moulue).

  Matin     Midi Soir
     
Dimanche. »
»
»
»
Infusion
d’avoine
brûlée
ou
de
glands
torréfiés.
»
»
»
»
Rutabaga. Orge.
Lundi. Stockfisch. Soja.
Mardi. Betteraves. Péricarpe d’orge avec paille finement hachée.
Mercredi. Soupe
Orge avec viande conservée. Cassures de riz.
Jeudi. Betteraves. Soja.
Vendredi. Rutabaga. Farine de maïs.
Samedi. Fécule de pomme de terre. Péricarpe d’orge

Que de bols de soupe d’une couleur peu appétissante et d’un goût douteux avons-nous dû avaler, les morceaux de boudins blancs puant le camphre, les caillots de sang enveloppés dans du papier et distribués sous le nom de saucissons, les morceaux de fromage moisis et les harengs pourris, et les rations de pain trop vieux, garnies de moisissures et de petits champignons.

La soupe aux prunes avec des morceaux de viande conservée d’un goût écœurant, aux haricots moisis, à la panse de vache ou à la viande de chien ne nous a pas fait défaut. Si vous y ajoutez comme hors-d’œuvre les quelques coups de crosses, de bayonnettes ou de matraques distribués généreusement dans les rangs en attendant le moment de recevoir sa ration, vous serez convaincus sans peine que peu de prisonniers belges ou français sont désireux de retourner goûter la cuisine germanique.

Le lecteur a maintenant une idée de ce que fut notre nourriture à Soltau.


En 1917, notre menu se composait exclusivement comme suit :

Une tartine d’un pain fabriqué avec de la bruyère moulue, de la sciure de bois et autres saletés ;

Matin : une louche d’une infusion de gland ;

Midi : rutabagas cuits à l’eau ;

Soir : une louche d’une infusion, on n’a jamais su au juste ce que c’était !

Les résultats d’une nourriture semblable sont là : les malheureux qui ne recevaient pas suffisamment de colis pour améliorer un ordinaire semblable sont à l’heure actuelle tuberculeux ou dorment leur dernier sommeil en terre ennemie.