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Augustin d’Hippone/Sermons Inédits/Sermons sur l’Écriture

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SIXIÈME SÉRIE.

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SERMONS INÉDITS[1].

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PREMIER SUPPLÉMENT.

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PREMIÈRE SECTION. — SERMONS SUR L’ÉCRITURE.

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PREMIER SERMON.

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L’ARBRE DE LA SCIENCE DU BIEN ET DU MAL.

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ANALYSE. —1. Exorde. —2. L’arbre auquel il était défendu de toucher. —3. Cet arbre, par sa nature, n’était pas un principe de mort. —4. Il n’était même pas mauvais par lui-même. —5. Il est facile de le prouver par des comparaisons.6. Le péché ne doit être imputé qu’à Adam, et non pas à l’arbre ou à Dieu. —7. Conclusion.


1. Dans l’Ancien Testament, au livre de la Genèse, nous lisons ces paroles adressées à Adam par le Seigneur : « Vous mangerez du fruit de tous les arbres du paradis, mais vous ne toucherez pas à l’arbre de la science du bien et du mal, lequel est placé au milieu du paradis ; car le jour où vous mangerez de son fruit, vous mourrez de mort[2] » : Or, nous savons, bien-aimés frères, que cet arbre est encore l’objet de questions bien futiles de la part de certains hommes qui soutiennent que le péché d’Adam n’a pas été volontaire, puisque cet arbre renfermait la science du bien et du mal ; c’est ainsi qu’en voulant excuser de péché le premier homme, ils font eux-mêmes à Dieu la plus grave injure. Nous devons réfuter ces audacieux panégyristes, pour empêcher qu’ils ne soulèvent plus longtemps ces vaines questions et qu’ils ne se cachent sous le manteau de l’erreur. Si donc ils veulent réellement s’instruire, qu’ils se taisent et écoutent, à moins qu’ils ne veulent que leur sot langage devienne une injure pour la Divinité.
2. Un arbre était placé au milieu du paradis terrestre pour mettre à l’épreuve la volonté de l’homme ; de cet arbre dépendait la vie par l’obéissance, ou la mort par la transgression. C’est la transgression qui éclata par la manducation du fruit de l’arbre, quoique ce fût contre elle que la sanction de la loi eût été directement formulée. Le Seigneur avait dit à nos premiers parents : « Vous mangerez du fruit de tous les arbres qui se trouvent dans le paradis ; quant à l’arbre qui se trouve dans le milieu du paradis, vous n’y toucherez pas, de crainte que vous ne mouriez de mort ». Cette sentence énonçait pour l’homme une loi positive accompagnée de sa sanction : la promesse de la vie, comme récompense, et la menace de la mort comme châtiment. Le Seigneur avait dit : « Si vous mangez du fruit de cet arbre, vous mourrez de mort » ; le démon leur dit, au contraire : « Vous ne mourrez pas de mort ». L’homme se trouva entre Dieu son créateur, et le démon fourbe et trompeur. Dieu menace de la mort, si l’homme touche au fruit de l’arbre ; le démon promet à nos premiers parents de devenir comme des dieux, s’ils mangent le fruit défendu. C’est ainsi que ce arbre a été profané ; ce qui charma, ce fut la douceur empoisonnée de la mort, et la promesse d’une vie perpétuelle ne fut accueillie que par le mépris.
3. Mais, s’écrie tel calomniateur, ne voyez-vous pas que la mort a été créée dans cet arbre ? Répondons à cette vaine question. Certainement la mort n’a pas été créée dans cet arbre ; elle n’a d’autre cause ou d’autre principe que l’homme lui-même. La loi imposée à l’homme fut pour lui une épreuve, et non pas une ruse de la part de son Sauveur. En effet, si Dieu n’avait pas aimé l’homme, s’il eût voulu le faire mourir, il ne l’eût pas créé, ou, après l’avoir créé, il ne l’eût pas prévenu du danger qui le menaçait. Si Dieu n’eût pas prévenu l’homme, il eût montré, non pas de la miséricorde, mais de la cruauté ; non pas de la justice, mais de l’injustice ; car, après avoir créé l’homme par miséricorde, il l’eût fait tomber injustement. Si l’homme lui-même n’est pas capable d’une telle impiété, comment la supposer en Dieu qui est la source de la miséricorde et de la bonté ? Quel homme, mes frères, ferait lui-même périr son couvre, détruirait son ouvrage ou précipiterait dans le gouffre de la mort le fils qu’il a engendré ? Si une telle cruauté n’est pas possible à l’homme, comment la supposer en Dieu qui a entouré de tant de soins son œuvre, c’est-à-dire l’homme, et lui a prêté, contre une chute imminente, l’appui tout-puissant d’une loi claire et formelle ? Pourtant il ne put se tenir debout ; pourquoi donc, sinon parce qu’il n’a pas voulu entendre ? Que pouvons-nous donc reprocher à Dieu, puisque, si Adam est tombé, c’est uniquement parce qu’il a méprisé le précepte de Dieu ?
4. Dites-moi donc : Cet arbre était-il bon cru mauvais ? vous appellerez, sans doute, mauvais un arbre dont l’homme n’a pu manger le fruit sans s’incorporer la mort ? Est-ce donc l’arbre qui était mauvais, ou bien la transgression du précepte ? Certainement, c’était l’arbre ; car si l’arbre n’eût pas été mauvais, aurait-il pu communiquer la mort à l’homme ? C’est ainsi que vous raisonnez, sans tenir aucun compte de la vertu des Écritures ; car, comme il est écrit que dans cet arbre était la connaissance du bien et du mal ; de même il est écrit : « Dieu considéra ses œuvres, et il vit qu’elles étaient très bonnes[3] ». Vous croyez ce qui vous induit en erreur, et vous ne croyez pas ce qui pourrait vous guérir. Vous qui calomniez, voulez-vous vous convaincre que cet arbre était bon, et non pas mauvais, que Dieu n’y avait pas déposé la mort, mais que c’est l’homme qui s’est créé la mort pour lui-même ? Répondez à ces questions : Le fer est-il bon ou mauvais ? Vous direz sans doute qu’il est mauvais. Pourquoi est-il mauvais, et non pas bon, quand toutes les choses créées par Dieu sont très-bonnes ? D’un autre côté, comment regarder comme bon ce fer par lequel tant d’hommes trouvent la mort ? Écoutez donc : ce n’est pas le fer qui est mauvais, mais l’homme qui s’en sert pour tuer injustement son semblable. Voulez-vous savoir pourquoi le fer est bon ? Ne voyez-vous pas que si les uns s’en servent pour commettre l’homicide, les autres s’en servent pour féconder la vigne en la taillant ? Les uns se nourrissent par le fer, et les autres immolent les innocents également par le fer ; l’un se sert du fer pour cultiver son champ, et l’autre pour verser le sang en temps de paix ; l’un pour sustenter sa vie, et l’autre pour l’arracher à son prochain. Le juge ne porte-t-il pas le glaive pour en frapper le coupable et pour absoudre l’innocent ?
