Au chevalier de Bouillon, en 1711

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Au chevalier de Bouillon, en 1711
Œuvres de ChaulieuPissotTome 1 (p. 110-115).

RÉPONSE À M. LE CHEVALIER DE BOUILLON.

Le beau tableau de Ténieres que vous m’avez envoyé, Monseigneur, qu’il est bien peint, et qu’il est vrai !


Dans cette peinture charmante
J’ai reconnu l’Auteur de certaine Chanson
Qui de manière si galante
Affubla Bertrand et Raton ;
Que cette paire malfaisante
N’a, depuis ce jour-là, repris,
Par Épigramme ou Vaudeville
Les ridicules de Paris :
Ce qui fait que l’essor ont pris


Tous les fats de la bonne Ville,
Si haut, et de telle façon,
Qu’il faudra bien que d’Argenson,
Ce savant Maître de Police,
Dans chaque quartier rétablisse
Bureaux où l’on fasse Chanson,
Le tout pour corriger le vice.

Des Bureaux qu’on établira,
Le premier, au bord de la Seine
À l’Hôtel de Bouillon sera ;
Et quatre fois de la semaine
Pour le bien public s’ouvrira ;
Et là, d’une facile veine,
Le Chevalier chansonnera


Quiconque le méritera ;
Et fera Vers sur la bedaine
Du Céladon de l’Opéra,
Si qu’enfin le corrigera ;
Mais je crois plutôt que sa peine
Et que son temps il y perdra.

Le second Bureau se tiendra
Butte S. Roch, dans une rue
Que maint Vaudeville a rendue
Très fameuse sur ce point-là.
C’est dans cette aimable boutique
Que revient l’esprit qui pinça
La Fare, et qui rendit publique
L’avanture tragi-comique
De la Belle qu’il écrasa.
Là toujours cet esprit viendra,
Et toujours avec lui sera
Muse goguenarde et caustique,
Qui, tandis que fat il sera,
Sans cesse les chansonnera.

Si vous ne trouvez pas assez de Bureaux établis pour la correction du grand nombre de fats qui inondent Paris, dont il nous est venu une nuée du coté des bords du Lignon, il faudra bien dans notre Marais, et vers la rue —— établir aussi quelque Bureau ; et, en cas de besoin, nous en établirons un dans le Temple même. Je ne sais pas bien qui sera le Chansonnier qui y fera sa résidence ; mais la place ne sera pas vacante longtemps, et il se trouvera toujours quelque homme de bien, quelque bonne ame, qui, par le seul zele du bien public, fera quelques petits couplets de chansons, le tout pour l’édification du Prochain. Voilà, je crois, M. le Chevalier, un établissement nouveau, qui ne sera point à la charge du public, mais bien à l’extirpation du fatuisme ; chose qui, je crois, sera de votre goût, et de celui de M. d’Argenson qui le hait autant que nous.