Augusta Holmès et la femme compositeur/07

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Librairie Fischbacher (p. 32-35).


VII

Les trois Patiences


Les femmes, qui s’égarent tant sur leur propre cause, ont vis-à-vis autrui l’intuition exacte de mille choses dont les hommes ne s’aviseraient pas, à moins d’y arrêter spécialement leur esprit ; elles possèdent une finesse innée leur rendant sensible ce qui est supérieur et, bien mieux que l’homme, elles devinent, pressentent, les sentiments dissimulés, sans passer du temps en analyses, pour lesquelles, d’ailleurs, elles ne montrent que peu d’aptitudes et de patience.

J’entends de claires voix se récrier : « Mais de la patience, nous en usons autrement que nos doux maîtres, dont la mansuétude laisse fort à désirer ! » En effet, comme monnaie courante, la femme dépense plus de patience que l’homme ; mieux que lui, elle supporte d’infinis ennuis et se consacre à des travaux d’aiguille devant lesquels le caractère masculin le mieux trempé sombrerait dans la folie. Elle prouve, à un haut degré, la patience du cœur et la patience des doigts ; il est une troisième patience peu compatible avec la nature féminine ; c’est la patience de l’esprit. Tel un oiseau, leur esprit sautille sans cesse ; penser, c’est, pour beaucoup, agir ou parler ; demeurer inactive, silencieuse, paralyse du même coup leurs facultés intellectuelles. Le recueillement constitue un état anormal pour les agitées que nous sommes ; prolongé, il équivaut à un traitement de malade ! Si nous voulons trop longuement nous absorber sur des points abstraits, ardus, nos idées se révoltent, s’évadent comme sous une insupportable pression. Ainsi qu’un objet fixé avec persistance se déforme aux yeux fatigués, notre attention ne peut se concentrer avec profit au delà d’un temps limité.

Nous subissons sans murmure les épreuves quotidiennes, — indispositions, direction de maison, éducation d’enfants, etc. : — parce que tout cela est divers, mouvementé et, en partie, se relie à nos plus tendres affections ; pendant des heures nous nous immobilisons devant les plus minutieux ouvrages, parce que le travail manuel permet toute liberté à nos pensées, frivoles, sérieuses ou passionnées, constamment mouvantes et changeantes.

Les femmes vouées aux arts ou aux études supérieures, s’affranchissent, bien entendu, des occupations coutumières aux modestes Cendrillons ; quelques-unes s’octroient même le droit de s’affranchir de tout devoir, sous prétexte qu’il entrave leur haute mission, va à l’encontre de leurs aspirations de… « surfemmes », et que des créatures d’élection, telles qu’elles sont, ne sauraient se plier aux servitudes acceptées par de vulgaires gardiennes de foyer !! Ces belles théories, fort pratiquées, ne conduisent pas forcément leurs adeptes à la concentration robuste d’un cerveau masculin, ni à se juger avec sévérité et volonté de perfectionnement, au lieu de s’exagérer la valeur et les raisons d’être des hommages flatteurs qu’on leur décerne. Toujours la présomption, la légèreté, le défaut de jugement, sont les écueils où se brisent des facultés fragiles mais fortifiables. Ces facultés ne peuvent être niées ; on ne peut pas non plus exactement les connaître tant qu’elles n’auront été soumises à une méthode toute différente de celle dont on a coutume, et astreintes à un régime sévère et volontaire, inspiré à la femme même, par la conviction de ses erreurs.

On remarquera que persévérance et dépense intellectuelle sont souvent mises en jeu par les femmes, s’il s’agit de carrières auxquelles on les croirait bien moins aptes qu’à la musique. C’est justement leur facilité pour la musique qui les égare, et le côté séduisant, accessible, de cet art, qui leur fait perdre conscience de ses difficultés fondamentales, au moins égales à celles que présentent les études scientifiques conduisant aux plus graves examens.

Dans l’ignorance absolue d’une puissance qui ne se dévoile que peu à peu et ne livre ses trésors que contre le maximum d’efforts en sa faveur, on est bien forcé d’y donner, sans réserve, ses facultés, de l’étudier dans tous ses détails et d’user de tous les moyens pour la conquérir ou l’approcher.

Au contraire, quand par intuition nous nous sentons naturellement familiarisées avec la conquête souhaitée, nous pensons la faire à peu de frais, et du coup nous réduisons nos peines à la moitié de ce qu’elles devraient être pour nous mener réellement au but.

Si, ambitieuse du grade de compositeur, la femme avait la sagesse et le courage de se mesurer avec les difficultés qu’il comporte et les sacrifices qu’il exige, ou elle se déroberait, ou elle se fortifierait par un travail approprié au but, et saurait se limiter selon les ressources acquises. Alors, en face d’une organisation comme celle d’Augusta Holmès, on n’aurait pas à déplorer des faiblesses techniques trahissant les meilleures intentions, ou des négligences, des fautes de goût, submergeant souvent et amoindrissant presque toujours une inspiration intéressante.