5. Hardi calomniateur, écoutez encore, si vous en avez le loisir. Le vin est-il un bien ou un mal ? Je pense que vous répondez que c’est un bien, et non pas un mal, et cela par raison d’équité, et non pas dans l’intérêt de l’ivresse. Le vin est donc un bien et un grand bien. Je vous félicite que du moins, sur un point, vous confessiez que la créature de Dieu est bonne ; je le confesse également. Pourquoi donc le vin est-il pour l’un une occasion de pratiquer la sobriété, et pour l’autre une occasion de s’abandonner à l’ivresse ? Parce que tel homme s’enivre et se couvre de honte, est-ce une raison suffisante pour maudire la créature de Dieu ? L’un boit avec sobriété et bénit Dieu dans cette sobriété, tandis que l’autre s’enivre, tombe dans le précipice et souvent même se donne la mort, ce qui est bien plus grave encore. Les aliments que Dieu nous a donnés pour nous nourrir, ne sont pas mauvais, mais bons ; et cependant, si nous les prenons en trop grande quantité, ils deviennent pernicieux et nuisibles. Dirons-nous donc que la créature de Dieu est mauvaise, parce qu’elle devient nuisible à quelques-uns ? Il est naturel qu’elle nuise à ceux qui, au détriment de leur santé, la prennent en plus grande quantité que ne peuvent le supporter les organes dont Dieu nous a doués. Je puis en donner des preuves que tout le monde connaît. On a vu des hommes mourir étouffés par la grande quantité de vin ou de nourriture qu’ils avaient prise. La mort était-elle cachée dans le vin ou dans la nourriture ? Non certes ; mais c’est l’intempérance qui leur a causé la mort. Parce qu’un brigand emploie le fer pour commettre un homicide, il ne s’ensuit nullement que le fer soit mauvais par lui-même ; ce qui est mauvais, c’est l’homme qui trouve dans le fer un moyen de commettre l’homicide. De même l’arbre du paradis terrestre était bon, et non pas mauvais ; mais ce qu’il y eut de mauvais, c’est que le premier homme se soit servi de cet arbre pour transgresser le précepte du Seigneur. Tout ce que Dieu a daigné remettre à l’homme pour son usage est certainement bon. J’en trouve la preuve jusque dans le Nouveau Testament. En effet, nous lisons dans les Actes des Apôtres que saint Pierre s’endormit et que, pendant son sommeil, il vit le ciel ouvert et comme une grande nappe formant une espèce de vase d’une blancheur éclatante, qui descendait du ciel sur la terre et où étaient toutes espèces de quadrupèdes, de reptiles et d’oiseaux du ciel. Et une voix dit à Pierre : « Lève-toi, tue et mange ». Et Pierre répondit : « Non, Seigneur, car je n’ai jamais mangé rien d’impur et de souillé ». Et de nouveau la voix lui dit : « N’appelle point impur ce que Dieu a purifié[4] ». Calomniateur, dites-moi, qu’en pensez-vous ? Suffit-il de dire que toutes ces choses sont bonnes, puisque nous venons d’apprendre de la bouche même de Dieu qu’elles ont été sanctifiées ?
6. Donc, l’arbre du paradis était bon et l’on ne pouvait trouver en lui quoi que ce soit de mauvais ; de son côté, l’homme eut le triste pouvoir de se rendre lui-même mauvais et de faire un mauvais usage d’un bien que Dieu avait créé. Si vous doutiez encore que la volonté de l’homme fût devenue mauvaise, n’oubliez pas qu’elle en vint à regarder comme insuffisante pour elle toute l’abondance du paradis terrestre. Et parce qu’elle porte la main sur le fruit défendu, elle encourt aussitôt la mort de l’âme. Si Dieu ne lui avait abandonné qu’un seul arbre et lui avait interdit tous les autres arbres du paradis, malgré tout, l’homme aurait dû se contenter de ce qui lui était accordé. Dieu avait été beaucoup plus généreux, et cependant l’homme ne se montra pas satisfait de ce qu’il avait reçu, et, dût-il perdre honteusement ce qu’il possédait, il se précipita en aveugle dans la prévarication et dans la mort. A qui donc faut-il imputer le péché d’Adam ? Est-ce à Dieu qui a averti, ou à l’homme qui a refusé de profiter de l’avertissement ? Est-ce au médecin, quia donné ses ordres au malade, ou au malade qui, malgré l’ordonnance du médecin, a goûté du fruit défendu, et s’est jeté dans la désobéissance ? Il est du devoir des médecins, à l’égard de ceux qu’ils voient gravement malades, de leur interdire toute nourriture contraire à leur santé, afin de les soustraire ou au danger ou à la mort. Supposé que les malades, contrairement aux prescriptions du médecin, prennent de la nourriture par intempérance et soient ainsi la cause de leur mort ; la responsabilité peut-elle peser sur le médecin qui, prévoyant le danger, a défendu de s’y exposer ? Dieu est le médecin de nos âmes, et on ne saurait lui imputer la chute d’Adam, puisqu’en le prévenant à l’avance il a prouvé qu’il désirait le voir vivre éternellement.
7. Il reste beaucoup à dire sur ces sortes de questions, mais l’heure est passée et je craindrais que la longueur du discours ne fatiguât les auditeurs. Je me reconnais donc votre débiteur, et je vous prie de m’accorder un délai ; mais je crains fort qu’en se présentant pour payer, le débiteur ne trouve les créanciers brillant par leur absence.

