Au pays de l’esclavage/12

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Maisonneuve (p. 126-128).


UNE CHASSE À L’ÉLÉPHANT[1]


En passant près de Bogami, village situé sur l’Oubangui, à 30 kilomètres environ de Bangui, les Banziris qui me convoyaient aperçurent, près de la rive, un éléphant de très grosse taille.

Je garnis rapidement mes poches de cartouches, mon ordonnance en fait autant et pendant que mon boy prépare d’autres paquets, je fais approcher la pirogue du monstre dont l’attention n’était pas encore éveillée. Trois pirogues dont les pagayeurs sont un peu inquiets sur l’issue de l’affaire se tiennent prudemment à l’écart.

Quand nous fûmes à une cinquantaine de mètres de l’éléphant, je commençai le feu.

L’énorme animal prenait ses ébats dans l’eau et aux premières balles, sans manifester d’émotion, bien que blessé, il remonta tranquillement la berge et disparut dans la forêt.

Je pris terre aussitôt et, suivi de deux sénégalais et de mon boy, je me précipitai à sa poursuite.

Le sang que l’éléphant perdait en grande abondance nous guida. À peine avais-je fait deux cents mètres sur ces traces, qu’un bruit épouvantable d’arbres abattus et de branchages cassés se fit entendre.

L’éléphant revenait au grand trot vers la rivière. Brusquement je me jetai de côté et il passa près de moi, sans me voir.

Il balançait sa trompe furieusement à droite et à gauche, et secouait douloureusement sa tête saignante.

C’est là que nous le visions : de nombreuses balles de fusil Gras se logèrent dans son crâne, avant qu’il eût atteint la rivière.

Il s’y précipita et pendant que nous le fusillions encore du haut de la berge, il aspira longuement de l’eau dans sa trompe et en aspergea ses blessures.

Nous étions presque à bout de cartouches, l’animal résistait à la mort.

Vainement, il essaya de remonter sur la berge. Sa masse énorme vacilla sur ses jambes qui flageolaient et il tomba sur le flanc en poussant un cri douloureux.

Tous les indigènes, jusqu’alors cachés dans la brousse, se précipitèrent à la curée. C’était à qui enlèverait le plus gros morceau de viande.

En un clin d’œil 1000 kilos de viande furent embarqués dans les pirogues et ce n’est qu’à regret que plus de la moitié de l’animal fut abandonnée aux gens de Bogami.

La chair de l’éléphant est très mangeable. La trompe, quand l’animal n’est pas trop vieux, est le morceau de choix.

Les défenses de celui-ci pesaient 51 kilogrammes, et quand on les enleva on constata que l’éléphant avait plus de soixante blessures et trente-sept balles dans le crâne.



  1. Cette chasse a été faite par M. Briquez, de la mission Maistre, qui en conta les péripéties à M. de Béhagle, d’après les notes de qui nous la racontons.