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Augusta Holmès et la femme compositeur/09

La bibliothèque libre.
Librairie Fischbacher (p. 39-41).


IX

Au sommet


Ces succès ne pouvaient qu’encourager Mme Holmès à poursuivre son objectif qui était le théâtre, pour lequel elle s’estimait, non sans raison peut-être, tout particulièrement douée. Elle avait écrit un quatrième Opéra, beaucoup plus important que les premiers, et naturellement s’ingéniait à le faire recevoir par une grande scène lyrique. Présentée à l’Opéra-Comique, La Montagne Noire, c’était le titre de l’ouvrage, parut trop développée. Un peu après, la Monnaie de Bruxelles l’accepta, et Augusta Holmès pouvait se croire au comble de ses vœux, quand un changement de Direction vint anéantir ses espérances.

En plusieurs circonstances, des démarches avaient été faites en vue de la réception de la partition à notre Opéra, elles étaient restées sans résultat auprès de Gailhard, alors Directeur. Mais un beau jour — surtout pour l’auteur du drame lyrique en question – la Direction échut à Campo-Casso qui, plus propice à l’ouvrage d’Holmès, le reçut. Il paraît qu’en ce temps-là, ainsi qu’aujourd’hui, la politique sévissait là où elle ne devrait jamais posséder la moindre influence, et amenait, à l’Opéra, de fréquentes fluctuations dans les destinées directoriales. Campo-Casso bascula, Gailhard revint au pouvoir, qu’il partagea de nouveau avec Bertrand demeuré stable à son poste. Trouvant la Montagne Noire acceptée, il ratifia, non sans faire un peu la grimace, l’engagement contracté en son absence, et il monta l’œuvre, dont la première représentation eut lieu le 8 février 1895. Il la monta superbement d’ailleurs, lui octroyant une distribution qu’actuellement notre Académie nationale de musique n’offre plus à son public.

Tous les rôles étaient tenus par des artistes hors ligne : c’étaient, au premier plan, Alvarez, encore nouveau pensionnaire à l’Opéra, mais qui déjà avait conquis la place exceptionnelle que lui méritaient sa voix en tout point merveilleuse et son beau sentiment dramatique ; Renaud, dans tout l’éclat de son talent ; Lucienne Bréval, notre si émouvante tragédienne lyrique. Les rôles secondaires incombaient à Mlle Berthet, qui abandonna trop tôt le théâtre, à Mme Héglon, mettant en relief les rares apparitions d’une mère patriote, et à l’excellent Gresse. Du reste, la Montagne Noire n’était pas opéra à se passer de véritables chanteurs, j’entends de chanteurs pourvus de voix puissantes et séduisantes, de chanteurs payant comptant en monnaie brillante et bien sonnante. Aujourd’hui, la plupart de nos œuvres modernes, par la prépondérance de la symphonie et la suppression systématique de la mélodie chantée, font la partie belle aux ex-pratiquants du « bel canto » ou à ceux qui, imitant le renard de la
Lucienne Bréval
dans le rôle de Yamina (La Montagne Noire.)
                                        (Cliché Benque).
fable, affectent de dédaigner ce à quoi il leur est bien interdit de prétendre, car si beaucoup d’instrumentistes jouent sans âme, trop nombreux sont les artistes lyriques qui chantent sans voix. Est-ce chanter ? Devant les approbations enthousiastes dont on encourage ces singuliers représentants de la musique au théâtre, on peut espérer voir bientôt à l’Opéra-Comique ou à l’Opéra notre pathétique Mounet-Sully. Il lui serait facile de discipliner ses syllabes sur certaines notes d’accompagnement, à l’occasion il rugirait plus bruyamment que maints artistes détaillant la partition en mots saccadés puis lançant soudain d’indistinctes et chevrotantes clameurs, et la supériorité en déclamation du célèbre doyen de la Comédie-Française, comme l’harmonie de ses altitudes, ne sauraient être mises en doute ! Pourtant, dût la réprobation de subtils connaisseurs me foudroyer, je m’obstinerai à mieux gouter les œuvres musicales servies avec quelques raffinements de mimique en moins et quelques richesses purement vocales en plus, la musique devant arriver à notre âme en passant par nos oreilles et non par nos yeux.

Au temps où la Montagne Noire vit les feux de la rampe, le prestige des belles voix et de l’art du chant l’emportait, sans exception, sur la pantomime ; l’opéra d’Holmès eut donc l’interprétation qui lui convenait et qu’il pouvait le plus ambitieusement souhaiter.

À l’orchestre, Taffanel conduisait ; la mise en scène et les décors confirmaient la somptuosité habituelle à notre Académie nationale de musique.