DEUXIÈME SERMON.

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L’ARBRE DE LA SCIENCE DU BIEN ET DU MAL.

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ANALYSE. —1. Exorde. —2. Pourquoi Dieu, sachant que le premier homme devait pécher, n’a-t-il pas rendu le péché impossible. —3. La mort a eu pour cause le mépris du précepte divin. —4. Dieu a-t-il de permettre le péché ? — 5. Si Adam est mauvais, ce n’est pas précisément parce qu’il est le père d’un homicide. —6. De même Dieu n’est pas l’auteur du mat, quoiqu’il soit le créateur d’Adam, pécheur. —7. Conclusion.


1. Je me propose de payer la dette que j’ai contractée envers vous ; mais je ne retrouve plus mes anciens créanciers ; je n’en vois que quelques-uns et je réclame les autres. O créancier paresseux, au lieu de venir exiger ce qui vous est dû, pourquoi nous affliger par votre absence ? Mon plus grand désir c’est de payer ma dette, et le créancier me fait défaut. N’est-ce pas chose nouvelle de voir un débiteur supplier le créancier d’accepter son paiement, et le créancier s’excuser de ne pas venir toucher sa créance ? Mais qu’importe ; si le créancier refuse de venir, que du moins le débiteur accomplisse sa promesse.
2. Malgré toutes les preuves précédemment énoncées, notre calomniateur, loin de s’avouer convaincu, nous réplique : Dieu savait-il, oui ou non, que l’homme peut pécher ? Pour ne pas lui laisser la satisfaction de croire que sa question est sérieuse, répondons-lui sur-le-champ : Oui, Dieu le savait parfaitement. – Mais si Dieu savait que l’homme peut pécher, pourquoi ne lui a-t-il pas rendu le péché impossible ? – Pourquoi ? Parce que l’homme ne doit pas être couronné contre son gré. Qui donc, mes frères, oserait donner la récompense à celui qui n’a pas travaillé ? ou la couronne à celui qui n’a pas combattu ? Toute victoire ne suppose-t-elle pas une bataille ? Écoutez l’Apôtre formulant cet oracle divin : « Personne n’est couronné, s’il n’a légitimement combattu[5] ». Adam n’a ni combattu, ni engagé la lutte avec le démon ; devant la première suggestion perfide, il a perdu la récompense de l’immortalité. Il a été vaincu, parce qu’il n’a pas combattu ; il a succombé à sa propre volonté, et non pas à la nécessité. Calomniateur, vous qui ne savez pas lever le masque qui vous voile, et qui calomniez le Seigneur, voulez-vous savoir pourquoi le premier homme a péché volontairement ? Job lui était de tous points semblable. Et pourtant quelles ne furent pas ses souffrances et ses douleurs ! Il combattit courageusement et triompha ; le démon avait reçu de Dieu plein pouvoir de l’éprouver, et Job supporta vaillamment cette épreuve. Puisque Dieu savait que Job ne pourrait pas être vaincu, il ne devait pas le livrer en la puissance du démon ; mais il a voulu qu’il fût soumis à ces horribles épreuves, afin de nous ôter tout prétexte de nous excuser ou de calomnier. Privé de tous ses biens et de toutes ses richesses, Job n’a pu être vaincu, parce qu’il n’a pas voulu se laisser vaincre. Il perdit ses fils et il bénit le nom du Seigneur. Il y a plus encore ; car, devenu lui-même tout couvert d’ulcères, il se vit jeté sur un fumier et ne prononça contre Dieu aucune parole de reproche ou de blasphème. Ses souffrances pouvaient lui arracher des cris, mais ce ne furent jamais des cris de révolte. Sa femme elle-même parut tout à coup lui avoir été laissée, non pas pour lui prêter secours, mais pour accroître ses épreuves ; elle aida au démon, mais se tourna contre son mari. Séduite par l’esprit menteur, elle disait à son époux : « Jusques à quand subirez-vous toutes ces douleurs ? dites une parole contre le Seigneur, afin qu’il s’irrite contre vous et vous frappe de mort[6] ». O affection d’une épouse ! ô tendresse conjugale ! Elle ne dit pas : Humiliez-vous devant le Seigneur, afin qu’il ait pitié de vous et que vous viviez ; mais : Blasphémez contre Dieu, afin qu’il s’irrite contre vous et vous frappe de mort. O raisonnements de l’antique serpent ! Il pensa séduire par son épouse celui dont il n’avait pu obtenir aucun blasphème, malgré les souffrances dont il le chargeait. Et pourtant Job ne lança contre Dieu aucune parole de colère ou d’ingratitude, et, malgré les suggestions de sa femme, il obéit jusqu’au bout, non pas au démon, mais à Dieu. Adam eut-il à subir de semblables épreuves ? Quelle lutte soutint-il contre le démon ? Rien de pareil ne se retrouve dans sa personne ; pourquoi donc obéit-il au démon, plutôt qu’à Dieu ?
