Augustin Thierry d’après sa correspondance/05

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Augustin Thierry d’après sa correspondance
Revue des Deux Mondes7e période, tome 7 (p. 580-604).
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AUGUSTIN THIERRY
D'APRÈS SA CORRESPONDANCE ET SES PAPIERS DE FAMILLE

V [1]
LA PRINCESSE BELGIOJOSO


UNE « SŒUR D’AME »

Cependant l’été s’avançait, il fallait bientôt songer à regagner Paris. Depuis qu’au grand scandale du monde, son mari, l’ « admirable » et volage Emilio, l’avait abandonnée définitivement pour s’enfuir avec la jeune duchesse de Plaisance et filer le parfait amour sur les bords enchanteurs du lac de Côme, Mme de Belgiojoso, toute indifférente qu’elle fût à la ruine de sa vie conjugale, avait quitté son hôtel de la rue Neuve Saint-Honoré, et s’était installée rue de Courcelles.

Mais le logis ne lui plaisait guère : elle en cherchait un autre et, quand elle crut l’avoir trouvé, elle offrit à Augustin Thierry de le partager avec elle. L’appartement du passage Sainte-Marie ne rappelait plus à l’historien que de lamentables souvenirs ; il était résolu de n’y point rentrer. Tout en sauvegardant son indépendance, cette combinaison d’une amitié prévoyante lui rendrait, pensait-il, un foyer : il l’accepta d’un cœur reconnaissant. Dans la lettre qui suit, il explique à Guizot les raisons qui le décident, les conditions de sa vie nouvelle et le met au courant de ses projets futurs.


Port-Marly, 22 août 1841.

« Mon cher ami,

« Pardonnez-moi les trop longs retards que j’ai mis à répondre à des paroles qui, venant de vous, ont été pour moi, dans l’accablement de la douleur, une consolation et un appui. Placé entre une vie de bonheur détruite pour jamais et une vie incertaine qui est à refaire, j’ai eu des semaines, des mois de vertige, durant lesquels je ne pouvais rien dire de moi qui fût une promesse de calme, de force et de résignation. L’amitié si noble et si douce, l’amitié de sœur qui m’entoure ici de soins et d’affection, m’a soutenu au milieu de déchirements et d’angoisses sans lesquels j’aurais succombé, si Dieu ne m’avait pas envoyé un pareil secours.

« J’ai mieux résisté à mon affreux malheur qu’on ne l’espérait et que je ne le pensais moi-même ; ma santé n’a pas décliné, du moins en apparence, mais au fond, il y a des menaces qui ont inquiété mes amis et leur ont fait désirer que dans l’arrangement de ma vie, j’eusse auprès de moi, pour aide et pour commensal, un médecin. J’ai cédé à ce conseil d’autant plus volontiers que le choix n’était pas difficile. Un jeune médecin qui comme assistant de M. le docteur Louis a rendu à ma pauvre femme, durant ses deux mois d’horribles souffrances, les soins les plus dévoués, M. Gabriel Graugnard, a été mon secrétaire, il y a sept ans ; depuis lors il m’est resté attaché de souvenir et d’affection. Il quittera pour se réunir à moi la place d’agent de la Société géologique de France et une clientèle médicale qui commençait à se former. Son caractère est bon et facile, sa raison très sûre et son intelligence applicable à tout. Mme la princesse de Belgiojoso, dont le jugement compte pour une grande part dans mes déterminations, a pour lui estime et bienveillance ; mon frère, Scheffer et M. Louis pensent qu’il me convient parfaitement.

« Protection sans tutelle, assistance amicale et pourtant subordonnée, voilà les deux conditions de la nouvelle vie qui commence pour moi, sans lesquelles je n’aurai plus ni liberté, ni dignité, ni force. La Providence m’a frayé la voie en m’ouvrant l’asile où je suis ; je m’occupe de faire le reste ; y réussirai-je complètement ?

« Le choix que j’avais à faire d’un logement, choix plus difficile pour moi que pour tout autre, est à peu près arrêté. Je prendrai le rez-de-chaussée d’un grand pavillon, situé au milieu des jardins, 10, rue Taranne. La princesse prendra le premier et les combles. Chacun de nous deux aura son bail et sera complètement libre. Cette maison, qu’on remet à neuf, ne sera guère habitable pour moi avant le printemps prochain ; jusque-là et à partir d’octobre, il faut que je trouve un logement provisoire dans quelque maison meublée, ayant un jardin ou une cour, où je puisse me faire promener ; je m’occuperai de cette recherche dans le courant du mois prochain. Ce genre de souci et les tristes affaires nées de mon malheur sont à présent ma seule occupation. Plus tard, dès que j’aurai l’esprit un peu libre, je reprendrai ma tâche interrompue : cette introduction qui formera la tête d’un volume de 950 pages maintenant imprimé.

« Voilà bien des détails et une bien longue lettre ; je vous écris comme si je causais avec vous et sans songer que vous n’aurez pas le temps de me lire. Dites, je vous prie, à madame votre mère que, si la chose était possible, je me ferais transporter auprès d’elle, pour lui demander le secours de sa parole et de ses conseils et me fortifier par l’exemple d’une âme si haute et si résignée. Dites-lui qu’elle est au premier rang des personnes que je vénère et que j’admire et recommandez-moi à son souvenir et à ses prières. Je sais que vos enfants, sans me connaître, ont pensé à moi avec sympathie. Je voudrais pouvoir les en remercier.

« Adieu, mon cher ami, rappelez-vous quelquefois nos anciens jours, ces jours où nous espérions ensemble, et qui ont été suivis pour vous de tant d’honneurs et de tant de souffrances. J’y remonte souvent dans mes rêveries et je trouve là près de vous, pleine de grâce et de bonté pour moi, celle qui fut le charme de votre vie et qui, en partant de ce monde, vous a laissé au cœur un deuil éternel. C’est en son nom que je vous demanderai du secours dans mes défaillances, à vous qui avez pleuré et qui, au milieu des larmes, avez su rester fort et poursuivre noblement le travail qui vous est assigné ici-bas. Adieu, encore une fois, et croyez pour la vie à mes sentiments de tendre amitié et d’admiration. »


Pour trouver ce « logement provisoire » dont nous le voyons préoccupé, Augustin Thierry recourut à l’obligeance de ses amis.

Vainement le docteur Graugnard, Ary Scheffer, Amédée Thierry s’employèrent à battre le faubourg Saint-Germain sans rien découvrir. Cédant à ses instances réitérées, force fut donc à l’historien dans l’embarras d’accepter l’hospitalité que lui offrait, rue de Courcelles, sa « sœur » la princesse Belgiojoso,

Le quartier du Roule, il y a trois quarts de siècle, n’était pas comme aujourd’hui un pâté continu de bâtisses. Situé alors presque aux confins de la ville, il présentait à peu près l’aspect qu’offre à présent Neuilly, et de vastes jardins entouraient les hôtels assez disséminés que l’on commençait d’y construire.

Vers la fin de 1843, Mme de Belgiojoso était venue s’installer avec sa fille Marie [2] dans une propriété appartenant à Mme Bernard, au numéro 36 de la rue de Courcelles, environ l’emplacement actuel du boulevard Haussmann,

La demeure était spacieuse, mais triste ; la princesse s’en dégoûta bientôt, et, songeant à cette acquisition de la rue Taranne qui ne put être réalisée, n’y avait transporté qu’une partie de ses meubles. Deux étages restaient vides, inhabités, sauf des domestiques ; toute la vie de la maisonnée était concentrée au rez-de-chaussée : établissement un peu bohème, selon les goûts fantasques de l’occupante du logis.

