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Au fait, au fait !!! Interprétation de l’idée démocratique/14

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XIV.


Il y a, cependant, dans cette partie saine de la nation, dans ce noyau du bon sens public, des gens qui craignent de voir clair dans cette situation ; des gens qui ne peuvent pas se résoudre à comprendre qu’en se saignant désespérément pour entretenir cinq cent mille employés et autant de mille soldats, ils retirent un million d’hommes de la production et créent, au profit de je ne sais quel Minotaure, un parasitisme officiel dont l’attitude formidable dessèche dans le cœur du pays la confiance et le crédit, source unique à laquelle ce même parasitisme vient cependant se désaltérer.

Ceux-là perpétuent la crise et ils la perpétuent parce qu’ils ont peur !

Ils ont peur des socialistes ; ils ont peur pour leur propriété ; ils ont peur pour leur religion ; ils ont peur pour leur famille !

Ils ont peur des socialistes ?… De quels socialistes ont-ils peur ?

Il y a les socialistes de Fourier.

Il y a les socialistes de Pierre Leroux.

Il y a les socialistes de Proudhon.

Il y a les socialistes de Considérant.

Il y a les socialistes de Louis Blanc.

Il y a les socialistes de Cabet.

Il y a, enfin, les socialistes que je connais et puis ceux que je ne connais pas et que je ne connaîtrai jamais, car le socialisme se morcelle, se subdivise, se diversifie et se sépare par sectes, comme tout ce qui n’est pas défini or, le socialisme n’est pas défini.

Le socialisme est, en somme, un système philosophique très obscur, fort compliqué, extraordinairement embrouillé, que des hommes d’érudition sont obligés d’étudier avec une attention minutieuse pour en venir le plus souvent à n’y rien comprendre du tout.

Le socialisme, d’après ce qu’il est possible de saisir dans l’ensemble de ses propositions, veut faire de la société une immense ruche dont chaque alvéole recevra un citoyen auquel il sera enjoint de rester coi et d’attendre patiemment qu’on lui fasse l’aumône de son propre argent. Les grands dispensateurs de cette aumône, percepteurs suprêmes des revenus universels, formeront un état-major, passablement renté, qui, en se levant le matin, daignera satisfaire l’appétit public ; et qui, s’il dort plus longtemps que de coutume, laissera trente-six millions d’hommes sans déjeuner.

Le socialisme est une tentative d’équilibre géométrique dont la démonstration, — fondée sur un principe d’immobilité, — ne saurait avoir pour base les sociétés humaines essentiellement actives et progressives.

Le socialisme est une spéculation abstraite, comme l’administration actuelle est une spéculation abstraite : le peuple qui ne comprend pas celle-ci, ne comprend pas non plus celle-là ; or, le peuple n’adopta jamais librement ce qu’il ne comprit point.

Le socialisme, pour tout dire, veut faire les affaires du peuple et il vient pour cela trop tard, ou je me trompe fort.

Mais les socialistes sont des philosophes qui ont, pour professer leurs doctrines, le même droit qu’ont leurs adversaires pour professer les leurs. De même qu’il appartient au peuple de juger ceux-ci, de même aussi lui appartient-il d’apprécier ceux-là.

Nul ne peut se mettre à la place du peuple pour prononcer la condamnation ou reconnaître l’excellence d’une doctrine ; car, dans cette diversité de goûts et de penchants qui diaprent la société, il n’y a pas de doctrine qui soit mauvaise pour tous, il n’y en a pas non plus qui soit bonne pour tous.

La tolérance, dans l’ordre théologique, n’a pas résolu le problème de la concorde civile ; ce problème repose encore sur la tolérance dans l’ordre social et politique.

Les religions d’Etat ont occasionné, durant des siècles, des discordes et des égorgements qui nous font maintenant pitié.

Les doctrines d’Etat font ruisseler aujourd’hui un sang généreux que nos enfants recueilleront pour ériger un monument à notre honte !

Nous avons anéanti les religions d’Etat ; qu’attendons-nous pour écraser les doctrines d’Etat ?

Si nous ne voyons point d’inconvénient à ce que ceux qui veulent des églises, des temples ou des synagogues fassent construire, à leurs frais, des églises, des temples et des synagogues sur des terrains qui leur appartiennent en propre ; je ne vois point quels inconvénients on peut trouver à ce que ceux qui veulent des couvents, des phalanstères ou des palais, fassent construire, à leurs frais, des couvents, des phalanstères et des palais sur des terrains qui leur appartiennent en propre.

Et s’il est élémentaire de laisser aux Catholiques, aux Protestants et aux juifs la faculté d’entretenir, à leurs frais respectifs, dans ces églises, dans ces temples, dans ces synagogues, des prêtres, des ministres et des rabbins ; il est tout aussi élémentaire que les moines, les socialistes et les hommes de cour aient le droit d’entretenir, à leurs frais respectifs, dans ces , couvents dans ces phalanstères, dans ces palais, des supérieurs, des patriarches et des princes.

Toutes ces choses entrent dans les accommodements du goût, de la foi, de la conscience de chacun, et l’on peut être tout à la fois un moine, un socialiste, un homme de cour et un excellent citoyen ; car les religions qui doivent rester étrangères aux lois de l’Etat, ne dispensent point de l’obéissance aux lois de l’Etat.

Mais ce qui renferme au moins autant de bouffonnerie, que d’étrangeté, c’est la détermination prise par une myriade de systèmes de tenter des campagnes politiques ; et leurs prétentions respectives de faire contribuer toute la nation aux frais de leur établissement et à l’inauguration de leur autorité à titre public et national !

Il ne nous manque plus que de prêter cinq cent mille baïonnettes à un saltimbanque pour que la cabriole devienne une doctrine sociale et pour que les volontés et les caprices de polichinelle soient convertis en lois de l’Etat.

Nous sommes, certes, bien près d’en venir là, et je ne répondrais pas que nous n’y soyons déjà.

Mais j’ai assez digressé sur ce sujet. Reprenons :