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Au fait, au fait !!! Interprétation de l’idée démocratique/19

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XIX.


Avec la maîtrise gouvernementale, telle que l’ont possédée les administrations déchues et telle que nous l’avons conservée jusqu’à ce jour, on peut hardiment porter un défi à tout homme qui aura sérieusement accepté les fonctions publiques ; c’est de diminuer le personnel des deux armées formidables qui pèsent tout à la fois et sur les libertés et sur la fortune de la France : l’armée des bureaux et celle des casernes. On peut le défier, par conséquent, non pas de proclamer la liberté, c’est fait et j’en ris, mais on peut le défier d’introduire cette liberté dans les faits et de l’amener à être autre chose qu’une lettre morte !

À plus forte raison peut-on le défier de réduire l’impôt. Bien plus ! il lui est défendu de le maintenir à seize cents millions, chiffre monstrueux et dont, cependant, l’insuffisance peut être aisément démontrée par quiconque n’est pas ministre des finances.

Voilà, dans l’ordre réel, ce qu’accomplit la maîtrise gouvernementale : l’esclavage et la ruine.

Cette maîtrise, en s’attribuant le droit de régler à sa fantaisie les mouvements et la pensée de chaque citoyen, a produit, dans l’ordre moral, un résultat non moins déplorable, vraiment ! elle a tout légalisé.

Eh bien on se tromperait étrangement, si l’on croyait que la légalité porte dans ses entrailles chicanières le germe de la probité humaine !

La législation de la France n’est pas fondée sur le respect des individus ; elle est fondée sur le principe de la violation du droit public ; car, à sa base, est consacrée lèse-majesté, le respect du roi, de l’empereur, du gouvernement. Le droit n’a jamais eu chez nous la sanction sociale ; il n’a eu que la sanction royale, la sanction des suprématies gouvernementales dont le caractère a toujours été de protéger les minorités.

Notre législation est donc immorale, car elle est impopulaire !

Cette législation, d’ailleurs, nécessairement postérieure aux vices qu’elle veut réprimer, n’est réellement que la consécration de ces vices. Un code m’enseigne bien plus ce que je dois éditer que ce que je dois faire ; et, dans son esprit, je pratique assez convenablement le bien, lorsque je m’abstiens du mal. Or, ceci peut introduire un leurre fondamental dans les croyances publiques ; car l’homme habile, confronté avec la loi, se trouve avoir la même physionomie qu’un homme véritablement vertueux.

L’homme légalement honnête est celui contre lequel nul grief n’a été prouvé ; mais un homme adroit n’est pas sans titres pour réclamer les bénéfices de la même définition ! celui qui a fait le mal dans l’ombre, sans témoins et autour de l’écueil habilement évité de la lettre prohibitive des lois, celui même qui jouit de la protection du juge, est aussi un homme contre lequel nul grief n’a été prouvé. Celui-là, aussi, est un honnête homme ! et il aurait d’autant plus de tort de suivre la loi de l’équité sociale, la règle de la moralité, que l’évangile légal est là sous ses yeux, qu’il a le champ libre sur les cas imprévus, qu’il pourvoit, par l’habileté, aux cas prévus, et auquel, en définitive, il reste l’amitié du juge.

Selon la légalité, donc, l’équité ressort de l’arrêt du tribunal, et la conscience publique est vaincue par la conscience du code.

La légalité ! mais en poussant le corps social dans la légalité pure et simple, les gouvernements ont créé et mis au monde la supercherie, cette poésie du pugilat !

L’homme, mis en demeure d’avoir du génie, pour éviter le piège que lui tend le législateur, ne se donne même plus la peine d’être hypocrite. Après avoir habilement échappé à la prévoyance de la loi, il s’en vante comme d’un fait qui doit le recommander à ses contemporains ; il a joué au plus fin avec le code, et la victoire lui est restée : c’est un être supérieur !

Il va sans dire que notre législation, formant des recueils savants, dont l’examen et l’interprétation n’appartiennent qu’aux érudits, n’a pu atteindre la moralité des gens simples qui ont toujours été et qui ne cessent pas d’être la curée des légistes.

Voilà, donc, ce que nous a laissé le travail tant vanté des assemblées législatives : un code célèbre, pierre tumulaire élevée par le deuil public sur le tombeau de la vertu ! chaque vice, en passant, est venu tracer sa devise sur ce livre glacé, et, comme plus les devises sont nombreuses, plus le code est beau, plus aussi le code est beau, et plus la société est pervertie.