Dans le jardin, en retrait du corps de bâtiment principal, s’élevait un pavillon indépendant, composé de cinq pièces. C’est là au prix d’un loyer annuel de quatorze cents francs, qu’il avait exigé de payer, qu’au mois d’octobre 1844 vint, à son retour de la campagne, habiter Augustin Thierry.

Encore tout endolori de son deuil, il arrivait plein d’illusions. Confiant dans les assurances de son amie, il croit avoir trouvé près d’elle le port de refuge, l’asile sûr où s’achèveront désormais ses jours, « dans une vie d’intimité familiale et de soins affectueux. » Il en attend la tendresse protectrice que réclame sa faiblesse et la douceur attentive qui soulagera sa peine. Elle sera la lumière de ses ténèbres immobiles, son « pilote, » sa « boussole, » et, dans une métaphore habituelle, il se compare à la barque amarrée au navire, le suivant au sillage et protégée par lui des périls de la mer.

Il ne sera pas longtemps à découvrir la vanité de son rêve, à constater qu’entre toutes il a choisi « l’affection la plus périlleuse, celle qui vit d’agitations et de luttes, qui excite les orages, parce qu’elle en a besoin, et qui ne comporte aucune règle, aucun obstacle, aucun frein [3]. » Avec mélancolie, il écrira plus tard à Mme de Tracy : « Sauf quatre à cinq mois, la chimère dont je m’étais épris n’a rien produit qu’une longue absence. J’ai passé le temps à compter les jours et à attendre. »

La princesse rentre, en effet, à Paris, frémissante de grands projets. Avec la versatilité qui n’est pas son moindre trait de caractère, elle renonce à la vie mondaine pour se lancer derechef dans la politique la plus turbulente. Plus que jamais, elle se juge indispensable à l’Italie, elle croit à son rôle, à sa mission. Pour la mieux accomplir, férue des théories que vient de formuler Cesare Balbo, dans ses Speranze d’Italia, elle a fondé la Gazzetta italiana, prône l’émancipation du prolétariat, l’éducation des masses, l’amélioration matérielle et morale des paysans, dans lesquels elle voit les pionniers de l’avenir.

Si, dans son entourage, les « gens de la raison glacée, » comme elle les nomme, Mme Jaubert, Ravaisson, Scheffer, Mignet, Laprade, s’efforcent de refroidir son enthousiasme, lui montrant les complications de la tâche, l’incertitude du résultat ; en revanche, la cohue cosmopolite qui l’environne d’une nuée de parasites, exilés italiens, réfugiés grecs, patriotes moldaves, l’applaudit par complaisance intéressée, l’encourage à tenter pour la « Cause » une grande expérience.

Cet essai, la réformatrice prétend l’opérer dans son domaine lombard de Locate, à une heure de Milan, la ville de sa grande popularité. De Port-Marly, sans avertir encore son « frère, » elle avait fait tenir aux principaux tenanciers ses observations et ses projets de soulagement. A Paris, elle révéla son dessein.

Tout déconcertant qu’il apparaisse d’abord, cet avatar inattendu, en bienfaitrice rurale et en économiste agraire, ne doit pas trop étonner de celle que Paris avait déjà vue métamorphosée tour à tour en conspiratrice, en théologienne, en lionne des salons littéraires. Vainement, la voix d’Augustin Thierry se joignit-elle aux remontrances des prêcheurs de sagesse. Malgré sa douloureuse surprise, il dut s’incliner devant une volonté d’autant plus opiniâtre qu’elle était plus soudaine. Ses instances les plus vives ne pouvaient au demeurant que cesser, lorsque la princesse invoqua des nécessités financières, l’intérêt qui exigeait sa présence à Milan, afin d’y écouler les actions de la Gazetta, d’obtenir l’appui d’argent indispensable au succès de sa propagande.

Après de tristes adieux, laissant l’aveugle désolé de retomber « à la solitude de sa nuit sans étoiles, » d’être privé du rire et des ébats de Marie qu’il chérit tendrement et qui l’appelle son « oncle-ami, » Mme de Belgiojoso quitta la rue de Courcelles, le 11 novembre 1844. Elle gagnait Marseille par le Bourbonnais, afin de s’embarquer pour Gênes.

Donna Cristina, avant leur séparation, avait juré « sur son nom de Trivulce » que son absence serait de courte durée, qu’elle ne dépasserait point en tous cas le printemps de 1845. Pour adoucir le chagrin qu’elle lui cause, elle apprend en outre à Augustin Thierry qu’elle vient d’acquérir un vaste terrain rue du Mont-Parnasse, où chacun d’eux pourra faire construire un pavillon suivant ses goûts. Et de s’enflammer à cette idée : « Oui, mon frère, ce sera là votre port, la retraite calme, riante et assurée où nous vieillirons à peu de distance de temps et d’espace, où vous achèverez vos beaux travaux, où ceux qui aiment la grandeur viendront vous trouver et où, si Dieu veut que vous me précédiez, je chasserai les ombres qui obstruent quelquefois le dernier passage et l’assombrissent. Reposez-vous sur cette pensée et soyez assuré que vos doux projets ne seront jamais dérangés par ma volonté. Vous avez en moi une sœur dévouée qui vous place au premier rang parmi les devoirs qu’elle affectionne [4]. »

Intention assurément sincère : mais combien décevante allait être la réalité !

La voyageuse arriva le 29 en Lombardie. Alors commence avec celui qu’elle laisse à Paris, une longue correspondance beaucoup trop étendue pour être reproduite ici, malgré son intérêt [5].

C’est d’abord la narration enthousiaste d’un accueil triomphal qui flatte délicieusement son orgueil : Locate en fête et tout illuminé ; les huit voitures de cortège passant sous un arc de triomphe ; dix mille paysans accourus des alentours, jetant des fleurs, parmi les acclamations sans fin et le vacarme des pièces d’artifice.

Puis, les mois suivants, se déroule l’exposé des améliorations de tout genre qui transforment en une sorte de phalanstère le fief ancestral des Trivulce, « car il a bien l’air, à présent, d’être sorti des mains fouriéristes. » Mme de Belgiojoso s’ingénie, s’agite et se dévoue ; elle construit des logements salubres pour les ouvriers, ouvre une cuisine économique, un chauffoir, fonde une fabrique de gants, organise dans les appartements du château des salles de lecture et de récréation.

La description de ces réformes s’accompagne de demandes répétées de conseils et d’assistance littéraire. La princesse n’entend pas seulement poursuivre son apostolat par le geste, mais veut aussi le réaliser par la plume. Elle médite une Histoire des municipes italiens, pour quoi elle fait entreprendre des recherches : prépare un Tableau de l’Italie moderne dont elle demande à Augustin Thierry de lui tracer le plan. De 1844 à 1848, en effet, celui-ci va être plus ou moins l’inspirateur des articles que sa lointaine amie enverra, sous de prudents pseudonymes, à la Revue des Deux Mondes ou à la Revue Indépendante. Il recourt, sans se lasser, à son influence sur François Buloz pour les lui faire accepter, en retouche le style, en revoit les épreuves.

Cependant que Christine Belgiojoso se dépense ainsi à Locate, que devient son « frère-enfant » à Paris ?

