Au fait, au fait !!! Interprétation de l’idée démocratique/20

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XX.


Une chose qu’il ne faut jamais se lasser de répéter, c’est qu’il n’y a de moralité que chez les peuples libres, et les peuples libres sont ceux dont le gouvernement, parlant fort peu la langue nationale, parle surtout les langues étrangères ; le gouvernement des démocraties est principalement diplomate.

Chez nous, qui dit gouvernement, dit la République, l’État, la Société. Ces mots, en effet, de République rouge, de République tricolore, etc., qui lassent notre patience, ne signifient que gouvernement rouge, gouvernement tricolore, etc. Pour le monde officiel, donc, le gouvernement c’est la République.

Qui croit-on tromper ici ?

Les hommes d’aujourd’hui, bien différents de ceux d’autrefois, sentent, s’ils ne comprennent point, que leur être et leur avoir sont entièrement séparés du fait administratif. Ils le sentent si bien que, tout en laissant, par un reste d’habitude, s’établir un gouvernement sur le modèle antique, ils se retirent effectivement de lui, ne lui accordent point leur confiance, et ne consentent à l’aider de leur concours matériel, qu’en maugréant, et par force et par peur aussi ; ils le sentent si bien qu’ils s’avisent de contrôler, sur la place publique, les actes de l’administration. Or, un pouvoir, dont les actes sont contrôlés, est frappé de déchéance en droit, car il est mis en question.

Mais cette erreur, qui consiste à réfugier toute la société dans le symbole gouvernemental, est puissamment incrustée dans les croyances publiques.

L’empire de la tradition en a fait un article de foi national, qui se trouve chaque jour en opposition plus directe avec la volonté et le sentiment publics.

Ainsi, tout le monde sait qu’un mouvement populaire ne met en danger que la fortune officielle de quelques hommes ; mais les feuilles publiques et les proclamations, portant que le mouvement met la société en péril, la nation admet la chose sans se l’expliquer.

Si je voulais adopter le raisonnement des gens habiles, qui se servent dans leur intérêt particulier des forces que la société leur confie, cela me conduirait à une conclusion curieuse, décevant commentaire du tumultueux spectacle des révolutions !