Au clair de la dune/Fruits de la mer

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Théo Hannon ()
Dorbon aîné (p. 87-90).

XXXIX

FRUITS DE LA MER



Ma poissonnière est non moins fraîche
Que les fruits nacrés de la mer
Qu’elle détaille… Rien d’amer
Dans tout son être, et rien de rêche.

Il faut la voir, le vendredi,
Jour de Vénus et de marée,
Trôner, pimpante, chamarrée,
Au comptoir de persil verdi.


Sa main plus rose que l’ouïe
Des goujons au reflet changeant,
Sert les poissons d’or et d’argent
À sa clientèle éblouie.

Il faut la voir aller, venir,
Dans sa boutique fabuleuse
Où la pêche miraculeuse
Semble étaler son souvenir.

Pour lui plaire, sa marchandise
Adoucit ses bouquets salins,
Les homards deviennent câlins
Les moules se font friandise.

Rivales des beaux harengs-saurs,
Près des turbots tout ronds aux teintes
Blafardes de lunes éteintes,
Les carpes allument leurs ors.

Les saumons aux mines paternes,
Voisins des caviars rancis,
Comme des amoureux transis
Ouvrent de grands yeux ronds et ternes.


Sur les hauts rayons consacrés,
L’enfilade des coquillages
En vain combat les maquillages
De son oreille aux feux nacrés.

À ses pieds les crabes oranges
Frôlés du bas de son jupon,
Semblent des monstres du Japon
Fondus dans des bronzes étranges.

Les maquereaux, poissons… de cœur
Exagérant leurs dos infâmes
Dont raffolent certaines femmes,
La contemplent d’un air moqueur.

Les piments aux lueurs de forge
Dans les bocaux de cornichons,
Tirent la langue à ses nichons
Que jalousent les airs de gorge

Des citrons effilés et mûrs…
Son derme offre de plus beaux lustres
Que les boites — aux noms illustres —
Des conserves luisant aux murs.


Rousse, en effet, ses chairs prônées
Se paillètent à l’infini
Des lenticelles d’or bruni
Qu’on aime aux truites saumonées.

À son rire victorieux
Les rougets rougissent, bégueules,
Et les cabillauds ont des gueules
Béates de michets sérieux…

Telle Vénus sortant de l’onde
Dut voir une cour de poissons
Pâmée en d’étranges frissons
Autour de sa majesté blonde !