La séparation, la solitude où il est retombé ont ravivé sa douleur mal assoupie. Ses premières lettres le montrent en proie au découragement, « plein de langueur et de défaillance, » incapable de se remettre au travail.

« Pour ce qui me regarde, confesse-t-il, je ne puis encore rien faire de bon ; je cause quand j’en trouve l’occasion, je me fais lire et voilà tout. Je corrige des brouillons de notices que m’apporte M. Bourquelot, deux ou trois fois par semaine, mais mon Introduction reste au même point. »

Malgré les instantes prières qu’elle leur a adressées avant son départ, les brillants amis de la princesse délaissent l’infirme dans sa morose thébaïde ; ses intimes eux-mêmes, Mignet, Villemain. Ary Scheffer ne témoignent pas non plus d’un grand empressement.

L’abandon surtout de ce dernier blesse Augustin Thierry qui le tient en affection profonde et l’amertume qu’il en conçoit se trahit dans ses reproches attristés :


« Mon cher Ary,

« Il y aura dimanche trois mois que vous êtes venu dire adieu à la princesse et que, par la même occasion, vous m’avez serré la main. Depuis, vous n’avez eu aucun souci de voir comment je passais mes journées sous le poids de la solitude et d’une vie à refaire de nouveau. Dans un autre temps vous disiez pour vous excuser de ces négligences : Thierry est heureux, il n’a pas besoin de moi, ou bien : j’irai le voir, mais je ne plais pas à sa femme. Maintenant, je ne suis pas heureux et je n’ai plus ma pauvre femme ; quel prétexte pouvez-vous donc donner ? Quand vous diriez, chose impossible à croire, que vous n’avez pas trouvé dans tant de jours, une heure pour moi, je répondrais qu’au moins une fois, vous auriez pu choisir entre une amitié de trente ans et la musique de Félicien David. Ce jour-là vous aviez toute une soirée disponible.

« Vous voulez être pour moi l’ami consolateur, le médecin de l’âme ; eh bien, celui qui aurait pris pour tâche d’ajouter à mes souffrances morales une petite torture de plus n’aurait pas agi autrement. J’ai compté les jours, j’ai compté les semaines, puis les mois, j’ai dit et redit : d’autres viennent, mais lui ne vient pas. C’est une pensée qui me distille des gouttes d’amertume et c’est une faiblesse dont je prie Dieu de me guérir.

« Je ne vous demande rien, je ne sollicite rien ; nous avons tous au dedans de nous-mêmes un juge qui est la conscience ; je vous renvoie à la vôtre, c’est elle qui vous parlera.

« Tout à vous de cœur, mais avec une tristesse plus grande que je ne saurais le dire. »

Pour réconforter l’affligé et soulager sa peine, la princesse prodigue les exhortations, les tendres assurances : « Oui, mon cher frère, je suis sûre, si je vis, de vous consacrer la meilleure partie de ma vie, de vous entourer de soins, de vous aimer toujours comme aiment les bonnes sœurs et de ne jamais regretter l’engagement que j’ai pris avec vous. » Berceuse musique de paroles douces, dans la minute absolument sincère, mais pour lesquelles on ne peut se défendre de quelque ironie à les voir demeurer toujours à l’état d’intention !

Ne pouvant se rendre compte à distance des causes réelles de l’isolement où vit Augustin Thierry, elle incrimine ses goûts, des habitudes contractées du vivant de sa femme. Prêcheuse de morale, fidèle à son rôle d’Égérie spirituelle, on la voit décocher au passage une flèche à de menus travers :

« Il me revient de plusieurs côtés que vous avez repris vos anciennes habitudes de réclusion. On les blâmait déjà du vivant de Mme Thierry ; elles semblent bien plus inexplicables aujourd’hui. Vous êtes seul, pourquoi fermer votre porte ? Pourquoi ne jamais demeurer seul avec ceux qui viennent vous voir ? Cette espèce de surveillance décourage les visiteurs et les froisse Encore une fois, mon cher Thierry, ceux qui viennent vous voir, viennent pour vous et pour eux ; il faut qu’ils puissent vous parler de leurs affaires, s’ils en ont. Ce ne sont pas des livres, ce sont des êtres vivants qui ne sont pas composés d’esprit seulement, mais aussi de cœur, d’âme et de caractère. Sans compter que la présence continuelle d’un tiers prend un aspect de défiance tout à fait révoltant.

« Pardonnez-moi, pardonnez à votre sœur son ton grondeur. Vous savez que de près comme de loin, je suis occupée de vous. Votre vie est bien un peu mon affaire maintenant et lorsque je l’ai arrangée comme il me semble bien, je ne puis consentir à voir mes arrangements laissés de côté [6]. »

Tant de promesses, d’encouragements et de conseils raffermissaient une âme dont les ressorts paraissaient brisés, la sauvaient du désespoir, lui restituaient la confiance et la foi dans l’avenir. Ce fut le grand bienfait de la princesse Belgiojoso à Augustin Thierry, de lui rendre le goût du travail et la fierté de son œuvre. Il n’est presque point de ses lettres où elle ne lui renouvelle à ce propos, au nom de son passé, de sa dignité d’écrivain, des engagements d’honneur qu’il a souscrits, du souvenir même de la morte, les appels les plus véhéments et les plus persuasifs : « Je n’aurai point de cesse, répète-t-elle toujours, que je ne vous aie remis la plume entre les mains. »

Elle eut la grande joie de réussir à provoquer la réaction morale qu’elle ambitionnait. L’historien reprit sa tâche abandonnée depuis huit mois, poussa fort activement la vaste Introduction synthétique, destinée à précéder son Recueil de Documents. A la fin d’avril 1845, remerciant Salvandy pour sa nomination de Commandeur, il l’avertissait en même temps que le premier volume des monuments du Tiers-Etat était envoyé à l’impression et que le second presque achevé devait suivre dans l’année. Peu après, il demandait au baron Walckenaer, secrétaire perpétuel de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, de lui fixer un jour pour la lecture, en séance publique, d’un morceau détaché du long mémoire qu’il adressait à l’Académie sous le titre : Fragment d’une histoire, de la formation et des progrès du Tiers-État, XIIIe et XIVe siècles.

Faite le 1er août par J.-A. Letronne, cette lecture, qui comprend l’histoire des légistes, fondateurs et ministres de l’autocratie royale et le tableau des Etats Généraux de 1302, 1355 et 1356, obtint une unanime approbation. C’était pour l’auteur, après un long silence de cinq ans, une belle rentrée de carrière et la sympathie universelle, après le malheur qui venait de ravager sa vie, allait à la force d’âme qui le dressait encore pour un nouveau « dévouement à la science. »

Mme de Belgiojoso assistait à la séance. Revenue de Locate au commencement de mai, elle n’avait fait que toucher barre à Paris pour aller presque aussitôt retrouver Augustin Thierry à Port-Marly.

Joyeux d’une réunion que l’un et l’autre pensaient définitive, que de projets d’avenir ne formaient-ils point ! De tous, le plus chèrement caressé par l’historien, était cette installation côte à côte rue du Mont-Parnasse, en deux pavillons voisins, isolés sous les charmilles d’un grand jardin. La Princesse l’encourageait : « Nous n’aurons plus besoin de campagne, affirmait-elle, le Mont-Parnasse nous en tiendra lieu. »

De fait, elle exagérait à peine. Le revers extrême de la Montagne Sainte-Geneviève, l’antique Mons Lucotitius, où Balzac situait quelques années plus tôt la demeure de son baron Bourlac, était alors une quasi-solitude, assez mal accessible, mais riche d’ombrages et de beaux arbres, épaves des parcs conventuels dévastés par la Révolution. Une petite colonie d’artistes et de gens de lettres commençait de s’y établir : Sainte-Beuve habitait le numéro 11 et quelques maisons plus loin Henri-Martin et Edgar Quinet.

