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Augusta Holmès et la femme compositeur/10

La bibliothèque libre.
Librairie Fischbacher (p. 42-44).


X

Au déclin


Si propices que fussent les conditions dans lesquelles l’ouvrage se produisit, elles ne pouvaient le transformer, et si ces brillantes représentations marquent le point culminant de la carrière d’Augusta Holmès, elles semblent aussi donner le signal du déclin et de l’écroulement.

En effet la Montagne Noire ne répondit pas à ce qu’on espérait de son audition à la scène, surtout à ce qu’en espérait Holmès. Elle avait édifié tant de châteaux en Espagne sur son plus important travail ! elle avait si grande confiance dans son mérite ! confiance qu’elle faisait partager à ses interprètes quand, de son jeu coloré au piano, de son chant vibrant et de sa mimique expressive et ardente, elle parait brillamment son œuvre[1].

Au théâtre, à l’orchestre, l’impression fut tout autre ; écrite depuis quinze ans au moment où elle fut représentée, et écrite selon l’ancienne formule aggravée d’imitations wagnériennes, la partition parut déjà démodée, vieillie, avec des prétentions. Puis ces quatre actes formaient un spectacle bien lourd étant donné leur peu d’intérêt et leurs défauts. « Intelligemment allégé », me disait un des plus admirables interprètes de la Montagne Noire, « et réduit de manière à permettre un ballet en complément de spectacle, — ce qui à l’époque répondait au goût du public — l’ouvrage se serait maintenu avec un sort meilleur ; mais quand on parla de « coupures » à Holmès, elle se cabra, inflexible ; quelques insinuations fort sages, sur l’opportunité de s’aider pour son instrumentation des conseils d’un Maître, ne furent pas mieux accueillies… »

L’orgueil l’aveuglait, elle comptait sur un triomphe, et des amis trop empressés lui assuraient sa promotion dans la Légion d’honneur.

Donc la Montagne Noire tomba, on peut dire que sa chute écrasa son auteur, qui ne voulut voir dans ce cruel insuccès que malveillance et parti pris. Pourtant, plusieurs années après, en 1902, abattue par de douloureuses épreuves, comprenant peut-être quelques-unes de ses erreurs, Holmès devait se résoudre aux coupures si fièrement refusées naguère, et dans l’espoir de faire accepter la Montagne Noire à l’Opéra de New-York où, étant engagé M. Alvarez la proposait, elle autorisait, par un écrit daté du 30 octobre 1902, son illustre interprète à réduire, ainsi qu’il le jugeait à propos, les proportions de l’ouvrage qu’il avait créé sept ans auparavant. Cette autorisation arriva trop tard, les représentations d’Alvarez touchant à leur fin. De plus, New-York se méfiait d’une partition froidement accueillie à Paris ; le projet n’aboutit pas, et la Montagne Noire ne fut jamais plus jouée sur aucune scène.

(Ce dut être un des derniers espoirs et une des dernières déceptions d’Holmès, puisque sa mort survint moins de trois mois après l’écrit cité plus haut.)



  1. Les artistes, qui voulurent bien me donner leur appréciation au sujet de la Montagne Noire, conservent la plus favorable impression au sujet du talent d’Holmès, et le plus sympathique souvenir de son caractère loyal et de son intelligence.