Augusta Holmès et la femme compositeur/06

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Librairie Fischbacher (p. 30-31).


VI

Les erreurs fondamentales d’Augusta Holmès.


Ce qu’on ne s’explique pas de la part d’une artiste intelligente et ambitieuse musicalement comme l’était Augusta Holmès, c’est son imprévoyance. Alors que son tempérament, ses goûts, la portaient vers les grands sujets symphoniques, elle se contenta, pour les aborder, d’une science dont ne devaient s’accommoder qu’en se gênant fort, Symphonies et Opéras. Décidée à un voyage au long cours, elle s’embarqua munie du léger bagage approprié à une brève excursion.

Une autre singularité de la part d’Holmès : Wagner excita chez elle le plus vif enthousiasme, et d’emblée elle se déclara Wagnérienne passionnée. Il est curieux de constater cette faculté, cette spontanéité, pour admirer un novateur — combien discuté ou nié à l’époque ! — de la part d’une femme dont l’œuvre nous paraît si routinière. Le plus extraordinaire, c’est qu’Holmès subissait l’ascendant de Wagner sans bien se rendre compte de l’exacte valeur de ce qu’elle admirait, ni de la véritable cause de l’admiration ressentie. Elle attribuait ce qui provenait d’une source géniale et de la science la plus transcendante, à des procédés facilement assimilables, et s’imaginait marcher dans les pas de l’auteur de la Tétralogie en écrivant, à son exemple, les poèmes de sa musique et en cultivant le « Leit-Motiv » ).

Malheureusement, ces moyens, loin de hausser l’ambitieuse imitatrice jusqu’à son trop colossal modèle, semblent plutôt l’avoir desservie, en détournant une application, dont des parties fondamentales eussent pu bénéficier, au profil d’un système, intéressant, déplaisant ou insignifiant, selon le talent ou la médiocrité de qui l’emploie ; là encore se distingue le défaut de jugement d’Augusta Holmès pour classer chaque chose selon son importance.

Le sens critique de soi-même, l’esprit méthodique, la discipline mentale, la volonté patiente, sont qualités antiféminines, s’y assujettissent moins que tout autres les femmes favorisées par des dispositions artistiques supérieures, éblouies qu’elles sont par les splendeurs de leur but et étourdies par l’orgueil de s’y sentir entraînées[1].

Pourtant, en se laissant subjuguer par Wagner, que tant de soi-disant musiciens bafouaient, Augusta Holmès prouvait une intelligence et un sens très vif de la musique ; elle se trompa en voulant s’assimiler ce qui était inassimilable, surtout pour son imparfaite préparation à pareil aliment, mais son appréciation lui fait honneur.



  1. Un peintre célèbre, en parlant d’exposantes, déclarait dernièrement : « Les femmes ont souvent plus de talent que les hommes ; ce qui leur manque, c’est l’application, le travail, la patience. »
    Les musiciennes ne sont donc pas seules sujettes à certaines lacunes dans l’organisation, ni seules à en pâtir.