3. Calomniateur, vous demandez encore Pourquoi ces paroles du Seigneur : « Vous mourrez de mort » ; puisque Dieu n’a pas éloigné la mort, n’est-ce pas lui qui l’a faite ? Une telle ineptie se retourne facilement contre vous. Vous n’êtes qu’un humble mortel ; je suppose donc que, dans la crainte que vos serviteurs ne s’exposent à la mort, vous leur intimez un précepte qui doit assurer leur vie ; mais voici que l’un deux, par l’effet de sa négligence et de son incurie, tombe dans un piège et meurt ; est-ce que c’est à vous que l’on doit imputer cette mort, non pas à celui qui, en méprisant vos ordres, s’est exposé de lui-même à mourir ? De même, la mort d’Adam ne doit en aucune manière être imputée à Dieu, qui, avant la transgression du précepte, l’avait averti de ne point s’exposer à la mort. N’est-il pas évident que Dieu ne voulait pas que l’homme pérît, et que ce n’est pas lui qui a fait la mort ? C’est ce qu’affirme la sagesse par la bouche de Salomon : « Dieu a n’a pas fait la mort, et il ne se réjouit pas a dans la perte des vivants[7] ». Adam a transgressé le précepte de Dieu ; et pourtant il n’avait été ni couvert de blessures, ni frappé de glaive par un persécuteur. Or, personne ne viole les lois d’un empereur, sans s’exposer à être puni de mort. Ce n’est qu’avec une grande crainte et une vénération profonde que les sujets reçoivent une vile ordonnance de leur prince : elle n’est rédigée que par une autorité humaine, et pourtant ils l’adorent comme un précepte divin. D’un autre côté, lecture est donnée des divines Écritures, la parole de Dieu retentit comme la foudre ; c’est en quelque sorte Dieu lui-même qui parle aux auditeurs, et cependant il n’est ni respecté, ni craint, ni adoré, ni écouté ; et ce qui est pire encore, l’auditoire est pris comme d’un immense dégoût, les regards se promènent de tous côtés, l’attention est distraite et les fables les plus futiles absorbent tous les esprits. Un empereur, à une très-grande distance, parle par son décret, il inspire la crainte, et son décret est vénéré comme sa personne elle-même ; nous lisons les oracles du Seigneur, et un trop grand nombre les méprisent. Les Prophètes l’annoncent, les Apôtres le prêchent, les Évangélistes nous le montrent ; il s’entretient lui-même avec les hommes, et il n’est pas écouté. Prêtez l’oreille à cette parole de Jésus-Christ vivant au milieu des hommes et leur disant : « Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je me trouve au milieu d’eux[8] ». Mais, disent encore les calomniateurs, Dieu n’a pas dû permettre que l’homme péchât. Qu’ils sont insensés ceux qui tiennent ce langage et oublient que Dieu, en créant l’homme, n’en a pas fait une statue de pierre ou de marbre, mais un homme parfait, jouissant de la puissance du libre arbitre ! Cet homme ainsi maître de sa volonté devait envisager sérieusement le bien qu’il avait à désirer et le mal qu’il avait à mépriser ; il lui fallait craindre ce dont le Seigneur l’avait menacé, et mépriser ce que le démon lui avait suggéré. Sans perdre de vue un seul instant la récompense de l’immortalité, il devait disposer son oreille et son cœur à accomplir le précepte de son Créateur, et à repousser le conseil de son bourreau. N’ai-je pas raison d’accuser l’homme plutôt que Dieu qui a fait l’homme bon, et à qui je fais la plus grossière injure ; car je le condamne pour justifier l’homme ? O folle et vaine question ! Les hommes disent Dieu n’aurait pas dû permettre que l’homme péchât, et ils ne disent pas que l’homme a mal fait en transgressant le précepte de Dieu, pour pécher. L’homme devait donc craindre la mort, et ne pas toucher à l’arbre défendu.