Il avait été convenu qu’ils feraient construire, chacun pour son compte, ces deux pavillons, reliés entre eux par un jardin d’hiver, l’un ayant presque les proportions d’un petit château pour la Princesse ; l’autre, de dimensions plus modestes, pour Augustin Thierry.

Ce dernier se préoccupait beaucoup du logis, où, dans sa pensée, il devait terminer ses jours. Il avait tenu à se transporter sur place, pour mieux apprécier la disposition des lieux et s’était fait soumettre tous les plans qu’on avait modifiés selon ses désirs. Les aménagements intérieurs retenaient surtout son attention. Ses yeux morts, mais qui se souvenaient d’avoir admiré et compris la beauté, réclamaient l’agencement d’un décor, où rien ne vint offenser les regards. Il se montrait difficile, exigeant, réglant minutieusement chaque détail, choisissant les étoffes, désignant l’emplacement des meubles.

Mme de Belgiojoso courait avec bonne grâce magasins et boutiques, rapportant les popelines, les damas de laine, les mousselines brochées ou les toiles de perse. Ils n’avaient pas toujours les mêmes goûts et c’étaient alors d’affectueuses discussions sur l’éclat d’un coloris, l’harmonie d’une nuance. Augustin Thierry n’accepta qu’après un long débat, pour son salon, certain papier gris de lin à reflets d’or, dont la tonalité discrète avait enchanté sa compagne.

Ainsi coulait le temps à Port-Marly, apportant à l’infirme ses premiers jours de détente heureuse, depuis la mort de sa femme, avec un plaisir d’intérêts nouveaux qui distrayait son esprit et l’attachait à l’avenir. Douceurs trop éphémères. Vers la fin de septembre, de mauvaises nouvelles parvinrent de Locate à la princesse. Là-bas, tout périclitait en son absence ; la fabrique de gants fermait ses portes, les paysans retournant à leurs habitudes de crasse et de paresse, quittaient leurs maisons-modèles et désertaient l’école ; la cuisine populaire n’avait plus de clients. Quelques mois encore et l’œuvre poursuivie à si grands frais, au prix de tant d’efforts, serait à jamais compromise. Des rapports aussi désastreux troublèrent profondément Donna Cristina qui se considérait comme engagée d’honneur à la rénovation qu’elle avait entreprise. Elle résolut de retourner en Lombardie. Afin d’éviter cependant à celui qu’elle avait bercé de tant d’espérances, la déconvenue d’une séparation nouvelle, elle lui proposa sérieusement de l’emmener en Italie. A l’en croire, ses amis de Milan réserveraient un accueil enthousiaste à l’historien français qu’ils admiraient le mieux, au champion des vaincus et des opprimés. Elle l’assurait de tout leur empressement, de toute leur sollicitude. A Locate, ils continueraient de mener ensemble la vie qui leur était chère et, pour épargner toute fatigue au paralytique, elle traça même l’itinéraire d’un voyage par eau depuis Chalon-sur-Saône.

Ce fut pour l’entreprenante princesse, une surprise un peu dépitée, lorsque Augustin Thierry déclina son aventureuse proposition. De Lombardie encore, elle revient plusieurs fois à la charge et lui reproche assez vivement de s’acagnarder dans ses habitudes : « A qui la faute, si nous nous quittons ? Ne vous avais-je pas proposé de rester ensemble au moins trois années ? N’avais-je pas aplani toutes les difficultés ? Ne vous avais-je pas promis mes soins, ma compagnie, ceux et celles d’amies et d’amis sur lesquels je puis et vous pouvez compter ? Et qu’était-ce que vos objections ? Des misères, mon ami, des misères que l’on ne retrouve plus, lorsqu’on veut se les rappeler de sang-froid. Le dérangement de vos habitudes ? Et, depuis deux ans, que d’habitudes qui vous semblaient enracinées, ont disparu sans que vous vous en soyez seulement aperçu [7] ! » Vains efforts, Augustin Thierry ne se laissa point persuader. Bien qu’elle soit pénible encore, la séparation lui est déjà moins douloureuse et son esprit commence à s’accommoder d’une absence qui le désespérait naguère. Il a réussi de nouveau à grouper autour de soi une petite société d’amis éprouvés et de relations agréables. Le docteur Graugnard lui sert en quelque sorte d’ « agent de liaison » avec le monde. Il l’a fait admettre chez les Sacy, chez les La Fayette, chez les Tracy, jusque chez Guizot où le « bon M. Gabriel » remplit avec dévouement son office de recruteur. Les premières réceptions que, depuis la mort de sa femme, le veuf se hasarde ainsi à donner rue de Courcelles, réunissent les noms de Mignet, Ravaisson, Henri Martin, Arnold et Ary Scheffer, M. et Mme de Circourt, de Gasparin, de Lagrange, Dupin, Guigniaut, Letronne, de la Villemarqué, Ch. Louandre, Ulrich Güttinguer, Mme Jaubert et de Saulcy.

Ce sont des soirées intimes, consacrées à la musique ou à la conversation. Parmi les plus brillants causeurs, remarquable à la fois par l’étendue et la sûreté de l’érudition, la grâce fleurie du langage, la profondeur des aperçus, se distingue un jeune hébraïsant, récemment présenté par Henry Scheffer, qui deviendra bientôt son gendre et qui s’appelle Ernest Renan.

Le travail qui absorbe toutes les heures qu’Augustin Thierry peut lui donner, ne contribue pas moins à soulager le poids de son esseulement. Félix Bourquelot et Charles Louandre se rendent presque tous les jours rue de Courcelles et l’Introduction à l’histoire du Tiers-État avance à grands pas. Dès le mois de mars 1846, il est en mesure d’en adresser à l’Institut un second fragment : Les États généraux de 1484 : le Tiers-État sous Louis XII, François Ier et Henri II, et c’est par scrupule de reconnaissance et d’amitié envers la princesse, qu’il attendra son retour, pour fixer la date de la lecture en séance publique des Cinq académies [8], et ajournera la publication du morceau dans la Revue [9].

Il continue d’entretenir avec Locate une correspondance suivie. Obéissant aux suggestions de son entourage italien, Mme de Belgiojoso est conquise à l’idée de substituer une revue à la Gazetta qui périclite. Ce sera la Rivista italiana, destinée à n’avoir elle-même qu’une existence éphémère, et qui subira bientôt une complète métamorphose, pour ressusciter, sous le titre classique d’Ausonio, avec Manzoni et Massimo d’Azeglio pour coryphées littéraires.

L’entreprise exige des capitaux et la trop imprudente princesse a eu le tort de remettre les siens avec ceux de ses amis entre les mains d’un certain Falconi qui les utilise pour acquitter ses dettes personnelles. Augustin Thierry lui signale les agissements du personnage : mais Falconi, en sa qualité d’Italien, a toute la confiance de sa dupe. Bien loin de remercier le donneur d’alarme, celle-ci se répand en reprochas, l’accusant d’accueillir sans contrôle d’absurdes calomnies. Il faut, pour la convaincre enfin, le déficit bientôt constaté dans la caisse de la revue italienne, les réclamations des fournisseurs et les avertissements réitérés d’une sorte de factotum, auquel elle a remis à Paris la gestion de ses intérêts.

