Augusta Holmès et la femme compositeur/01

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Librairie Fischbacher (p. 13-15).


I

Évolution dans l’art musical


De l’examen des compositions d’Augusta Holmès il résulte deux remarques expliquant, je crois, le sort si différent que hier et aujourd’hui accordent à des ouvrages en qui rien n’a changé : c’est d’abord l’évolution, si accentuée en ces derniers temps, dans l’art musical et dans l’appréciation du public pour cet art. Je n’ai pas à commenter les métamorphoses survenues de part et d’autre, progrès souvent, aberration parfois, dont il semble que le principe soit de brûler ce qu’on adora et d’adorer ce que naguère on eût brûlé comme oeuvre d’obscure sorcellerie. Évidemment notre sens de la musique s’est affiné, l’éducation de notre oreille s’est à tel point perfectionnée, que certains musiciens condamnent irrémissiblement toute mélodie accessible au commun des mortels. Jusqu’aux plus fidèles partisans des anciennes formules qui sentent fléchir leurs convictions et branler leur admiration pour Meyerbeer ou Gounod !

On doit se réjouir de ces revirements dénotant une épuration du goût, surtout quand on songe aux déconcertants jugements d’Aristarques d’antan, accusant Beethoven d’obscurité et d’aliénation, tournant en dérision les plus sublimes pages de Wagner, affolant, par leur ignorance, notre génial Berlioz et allant jusqu’à réserver devant l’éblouissante « Carmen » !

À constater ces phénomènes de l’erreur et de l’incompétence humaine, on devient indulgent pour les modernes snobs, donnant tête baissée dans les opinions nouvelles, et croyant affirmer leurs hautes connaissances en accueillant par une moue dédaigneuse la divine simplicité de Mozart, — qui, lui aussi, fut trouvé peu clair par certains de ses contemporains. — Et ma foi, on n’ose plus se montrer ahuri à l’audition de sonorités si confuses et compliquées, qu’il est impossible de distinguer en quel ton, pour quelle mesure et dans quel sens elles furent perpétrées. Après tout, il peut y avoir encore, parmi ceux qui nous semblent peu compréhensibles, un artiste d’avenir ; il serait abominable de le décourager, et qu’importe le présent, nos partialités, nos doutes ou nos convictions ? Seul, le temps rend des jugements stables et, sans se tromper, sépare l’ivraie du bon grain, faisant croître celui-ci et l’érigeant invincible, tandis que celle-là s’étiole et disparaît.

En dépit de livrets absurdes, de mélodies proscrites de nos jours, ou de grands airs bien écrits pour mettre les voix en valeur – de quelle façon bannis chez nos jeunes compositeurs !! — les opéras de Gluck, de Mozart, de Weber, de Haendel, de Rameau, demeurent et demeureront tant qu’il existera un musicien ; il n’y a ni mode, ni cerveaux en mal d’étrangeté, ni esprits arriérés, ni esthétique bornée, capables d’éteindre les flammes du génie, ou d’amoindrir ce qui nous vient des Bach, des Haendel, des Schumann, et de tant de maîtres tenant plus de Dieu que de l’homme.

Combien paraît exacte, en même temps que profonde dans sa modestie, cette phrase de Beethoven « Toute véritable production artistique est indépendante ; elle est plus puissante que l’artiste qui l’a créée, elle retourne à sa source, à la divinité, et n’a d’autre rapport avec l’homme que de témoigner de l’intervention divine en lui. »

On peut ajouter que ces productions sont immortelles, et triomphent de toutes atteintes. Mais justice est également rendue pour les œuvres moins inspirées et châtiées, bientôt disparues, même de nos souvenirs.

C’est ce qu’il advint de la musique d’Augusta Holmès. Holmès, qui très sincèrement s’autorisait de Wagner — symphoniste puissant entre tous — et croyait en suivre l’école, était simplement une mélodiste, à l’imagination féconde et ardente. Son « genre » pouvait encore, il y a vingt ans, convenir au goût du public, mais il ne frayait aucun sentier nouveau, indépendant des routes trop connues dont chaque jour les musiciens raffinés allaient se détourner, avec, de plus en plus, indifférence ou dédain, et, — défaut irrémissible, — il ne se soutenait pas par la pureté de forme ou d’inspiration qui est le côté invulnérable de nos classiques. Aussi dès que l’auteur ne fut plus là pour vivifier ses compositions de sa vie intense, les animer de son âme ardente, de ses habiles doigts de pianiste et de son émouvante voix, elles s’affaissèrent comme des marionnettes que le montreur abandonne, et, maintenant, s’effacent sous le linceul de l’oubli.