5. Quand un homme insulte le représentant, je ne dis pas seulement d’un empereur, mais même d’un juge, n’est-il pas conduit au supplice ? Adam a méprisé les ordres de Dieu et il trouve des défenseurs ! Pourquoi accusez-vous Dieu malgré le danger qui vous menace, et non pas l’homme qui ne peut rien contre vous ? Pourquoi accusez-vous le créateur, qui a bien fait toutes choses, et défendez-vous l’homme qui a refusé le rôle que Dieu lui avait confié dans le temple de la création ? Celui qui a transgressé le précepte divin ne devait-il pas encourir la peine de cette transgression ? O vous qui justifiez Adam et qui faites injure à Dieu, répondez à la question que je vous adresse : Adam était-il bon ou mauvais ? Vous direz qu’il était bon, car ainsi l’exige votre plaidoyer en sa faveur. Si donc il était bon, pourquoi de ses deux fils l’un fut-il un modèle d’innocence et l’autre un scélérat ? S’il était bon, il a dû créer des enfants bons ; ou bien si, comme vous le prétendez, il a péché par la faute même de Dieu, il n’a dû engendrer que des enfants mauvais. Pourquoi donc l’un est-il innocent, tandis que l’autre répand le sang d’un innocent ? L’un devient, le premier martyr, et l’autre le premier homicide. Caïn cesse donc d’être coupable de la mort de son frère, puisque son père, en le créant scélérat, devient seul responsable du crime. Si Adam a péché malgré lui, c’est également malgré lui que Caïn a immolé son frère. Un tel ordre de justice n’est suivi que par ceux qui calomnient la loi jusqu’au point de soutenir que si les enfants deviennent criminels, c’est sur leurs parents que retombe toute la responsabilité de leur crime. Nous avons en présence Adam qui a engendré un scélérat, et Caïn qui a tué son frère. Lequel des deux est coupable ? Est-ce le père quia engendré, où le fils qui a versé le sang de son frère ! Silence donc au calomniateur, quoique jamais plus grande vérité ne soit sortie de la bouche d’un calomniateur. Où êtes-vous, ô calomniateur, qui étiez si sûr de vous-même, justifiez devant moi votre proposition. Défendez encore celui que vous défendiez il n’y a qu’un instant. Pourquoi avez-vous disparu ? pourquoi vous êtes-vous renfermé dans le silence ? Voici que, grâce au crime de son fils, Adam est proclamé coupable d’avoir engendré un parricide. Pourquoi ne soutenez-vous point qu’Adam n’est pas coupable ?
6. Mais celui qui se taisait vient de se lever de nouveau. Je ne me tais pas, répond-il ; au contraire, j’affirme et proclame que le fils n’est pas coupable pour son père, ni le père pour son fils ; car il est écrit : « L’âme du père est à moi, et l’âme du fils est à moi ; l’âme qui aura péché, c’est elle-même qui sera punie[9] ». Ne dirait-on pas que ce calomniateur sort d’un profond sommeil ; il ouvre la bouche, il parle, mais tout à l’heure il gardait le silence. Dites donc : Le fils n’est pas coupable pour son père, ni le père pour son fils. Justifiez votre proposition, et moi je justifierai mon Dieu. Soutenez la cause d’Adam, et moi je repousserai l’injure faite à Dieu. Vous dites qu’il n’est pas juste qu’Adam soit coupable du crime de son fils, et en cela je vous approuve ; mais si le crime du fils ne retombe pas sur le père, pourquoi imputez-vous à Dieu le crime d’Adam ? Comme donc nous ne devons pas imputer à Adam le crime de Caïn, n’imputons pas à Dieu le péché d’Adam.
7. Cessez donc, insensé calomniateur, si toutefois vous n’êtes pas plutôt un blasphémateur, cessez un tel langage contre Dieu, cessez de délirer. Considérez d’abord qui vous êtes, par, qui vous avez été créé, et voyez si vous devez dire de votre Créateur ce que vous n’osez pas dire de votre semblable.