Le nom de ce dernier revient fréquemment et sans bienveillance aucune sous la plume irritée de l’historien du Tiers-Etat. Il s’appelle Victor Mercier, de son état présent surnuméraire au ministère de l’instruction publique. Avant de se muer ainsi, en subordonné de M. de Salvandy, il a exercé différents métiers, successivement maître-maçon, architecte et serrurier. Admirateur fervent de la princesse, il lui avoué une « amitié de caniche » et lui rend avec bonheur les services les plus désintéressés. Avant son départ pour Locale, elle a donc fait appel à son dévouement, l’a chargé de surveiller les travaux de la rue du Mont-Parnasse, même d’en diriger l’exécution.

Mercier est honnête, ordonné, consciencieux, mais aussi susceptible, entêté, difficile d’humeur. Il a dressé ses plans, arrêté ses devis, et n’entend plus rien y changer. Da son côté, Augustin Thierry se montre exigeant, formule des prétentions jugées inacceptables par le vétilleux constructeur. Il s’ensuit entre eux des piques, des tiraillements, force incidents désagréables qui manquent d’aboutir à la brouille complète. Acrimonieuses ou plaintives, les doléances contre Mercier remplissent les lettres expédiées à Locale, et Mme de Belgiojoso a fort à faire pour rétablir entre les deux ennemis un accord bientôt rompu.

L’achèvement des pavillons pâtit de cette mésentente. Celui de l’historien doit être terminé pour juin et c’est à peine si les murs commencent au printemps à s’élever du sol.

Lorsque Donna Cristina regagne Paris à la fin d’avril, elle trouve « son frère » tout énervé de ces longs retards et, pour calmer son agitation, l’emmène passer l’été, près de Montgeron, aux Camaldules d’Yerres.

Elle rentre en France, toute soulevée d’enthousiasme. Le rêve de sa vie va-t-il enfin s’accomplir ? Depuis 1840, la stagnation politique est complète en Italie, mais les signes d’un réveil prochain commencent d’apparaître aux yeux avertis. En Lombardo-Vénitie, au Piémont, les colères grondent contre l’Autriche, les relations se tendent entre Vienne et Turin, où l’on commence à parler guerre. L’avènement de Pie IX galvanise libéraux et réformistes, enflamme à nouveau leurs espoirs. On prête au nouveau Pontife l’intention d’appliquer les idées exposées par Gioberti dans son livre de la Primauté, et, de Venise à Naples, la Péninsule acclame le Pape-libérateur.

La « savante Uranie » se rend compte cependant que, réduits à leurs seules forces, Charles-Albert et même Pie IX restent voués à l’impuissance. L’appui qui affranchira l’Italie doit lui venir de l’étranger et cet appui, elle a pu se convaincre aussi que ni Louis-Philippe, ni son gouvernement ne le prêteront jamais. Elle se résout donc à le demander à l’Angleterre et c’est la voix puissante de Disraeli qu’elle ira tout d’abord implorer.

Augustin Thierry avait autrefois approché le grand Orateur tory ; bien que sans grande illusion sur le résultat probable de cette tentative, il lui recommanda chaudement la visiteuse et sa démarche :


« Monsieur et ami,

« Je profite avec empressement d’une occasion bien agréable de me rappeler à votre souvenir. Une personne dont le monde vous a dit la haute distinction et dont j’éprouve chaque jour la parfaite bonté, Mme la princesse de Belgiojoso, va passer quelques semaines à Londres.

« Elle désire vous parler de l’Italie qu’elle aime en patriote et à laquelle, vous aussi, vous devez quelque chose. Maintenant que votre grande crise intérieure est vidée [10]...


«... Si Pergama dextra,
« Defendi possint...


« n’allez-vous pas vous tourner parfois vers les questions extérieures ? Un discours dans le Parlement anglais, et un discours de vous, monsieur et ami, est une puissance qui peut abattre ou relever.

« De ce côté-ci du détroit, nous nous sommes remis à espérer un peu de soulagement pour le pays le plus noble et le plus malheureux. Ah ! si l’Angleterre et la France voulaient s’entendre cordialement là-dessus ! Lord Palmerston aurait là une belle occasion pour se blanchir et pour mieux appliquer sa finesse diplomatique de 1840.

« Et la pauvre Irlande ? Ne vous joindrez-vous pas à ceux qui veulent qu’elle puisse vivre enfin de la vie commune des nations civilisées ? Je l’ai aimée, il y a vingt-cinq ans, comme si j’eusse été l’un de ses fils. Je me souviens qu’en parcourant les tristes pages de son histoire, il m’arrivait de prononcer tout haut la devise nationale si touchante : Erin mavournîn, Erin go bragh !

« Pardonnez-moi, monsieur et ami, ces divagations rétrospectives et veuillez agréer l’expression de ma haute estime et de mon entier dévouement. »

La princesse demeura six semaines à Londres, sans rapporter autre chose que de vagues assurances et, de retour aux Camaldules en octobre, se hâta de boucler ses malles à destination de Milan.

Ce départ laissa cette fois l’infirme sans étonnement et presque sans tristesse. Le labeur assidu qu’il poursuit sans relâche lui rend l’absence moins cruelle, qui lui semblait autrefois « un supplice » et plongé dans le passé, les blessures du présent le trouvent plus insensible. Pourtant, sans qu’ils le soupçonnent ni l’un ni l’autre, les grelots des postiers emmenant la princesse, sonnent le glas de leur intimité. Tout entière à sa fièvre de patriotisme, redevenue, comme au temps de sa jeunesse, l’héroïne de la Jeune Italie, Donna Cristina commence dès lors les tournées de propagande qui la rendront un instant l’idole des Romains et des Napolitains, l’âme de la résistance milanaise aux fusillades de Radetzky. Elle ne fera plus à Paris que de brèves apparitions, jusqu’au jour où, après l’expédition de Rome, elle ira, de fureur et de désespoir, disparaître, cinq ans, chez les Turcs, en un lointain exil.

Sa résolution n’en était pas moins pour Augustin Thierry une cause de sérieux embarras. Avant de quitter la France, Mme de Belgiojoso avait donné congé rue de Courcelles ; au printemps suivant, si le pavillon du Mont-Parnasse restait toujours inachevé, — et son vindicatif architecte ne se pressait pas, — l’historien se voyait menacé d’être sans logis.

Obsédant motif de préoccupations qui fait l’objet d’épîtres désolées à Locate. Donna Christina n’y répond guère, elle est tombée malade et s’en va dorloter sa convalescence à Venise. Ses lettres au surplus se font rares et, pour tout dire, les soucis dont on l’entretient, la laissent assez froide. Ses préférences altruistes ont trouvé à s’exercer ailleurs, en la personne d’un séduisant poitrinaire, son jeune secrétaire Stelzi, pour qui elle s’est prise d’une affection si passionnée, qu’elle ressemble furieusement à de l’amour.

Les appréhensions de l’écrivain se réalisèrent ; au mois d’avril, il lui fallut déménager, aller s’établir en hôtel meublé, rue Neuve-de-Berry, Dans son état de misère physique, cette nécessité prit les proportions d’une catastrophe. L’achèvement de l’Introduction, parvenue au règne de Henri IV, subit un nouvel arrêt, duquel il lui faut s’excuser encore auprès de Salvandy.

