Augusta Holmès et la femme compositeur/20

La bibliothèque libre.
Librairie Fischbacher (p. 85-88).


XX

« Ludus pro Patria »


Ludus pro Patria, ode symphonique en quatre parties, diffère des Argonautes par les strophes dont un récitant fait précéder chacune des parties.

Ces Jeux pour la Patrie sont forcément des jeux guerriers. Le poème célèbre les devoirs que l’amour de la patrie dicte à ses enfants ; c’est un appel véhément au courage, une enthousiaste invocation aux héros disparus. Augusta Holmès était très patriote !

Littérairement l’ode est bien construite, dans le style ardent, flamboyant, plus viril que féminin, dont Holmès a l’habitude. On y rencontre des images assez vives ; la France forge son épée : « Pareils aux battements d’un gigantesque cœur, des coups sourds ébranlent la terre. »

« Les étendards sublimes, teints de l’azur du ciel, de la neige des cimes et du sang vermeil des héros. Donnons-lui — à la Patrie — tout l’amour de nos cœurs, tout le sang de nos veines et l’œuvre de l’esprit plus forte que la mort ! » etc. (Je vous ai dit qu’Holmès faisait une énorme consommation de r et une grande économie de teintes sobres !) Sans analyser ses poésies, puisque c’est de la musique qu’il s’agit, j’ai remarqué que de son œuvre, en mots ou en notes, se dégagent des qualités et des défauts analogues. C’est bien compris, c’est souvent médiocrement exprimé. On est surtout choqué par le manque de distinction, de délicatesse, de finesse. Pourtant à une première lecture, les omissions ne se remarquent pas trop, on est plutôt bien impressionné par l’allure générale, les sentiments passionnés qui s’ennoblissent s’ils se rapportent à la patrie. Ne relisez pas : l’effet, tout d’abord favorable, s’affaiblirait, parce que les idées sont en surface et qu’elles ne recèlent ni pensée profonde ou neuve, ni raffinements de forme, et cela manque aussi dans sa musique. N’y a-t-il pas lieu de soupçonner l’éducation poétique assez superficielle d’Holmès d’une influence fâcheuse sur son écriture musicale qui côtoie fidèlement ses poèmes ? Poussée par une très vive imagination que ses études incomplètes en littérature ne disciplinaient pas, elle se trouva amenée à inspirer ses commentaires musicaux d’un verbe non dépourvu de lyrisme (bien au contraire !), mais négligé sur divers points, et ayant réussi l’accord elle put croire qu’elle avait satisfait à toutes les exigences.

La partition de Ludus pro Patria s’ouvre par un prélude en larges accords d’une allure imposante et de belle sonorité. Le chœur qui suit plaît par son élan, sa franchise ; l’accompagnement en est traité symphoniquement, et un appel aux preux d’antan, caractéristique et d’un rythme hardi, s’accorde bien avec son sujet.

La deuxième partie, intitulée La Nuit et l’Amour, a pour raison d’être l’utilité de former une sorte d’oasis reposante entre deux parties guerrières. Le morceau, présenté d’abord en intermède d’orchestre, a du charme comme phrase — passons sous silence une avalanche d’arpèges et une grêle de trémolos en guise d’accompagnement ! — s’y enchaîne un chœur, d’un joli effet par des redites en appel, reprises à l’orchestre comme un écho dont l’insistance est douce[1]. Certes on pouvait obtenir plus de poésie, et surtout une poésie plus profonde, une teinte plus « clair d’étoiles » et conforme au nocturne ; quelques trilles, alors qu’il est tout le temps question du chant du rossignol, auraient pu jaillir de loin en loin, purs et harmonieux ; on s’étonne qu’Holmès, qui souvent abuse du genre imitatif, ait négligé d’appliquer avec tant de propos son procédé. Peut-être parce que, justement, l’effet s’imposait presque ; voilà un petit dilettantisme mal placé ; mais ne soyons pas trop sévères pour une nuit que la lune inonde de clarté, tandis que des amoureux clament ardemment leur tendresse, et s’époumonent à signaler le chant du rossignol, dont nous ne percevons pas la moindre manifestation.

La troisième partie est la meilleure de Ludus pro Patria et l’une des tout à fait remarquables d’Holmès. Les héroïques forgerons forgent l’épée libératrice de la France : « Pareils aux battements d’un gigantesque cœur, des coups sourds ébranlent la terre. » Le choc des marteaux est rendu avec éclat par des accords, frappant énergiquement, fièrement les trois temps de chaque mesure ; l’intérêt se maintient assez longuement et une accentuation en forme de canon entre la partie haute et la partie basse, semble la répercussion du labeur cyclopéen. Le rythme intrépide et robuste, le caractère franc et enthousiaste du morceau, évoquent excellemment les épées triomphales ou héroïques, et on peut dire de ces pages qu’elles sont forgées par un ouvrier ayant l’étoffe d’un maître.

La dernière partie contient une très bonne phrase religieuse, le reste en est assez insignifiant.

En 1888, — 4 et 11 mars — le Conservatoire, dont l’accès ne fut jamais très facile, donna deux auditions de Ludus pro Patria sous la direction de Jules Garcin ; on comprend que, bien exécutée, l’œuvre parut intéressante ; à présent même on pourrait, en passant, en écouter des fragments, non sans plaisir.



  1. La Nuit et l’Amour existe pour piano, orgue, deux violons, alto et violoncelle.