TROISIÈME SERMON.

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DÉLAI DE LA CONVERSION. « NE TARDEZ PAS À VOUS CONVERTIR AU SEIGNEUR », (Sir. 5, 2)

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ANALYSE. —1. Les bonnes œuvres sont nécessaires avec la foi. —2. Reproches mérités par ceux qui remettent de jour en jour. —3. Remède au désespoir et à la présomption. —4. Nécessité de se convertir sur-le-champ. —5. Conclusion.


1. Les fréquentes exhortations que nous adressons à nos frères sur les bonnes œuvres, nous ont appris que, parmi eux, les uns sont lents pour la justice et pour l’aumône, tandis que d’autres sont très-prompts à la luxure et à l’avarice. Ces dispositions nous portent à croire que ceux qui les possèdent ont cessé de craindre le jugement futur. Et, en effet, mes frères, à la vue de ces chrétiens lâches et négligents qui n’évitent même pas le péché et n’ont aucun souci de s’assurer par les bonnes œuvres la récompense éternelle, ne sommes-nous pas naturellement tentés de conclure qu’ils n’ont même plus la foi aux récompenses pour les bons, ni aux châtiments pour les méchants, récompenses et châtiments qui sont pourtant les conséquences nécessaires du jugement de Dieu ? Si donc, mes frères, la crainte du jugement de Dieu réside encore réellement quelque part, c’est uniquement dans le cœur de ceux qui s’appliquent aux bonnes œuvres. Quant à ceux qui négligent les bonnes œuvres, la lecture, la prière, ou ne s’y livrent que pour la forme, qu’importe qu’ils se flattent d’avoir la foi, si leur affirmation est démentie par leur conduite ? Qu’ils écoutent ces paroles de l’apôtre saint Jacques « Que servira-t-il à quelqu’un de dire qu’il a la foi, s’il n’a pas les œuvres ? La foi pourra –-t-elle le sauver ? Que si l’un de vos frères et l’une de vos sœurs n’ont point de quoi se vêtir, et qu’ils manquent de ce qui leur est nécessaire chaque jour pour vivre ; et que quelqu’un d’entre vous leur dise : Allez en paix, je vous souhaite de quoi vous couvrir et de quoi manger, sans leur donner néanmoins de quoi satisfaire aux nécessités de leur corps, à quoi serviront vos souhaits ? Ainsi la foi qui n’est point accompagnée des œuvres, est morte en elle-même[10] ». C’est à ces hommes que Dieu s’adresse, c’est leur infidélité qu’il condamne en ces termes: O hommes incrédules, si vous ne croyez pas à mes promesses, considérez que j’ai fait le ciel et la terre. « J’ai dit, et tout a été fait[11] ». Vous, à qui s’adressent mes promesses, vous n’étiez pas, et vous avez été fait. Un homme qui n’existe pas, je le crée, et après l’avoir créé, je le tromperais ! Recueillez donc avec attention mes paroles, et croyez qu’à votre égard j’accomplirai toujours mes promesses.
2. Oh ! qu’elle est donc faible et malade, malheureuse et ignorante, criminelle et impuissante, cette disposition intérieure et funeste qui entasse devant une âme tous les obstacles possibles à la conversion et ne laisse de passage que pour le mal et le péché ! Aujourd’hui se passe, le lendemain se passe, le lendemain s’ajoute au lendemain, et, remettant de jour en jour votre conversion, vous ne craignez pas d’être saisi tout à coup par la mort subite. Vous qui remettez toujours et différez de faire pénitence, et qui feignez de chercher la divine miséricorde, ignorez-vous donc que beaucoup d’hommes meurent subitement ? Vous avouez qu’il est bien de reconvertir ; mais si c’est bien, faites-le donc sur-le-champ ; si c’est bien de recevoir dans peu, est-ce donc un mal de recevoir à l’instant ? Veuillez me dire pourquoi vous ne vous empressez pas de recevoir ce que vous avouez être bon ? Vous me répondrez peut-être que Dieu lui-même vous met en sûreté. Comment cela, je vous prie ? N’est-il pas écrit : « Au jour où le pécheur se convertira, j’oublierai toutes ses iniquités [12] ? » Voilà comment Dieu me laisse en sûreté. Hier j’avais dix péchés, aujourd’hui j’en ai quinze, demain peut-être j’en aurai vingt. Or, m’appuyant sur le témoignage infaillible de Dieu, je sais que, le jour où je me convertirai, il oubliera mes péchés passés et mes iniquités. Pourquoi donc essayez-vous de m’effrayer ? Dieu me promet le pardon, et vous me poussez au désespoir ? Je ne puis nier que Dieu ne nous ait fait cette promesse. Pourquoi donc ne vous convertissez-vous pas aujourd’hui ? Parce que, si tard que je me convertisse, Dieu me promet de me pardonner alors un grand nombre de péchés, comme il m’en pardonnerait aujourd’hui un petit nombre. O vaine sécurité ! Pourtant c’est là tout ce qui me tranquillisait. Je vois bien que Dieu a daigné vous promettre le pardon ; mais qui donc vous a promis le jour de demain ? Voilà pourquoi je demande que chacun se convertisse au Seigneur, selon cette autre parole : « Convertissez-vous, cherchez le Seigneur, et lorsque vous l’aurez trouvé, que l’impie abandonne sa voie[13] ». Convertissez-vous, car c’est sur une fausse espérance que vous vous reposez. En effet, deux excès entraînent le genre humain à sa perte e: les uns périssent en espérant, et les autres en désespérant. Ce qui vous étonne peut-être, c’est qu’on puisse périr en espérant.