Par bonheur, ce désagrément fut de courte durée. La princesse s’était enfin décidée à intervenir, à houspiller sérieusement Mercier. L’effet de sa mercuriale ne se fit point attendre : en juillet 1847, l’historien pouvait enfin s’installer chez soi.

Il en éprouve une joie enfantine qui se traduit dans les lettres qu’il adresse en Italie.

« Je me trouve bien, très bien de mon pavillon, du jardin, de l’air et du soleil, et je me prends à dire quelquefois dans mes promenades : Home, sweet home !... Oui, mon logement me plaît et pour le traiter selon ses mérites, je viens de lui donner des rideaux de damas et des portières en tapisserie. Je suis heureux et pour vous le prouver, je m’attache autant que je puis au travail. »

Les cahiers de comptes d’Augustin Thierry, ses commandes aux fournisseurs montrent en effet avec quelle attention, quel soin, pourrait-on presque dire amoureux, il veille aux embellissements de sa demeure. Le choix et l’assortiment des papiers sont l’objet de plusieurs conférences avec l’entrepreneur Gobert, une longue note au tapissier Munier stipule pour les bibliothèques, des rideaux bleu-clair à bordures violettes, afin de s’harmoniser mieux avec la teinte de leur vieil acajou. « Je ne veux pas, dit-il à la princesse, qu’à votre retour vous aperceviez aucune dissonance. »

Hélas ! ce retour se fait chaque mois plus incertain. De ville en ville, à Florence, à Bologne, à Rome, à Naples, Christine Belgiojoso poursuit à présent son apostolat libérateur. Ses lettres respirent l’enthousiasme, la griserie des accueils qui lui sont ménagés, du renom qu’elle s’acquiert, des triomphes qu’elle remporte.

« Je viens d’être invitée à Florence à une assemblée populaire et m’y étant rendue, j’ai été reçue par des cheers et des vivats. On m’a fait asseoir sur un siège élevé qu’ombrageait un arrangement de drapeaux tricolores ; on m’a adressé des discours auxquels il m’a fallu répondre. Jamais femme ne s’est trouvée placée comme moi et les émotions que j’éprouve sont de nature à détraquer des nerfs féminins. Qu’est-ce que l’émotion d’une actrice comparée à la mienne ? Mme Rachel présente au public les traits et le cœur de Camille ou de Phèdre : moi, c’est bien mon visage et ma personne que je lui apporte [11]. »

Elle n’assiste point à la dernière communication que l’historien adresse à l’Institut [12] et voyant de tous côtés s’assombrir l’horizon politique, pressentant les convulsions qui vont secouer l’Europe, elle essaie vainement de mettre en garde son persistant optimisme.

Augustin Thierry n’entend point une Cassandre qu’il juge inspirée par la rancune et dont il met volontiers les alarmes au compte de son exaltation. La monarchie constitutionnelle est toujours à ses yeux le Gouvernement définitif, que les Français doivent bénir le ciel de leur avoir accordé. Convaincu de sa durée, il ne veut apercevoir ni ses causes de faiblesse, ni les dangers qui le menacent. Sa confiance est si profonde, qu’il a même fait venir près de lui la plus jeune de ses nièces, sa filleule Julie, désireux de retrouver à son foyer une intimité de famille.

C’est donc en pleine sécurité que vient le surprendre le coup de foudre de Février.


LA « CATASTROPHE » DE FÉVRIER

« Quand vint éclater sur nous la catastrophe de 1848, peut-on lire, dans la préface de l’Essai sur l’histoire du Tiers-Etat, j’en ai ressenti le contre-coup de deux manières, comme citoyen d’abord et comme écrivain. Par cette nouvelle révolution... l’histoire de France me paraissait bouleversée autant que l’était la France elle-même. » Consternation, regrets inconsolables, angoisse de l’avenir, doute chagrin de son œuvre et de son idéal, tels sont les sentiments qui remplissent alors l’âme d’Augustin Thierry et que le temps n’affaiblira qu’à peine. Toujours, jusqu’à sa mort, il restera « un fidèle et un pleureur de 1830, » et n’oubliera jamais la « lune de miel de Juillet. »

Maintes fois déjà au cours de ce récit, on a pu trouver formulée par celui-là même qui avait tant célébré les efforts de la bourgeoisie au Moyen Age, l’expression de sa tendresse raisonnée pour le régime dans lequel il aperçoit si parfaitement réalisée « l’alliance de la tradition nationale et des principes de liberté. » L’heure de son désastre, s’il rend cette conviction douloureuse, ne fait que l’enraciner davantage.

A chaque instant, sa Correspondance nous apporte, avec l’affirmation d’une certitude désolée, l’écho de sa tristesse et de ses anxiétés : « J’avais arrêté à 1830 tous mes désirs et tous mes rêves politiques. Je n’ai rien compris à l’opposition fougueuse que des hommes d’esprit et de patriotisme faisaient au Roi le plus sensé et le plus patriote que la France ait jamais eu. Ils ont amené sans le savoir et sans le vouloir cette République dont le nom seul est peut-être encore plein de nouveaux orages [13]. »

Même profession de foi dans cette lettre à la princesse Belgiojoso : « Et campos ubi Troja fuit... J’applique ce triste vers à notre régime monarchique, si merveilleusement continué durant plus de sept siècles pour être à la fin et en même temps traditionnel et libre. Les princes d’Orléans étaient nos princes légitimes comme Bourbons constitutionnels ; ils ont perdu le trône et nous la liberté, la seule liberté possible pour les grands Etats et la civilisation moderne. »

Nous pourrions multiplier ces extraits, ils produiraient tous un identique témoignage. C’est, en effet, qu’indépendamment des regrets laissés au penseur par la monarchie tombée, la République ne lui inspire que frayeur et répulsion. Elle signifie pour lui l’écroulement des principes de 1789, le triomphe des maximes de 1793 qui en « sont la négation, conduisent à l’anarchie et au chaos. » Parce qu’elle se confond avec la démagogie, dont elle encourage tous les bas instincts, elle mène tout droit au socialisme, avec sa conséquence inévitable, le communisme, destructeur de toutes libertés, auxquelles il substitue la plus avilissante tyrannie. Or, nous connaissons l’horreur d’Augustin Thierry pour le socialisme, cause principale de sa rupture avec Saint-Simon, et nous avons cité les jugements qui, pour être prononcés dans son âge mûr, représentent déjà l’opinion de sa jeunesse.

Durant ce tragique printemps de 1848, il suit avec une attention de jour en jour plus inquiète, la marche trouble des événements. S’il rend hommage à Lamartine ou à Dupont de l’Eure, il ne les aperçoit pas moins hésitants et timorés, débordés par les meneurs de la « Révolution prétendue philosophique, » les prêcheurs de clubs, » tous les fous criminels déchaînés sur la France. »

« Le mauvais de la situation n’est pas dans les hommes, mais dans les choses ; la majorité du gouvernement provisoire est admirable, les hommes du National sont pleins de sens et de cœur. Lamartine a des moments sublimes d’éloquence et de courage, mais sa force ira-t-elle jusqu’au bout ? Sera-t-il contraint de quitter la place seul ou avec les meilleurs ? Seront-ils tous balayés par une avalanche ? Voilà ce qu’on se demande avec angoisse et nul ne peut répondre du lendemain. Il faudrait que le Gouvernement pût se maintenir contre ce qui le déborde jusqu’aux élections qui vont se faire, qu’il sortit de ces élections gigantesques une Assemblée raisonnable et que cette Assemblée décrétât la Constitution américaine : un Président et deux Chambres ; mais que de doutes et de périls jusque-là [14] ! « 

Après le tumulte du 15 mai, devant le péril imminent, ses amis l’adjurent de quitter Paris, d’aller se réfugier en province. Il reste sourd à tous les conseils. A la princesse Belgiojoso, qui, dans un appel pressant, insiste à nouveau pour qu’il vienne la rejoindre en Italie, lui vantant la douceur de vivre à Portici, « dans un paradis sur le bord de la mer, sous des bosquets d’orangers, de palmiers et d’aloès, dans un air qui semble imprégné d’intelligence, tant il est sympathique et vivifiant, » il oppose le même refus obstiné : « Je suis vivement touché, ma chère sœur, mais, hélas ! il n’y faut point songer, à présent moins que jamais ; je vivrai et je mourrai avec mon pays. »

Les journées de Juin le trouvent inébranlable dans sa volonté, et c’est le 26, au fracas de la canonnade, qu’il fournit à Ulric Güttinguer ces explications d’un si noble stoïcisme :


« Monsieur et ami,

« Votre souvenir est de ceux qui me font du bien, quand ils viennent me chercher, soit dans les bons, soit dans les mauvais jours.

« J’ai reçu des conseils de retraite en province ou à la campagne et je les ai tous rejetés. Voici mon plan de vie et de mort. Je suis un soldat de la science, je resterai à mon poste, c’est-à-dire à Paris, car nulle autre part, mon travail ne peut se continuer et, si le péril extrême arrive pour moi, il me trouvera occupé comme Archimède, entre une phrase dictée et des notes pour la suivante.

« Je ne puis vous dire que j’ai une grande confiance dans la paix que l’énergie du général Cavaignac veut nous procurer. Les doctrines des soi-disant socialistes survivront à la défaite des atroces fanatiques qu’elles ont armés contre la liberté, la propriété, la raison, la morale, en un mot contre la conscience du genre humain. Ces doctrines délétères nous assiègent de toutes parts et sous toutes les formes : elles seront un poison lent pour la société, si elles ne sont pas une mine qui éclate sous elle.

« À ce propos, je crois que le vers de Virgile, qui vous rend si triste, ne ment pas tout à fait à votre égard. La terre est ce qui tiendra le plus longtemps dans les mains de ceux qui la possèdent. C’est la chose la plus résistante, elle sera grevée et regrevée bien des fois, avant d’être partagée, suivant les Babouvistes, ou de tomber dans le domaine de l’État, suivant les socialistes de toutes couleurs. On peut donc vous dire avec le poète : ergo tua rura manebunt, et, par comparaison du moins, vous appeler heureux. Les capitaux partiront avant la terre et avant les capitaux, tout avantage possédé à un titre intellectuel. Pour moi, la chose est déjà faite ; ç’a été un balayage complet. La République m’a traité comme l’un des abus du dernier règne. Rendez grâces à Dieu de ce que vous n’êtes pas seulement un auteur plein de grâce et d’esprit.

« Adieu, Monsieur et ami, pensez à moi dans vos promenades solitaires et me croyez tout à vous de haute estime et de sincère attachement. »


Dans cette lettre, où l’historien du Tiers-État montre une si claire prescience des félicités réservées à l’univers par le collectivisme intégral, une phrase fait discrètement allusion aux préjudices matériels que lui a causés la Révolution.

Ceux-ci ne laissaient pas d’être considérables, si l’on s’en rapporte à d’autres aveux moins déguisés, épars dans la Correspondance. » La catastrophe de Février, et ses suites, se plaint-il en 1850 à M. de Circourt, m’ont enlevé 10 800 francs de revenus, qui sont irrévocablement perdus pour moi et, malgré tous mes efforts, je n’ai jamais pu retrouver un centime. » L’un des premiers actes, en effet, du Gouvernement provisoire avait été de supprimer les pensions littéraires accordées par Louis-Philippe et l’Assemblée Constituante, malgré les efforts de Lamartine, ne les ayant pas rétablies, toutes celles, qu’à des titres divers touchait Augustin Thierry, avaient cessé d’être payées. Il en résultait pour lui un désarroi financier d’autant plus inquiétant qu’il s’était endetté pour meubler à neuf son pavillon du Mont-Parnasse.

Les alarmes qu’il éprouve à ce sujet se traduisent en confidences accablées. » La Révolution m’a rudement appris que je n’étais rien, rien qu’un des abus du régime brisé par elle et la folie que j’ai faite, après votre départ, de meubler mon salon en rideaux de soie, portières en tapisserie, grand lustre, etc.. m’a endetté de 5 000 francs, en sus du reste. Cela amusait, il y a deux mois, mon imagination d’aveugle, et maintenant cela me pèse comme une dérision de ma fortune présente : je crois voir une tête de mort qui me sourit [15]. »

Du moins, croyait-il pouvoir conserver dans ce désastre le traitement de 4 500 francs qui lui avait été alloué pour diriger les travaux de la Collection des Documents du Tiers-Etat. Carnot, Vaulabelle, ni Falloux, n’avaient, à cet égard, rien voulu changer aux décisions de Guizot ; mais à la fin de 1849, M. de Parieu arrivant à l’Instruction publique, par un arrêté en date du 29 décembre, transformait ces émoluments en une indemnité éventuelle, payable à la publication de chacun des volumes du Recueil.

Augustin Thierry se montra fort ému d’une mesure qu’il considéra comme « une marque publique de blâme et de défiance » à son adresse et protesta vivement auprès du Ministre. A l’inutilité de ses efforts, il comprit amèrement que les temps n’étaient plus où, il pouvait compter sur la bienveillance du Pouvoir et les égards jusqu’alors accordés à celui dont toutes les heures de travail étaient glanées sur les jours de souffrances.

Afin de pouvoir contenter plus vite les exigences ministérielles, modifiant à regret le plan qu’il avait arrêté, l’historien se résolut donc à interrompre en 1715 l’introduction générale destinée au premier volume de la collection, à renvoyer en tête du second le Tableau de la France Municipale, auquel il travaillait avec Louandre et Bourquelot, réservant pour un troisième, la conclusion de l’Histoire du Tiers-Etat, qui devait comprendre les règnes de Louis XV et de Louis XVI, jusqu’à la réunion de l’Assemblée Nationale.

L’année 1850 s’écoule ainsi pour lui, dans un labeur forcé, qu’il poursuit sans entrain, presque sans conviction. Les théories qu’il construisait naguère avec tant de foi sur l’ascension progressive du Tiers-Etat, l’avènement de la monarchie constitutionnelle, terme logique de cette évolution et fin providentielle du travail de huit siècles, lui semblent à présent contestables et peut-être caduques.

A diverses reprises, il se plaint « de ne plus voir clair sur sa route » et lorsque paraît enfin le volumineux in-quarto qui donne satisfaction aux impatiences de M. de Parieu, il accompagne de cette lettre désenchantée son envoi à Henri Baudrillart :


« Monsieur et ami,

« Voici le volume auquel vous avez la bonté de vous intéresser. Je désirerais qu’il vous fût possible de venir en causer avec moi, lorsque vous l’aurez lu entièrement.