3. Examinons donc brièvement quels sont ceux qui périssent en espérant et ceux qui périssent en désespérant, et voyons pour tous le remède que Dieu leur présente. Il périt par désespoir, celui qui dit : Je connais mes péchés, je connais mes crimes. Est-il possible que Dieu me pardonne toutes les fautes que j’ai commises ? Il périt aussi par désespoir, celui qui dit : Que m’importent toutes vos exhortations ? Je ferai bien tout ce que je puis, mais je perds tout ce que je ne fais pas. Si le Seigneur doit me condamner pour un seul péché, comment ne me condamnerait-il pas pour plusieurs ? Si donc je ne dois pas posséder la vie éternelle, du moins je ne veux pas perdre la vie présente. Pourquoi ne pas accomplir mes désirs, ne pas satisfaire mes passions ? Celui-là périt par désespoir. Un autre, pour échapper à l’horreur du désespoir, va chercher sa perte dans la présomption. Comment la présomption ? Le jour où je me convertirai, dit-il, le Seigneur promet de me pardonner tous mes péchés ; j’espère donc de sa miséricorde qu’il oubliera toutes mes iniquités. Et fort de cette présomption, il diffère de jour en jour ; mais tout à coup la mort le frappe, toute espérance s’évanouit, il ne lui reste plus que la damnation. L’Écriture a pour eux des avertissements salutaires. Vous vouliez périr par désespoir, écoutez cette parole du Seigneur : « Je ne veux pas la mort de l’impie, mais son retour et sa vie[14] » ; vous vouliez mourir, revenez et vivez ; si Dieu voulait votre mort, il vous frapperait à l’instant même où vous péchez, en ce moment même où vous avez tant péché. Mais par cela même qu’il vous laisse la vie, il vous invite à la pénitence. Vous n’espérez pas ; écoutez donc : « Je ne veux pas la mort du pécheur ». Vous voulez votre mort, moi je ne la veux pas ; vous n’êtes pas l’auteur de votre vie, et vous voulez la perdre dans le désespoir. Lorsque vous n’étiez pas, Dieu vous a créé ; vous vous étiez perdu dans le péché et Dieu vous a cherché, il vous a trouvé par le sang de son Fils, il vous a racheté et il vous offre le remède à tous vos maux. Sortez du gouffre du désespoir : « Parce que je ne veux pas la mort de l’impie, mais son retour et sa vie ».

4. Vous alliez à votre perte, vous êtes sortis de l’abîme du désespoir, mais tenez-vous dans un juste milieu ; ne vous jetez pas dans l’excès contraire, et si vous ne désespérez plus de votre pardon, du moins ne comptez pas sur une plus longue existence. Convertissez-vous donc. Vous répondez : Je me convertirai demain. Pourquoi pas aujourd’hui ? Et quel mal d’attendre à demain ? Et quel mal de le faire aujourd’hui ? Mais je suis assuré que ma vie sera longue. Moi je sais que Dieu ne vous l’a pas promis. Peut-être cette promesse vous a-t-elle été faite par quelque devin cherchant quelqu’un qui partage sa damnation ? Eh bien ! je porte les choses à l’extrême : votre vie sera longue ; si elle doit être longue, qu’elle soit bonne ; si elle est courte, que du moins elle soit bonne. Quelle haine portez-vous donc à votre vie, que vous ne vouliez pour elle que le mal, afin que vous soyez mauvais au milieu de tous vos biens ? Mais dites-moi, mon frère, savez-vous combien de temps vous vivrez ? où donc avez-vous lu que vous serez pardonné, sans même vous corriger ? Avez-vous lu quelque part qu’une longue vie vous soit promise, ou par hasard auriez-vous fait un pacte avec la mort ? J’espère que vous vivrez cent ans ; ajoutez-y encore dix siècles ; et puis après ? Supposé qu’Adam ait vécu jusqu’aujourd’hui, sa vie même aurait été courte, puisqu’elle serait terminée.
5. Soyez donc toujours sans péché, soyez toujours prêt, et vous n’aurez pas à craindre le grand jour du jugement, « qui viendra comme un voleur assaillir ceux qui seront endormis[15] ». Vous donc qui voulez périr par désespoir, écoutez ce que vous dit l’Écriture : « Je ne veux pas la mort de l’impie, mais son retour et sa vie ». Si vous êtes sorti du désespoir, écoutez encore une autre parole qui vous arrachera à votre perversité et vous établira dans une espérance légitime. Écoutez ce que dit le Seigneur à celui qui vit dans une fausse espérance et diffère de jour en jour sa conversion : « Ne tardez pas à revenir à Dieu, et ne différez pas de jour en jour[16] ». Ce n’est pas moi qui parle ainsi, c’est Dieu lui-même ; c’est lui qui nous dit, à vous et à moi : « Ne tardez pas à revenir à Dieu ». Demain, répondez-vous, (cras !) O véritable cri de corbeau ! Le corbeau sorti de l’arche n’y revint pas, et vieillit en répétant Cras, cras. Cri de corbeau, tête blanche et cœur noir. Le corbeau sorti de l’arche n’y revint pas ; la colombe, au contraire, s’empressa d’y rentrer. Que le cri du corbeau périsse donc, et qu’on n’entende plus que le gémissement de la colombe. Le Seigneur, pour vous consoler, ne cesse de vous dire : « Ne tardez pas à revenir à Dieu, et ne différez pas de jour en jour, car sa colère éclate subitement, et il vous rejettera au temps de sa vengeance ». Frères bien-aimés, méditez ces paroles avec crainte et tremblement, et avec la grâce de Dieu, ramenez vos âmes aux remèdes de la pénitence et de l’aumône, afin que vous puissiez vous présenter au tribunal de Jésus-Christ, non pas pour y être condamnés, mais pour y recevoir la couronne immortelle.