« Cette question de la destinée du Tiers-État est le nœud de toute notre histoire ; elle me semblait jusqu’à ces derniers temps d’une clarté incontestable ; je croyais y voir le secret des vues de la Providence à notre égard. Aujourd’hui, je l’avoue, des doutes me viennent et je sens le besoin de me raffermir.

« Comment poursuivre avec la même conviction jusqu’à 1789, cette histoire que j’ai conduite du XIIe siècle à la fin du règne de Louis XIV, en croyant que depuis 1830, nous étions arrivés au but marqué pour nous, il y a six cents ans ? Où placer maintenant l’avenir de la France qui me semblait être évidemment l’alliance de la tradition monarchique et des principes de liberté : le Gouvernement constitutionnel ? Voilà Monsieur, les incertitudes qui me gagnent et qui ont remplacé dans mon esprit la foi la plus entière. Si la vôtre ne partage pas mes défaillances, je trouverais là pour continuer ma route, un encouragement et un appui. »

La mort de Louis-Philippe, achevant de ruiner les espoirs de restauration qu’il conserve au fond du cœur, vient encore augmenter sa tristesse : « Elle m’a été sensible à un point que je ne saurais dire, écrit-il à M. de Circourt ; j’en ai souffert comme si elle rendait plus misérable encore le malheureux état de mon pays. Tant que vivait le chef de notre dynastie constitutionnelle, il me semblait qu’entre elle et nous, la séparation n’était pas encore complète. C’était une illusion, je le sais bien, mais cette illusion me rendait moins lourd le poids de la réalité. Aujourd’hui, rien ne me dissimule plus la profondeur de l’abime creusé entre le présent et un passé auquel m’attachaient mes idées, mes affections, mes études, tout ce que j’avais dans la raison et dans le cœur. »

Il garde contre Louis-Napoléon la même défiance et les mêmes préventions qu’il manifestait dix ans plus tôt contre l’auteur des échauffourées de Boulogne et de Strasbourg : mais la République ne pouvant, dans sa pensée, conduire qu’à deux solutions, l’anarchie socialiste ou la dictature, il préfère encore cette dernière, malgré ses répugnances, au « chaos de honte et de sang. »

Après l’élection du 10 décembre, sa conviction est faite : c’est la marche à l’Empire : « Ou ce qui se prépare, ou l’anarchie complète, prévient-il lady Rolland, voilà la triste alternative où le pays est placé ; la France continue à boire le calice de sa révolution républicaine : c’est ce qu’il faut dire en baissant le front et la honte date pour nous de ce jour-là. » Le coup d’Etat ne lui cause donc aucune surprise, mais non plus aucune révolte. Il l’accepte sans joie, comme le remède héroïque qui doit permettre au pays de se sauver du pire.

C’est le sentiment qu’il exprime à la princesse Belgiojoso, aussitôt après le plébiscite : « Je ne sais si Mignet vous a écrit depuis les derniers événements, il est profondément triste de l’exil de Thiers à qui la France est interdite. Quant à moi, j’ai vu disparaître le régime parlementaire, ce rêve de ma jeunesse, cet objet de tous mes vœux de publiciste, avec une douleur véritable, combattue, mais non tempérée par le sentiment de l’horrible danger vers lequel nous marchions à grands pas. Je me suis trouvé dans l’état d’un homme qui se sent la vie sauve et qui sent aussi qu’il a perdu tout ce qui faisait le prix de sa vie. »

Et quelques mois plus tard, résigné, mais non converti, réfractaire à l’enthousiasme soulevé par la proclamation de l’Empire, il porte sur l’enchaînement des circonstances qui le rendirent inéluctable le jugement réfléchi de ses méditations d’historien.

« Je ne suis pas prophète, mais j’ai dit au lendemain du 24 février que telle était la fin dernière de cette triste et incroyable folie d’une république française. C’était forcément l’anarchie, et, pour en sortir, toutes les portes se trouvant fermées, hors une seule, on devait s’y précipiter. Le vote du 10 décembre 1848, que nos amis orléanistes regardaient comme une illumination de l’instinct national, menait, même sans un coup d’Etat, au vote du 20 décembre et, comme les nations, une fois lancées, vont aussi droit et ne s’arrêtent pas plus qu’un boulet de canon, le 20 décembre, c’était la restauration de la dynastie impériale.

« Il se peut que mon métier d’historien me fasse illusion, mais je vois là une preuve de la puissance de l’histoire dans les affaires humaines qu’on s’imagine gouvernées avec la raison pure et la logique. Nous avions été séparés par une catastrophe imprévue de notre grande histoire, de celle de huit siècles ; nous ne pouvions plus y rentrer, parce qu’elle était malheureusement divisée contre elle-même : nous nous sommes amarrés à la petite, à celle du Consulat et de l’Empire et nous nous y sommes accrochés, comme les gens qui se noient, avec frénésie.

« Voilà le fond des choses. On a beau rechigner en paroles et multiplier les épigrammes, il n’y a pas d’épigrammes qui puissent prévaloir contre cela : le 24 février portait en soi le 2 décembre, et le 2 décembre portait l’Empire [16]. »

Augustin Thierry verra les premières années, les années heureuses du nouveau règne, sans en subir le prestige. Cette apparente prospérité demeure fallacieuse à ses yeux. Fidèle aux principes de l’école libérale de 1822 qui ont décidé les convictions de sa vie, il ne cessera point de considérer l’Empire comme un régime d’accident, promis, de par son illogisme même, à toutes les vicissitudes, parce qu’il brise la tradition nationale, entrave le développement normal du pays, dont il a bouleversé l’histoire.

L’heure de l’action est passée pour lui et ses infirmités le retiennent à l’écart de la mêlée. Son opposition restera donc toute doctrinale et académique, non pas même frondeuse comme celle de Villemain, mais plutôt distante et hautaine comme celle des Cousin, des Guizot et des Sacy. Vainement, Fortoul, qu’il a protégé au temps de ses débuts universitaires, avec lequel il a longtemps maintenu des rapports amicaux, voudra-t-il essayer de la séduction, faisant miroiter à ses yeux la plaque de grand-officier ; l’apologiste de 1830, le contempteur du césarisme, ne se ralliera jamais à Napoléon III.


A. AUGUSTIN-THIERRY.

  1. Voyez la Revue des 15 octobre, 1er novembre et 15 décembre 1921, 1er janvier 1922.
  2. Née en 1838 plus tard, la marquise Trotti-Bentivoglio.
  3. Lettre de la princesse Belgiojoso : 5 décembre 1844.
  4. Lettre de Locate : 80 janvier 1845.
  5. Elle ne comprend pas en effet moins de 38 lettres pour le seul hiver 1843-1845 et chacune de huit à dix pages.
  6. Lettre du 27 décembre 1844.
  7. Lettre du 28 décembre 1845.
  8. 2 mai 1846.
  9. Numéros des 15 mai et 1er juin 1846.
  10. L’agitation libre-échangiste qui aboutit à l’abrogation de la loi sur les céréales.
  11. Lettre du 30 décembre 1847.
  12. 11 février 1848.
  13. Lettre à M. d’Espine, 17 avril 1848.
  14. Lettres à la princesse Belgiojoso, 25 mars 1848.
  15. Lettre à la princesse Belgiojoso : 11 avril 1848.
  16. Lettre à la princesse Belgiojoso, 19 décembre 1852.