QUATRIÈME SERMON.

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LA PORTE ÉTROITE. « ENTREZ PAR LA PORTE ÉTROITE ». (Matth. 7, 13.)

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Analyse. —1. Deux voies sont devant nous : celle de la mort et celle de la vie. —2. Quelle est la voie large. —3. Quelle est la voie étroite. —4. Conclusion.
1. C’est le Sauveur qui nous dit dans l’Évangile : « Entrez par la porte étroite, parce que la porte large et la voie spacieuse conduisent à la damnation, et beaucoup suivent cette voie. Qu’elle est étroite, la porte ; qu’elle est resserrée, la voie qui conduit à la vie, et combien ceux qui la trouvent sont peu nombreux ! » Le Seigneur, vous le voyez, nous enseigne qu’il est devant nous deux voies, l’une étroite, l’autre large ; l’une menant à la vie, l’autre à la mort. Mes bien-aimés, fuyez donc la voie de la mort, si vous ne voulez pas périr éternellement, et choisissez la voie de la vie, afin que vous possédiez la vie éternelle. « Car, dit le Sauveur, la voie large et spacieuse conduit à la perdition ».
2. Quelle est cette voie large, la seule que suivent les vices et les passions mauvaises ? Pourquoi est-elle appelée large ? Parce qu’elle est courue par un grand nombre d’hommes. Comme une route terrestre reçoit le nom de grande route quand elle est beaucoup fréquentée et offre ainsi beaucoup d’attraits ; de même, au point de vue spirituel, la voie large est celle où se rassemble la multitude des hommes qui s’abandonnent aux vices. Donc, mes bien-aimés, fuyez la voie large, c’est-à-dire fuyez la voie honteuse et vicieuse. Fuyez la voie de l’ivresse : elle est large, puisqu’elle reçoit tous les intempérants. Fuyez la voie de l’impureté : elle est large aussi, puisqu’elle reçoit tous les impudiques. Fuyez la voie de la cupidité, puisqu’elle est suivie par tous ceux qui usurpent le bien d’autrui. Fuyez cette voie tant désirée et tant recherchée par un si grand nombre d’hommes. « Car », dit le Seigneur, « beaucoup sont appelés, mais peu sont élus[17] ». Ne vous laissez tenter ni par la société ni par les exemples du grand nombre, car il est plus d’hommes pour aimer le péché que pour aimer la justice. N’est-il pas préférable de posséder le royaume céleste et éternel avec le petit nombre, que de tomber avec la multitude dans la mort et le châtiment éternels ? Suivez le petit nombre de justes, plutôt que la multitude des pécheurs. Méritez la vie éternelle avec le petit nombre, et redoutez l’enfer, malgré la multitude de ceux qui s’y précipitent.
3. « Qu’elle est étroite et escarpée », dit le Seigneur, « la voie qui conduit à la vie, et qu’ils sont peu nombreux, ceux qui la trouvent ! » Parlant de la voie large, il venait de dire : « Ceux qui la suivent sont nombreux ». Mais dès qu’il s’agit de la voie étroite : « Qu’ils sont peu nombreux, ceux qui la trouvent ! » Ces oracles nous prouvent non seulement que cette voie étroite ne peut être courue qu’avec peine, mais encore qu’il est difficile de la trouver. En nous disant que « bien peu trouvent cette voie », le Sauveur nous montre qu’un grand nombre d’hommes paraissent la chercher, tandis qu’un bien petit nombre mérite de la trouver. Pourquoi donc n’y en a-t-il que peu pour la trouver, tandis qu’un grand nombre la cherchent ? C’est que tous ne mettent pas la même diligence à la chercher. Les uns y mettent beaucoup d’empressement, les autres beaucoup de négligence ; or, le succès n’est promis qu’à ceux qui font preuve de zèle et de bonne volonté. Beaucoup d’hommes sont aujourd’hui membres de l’Église, et tous ceux qui lui appartiennent semblent par cela même chercher le salut. Mais tous y mettent-ils la même diligence ? Est-ce chercher la voie du salut que de s’abandonner à l’intempérance, tout en paraissant encore dans l’Église ? de se livrer à l’avarice, tout en paraissant appartenir à l’Église ? Est-ce chercher la voie du salut que de verser le sang de son frère, ou de se couvrir des souillures de l’impudicité ? Tous ces vices conduisent directement à la mort ; voilà pourquoi ceux qui marchent dans la voie de la mort ne sauraient en même temps rechercher la voie de la vie. De là cette parole du Sauveur dans l’Évangile : « Combien peu trouvent la voie étroite ! » Ils sont si peu nombreux qu’on en rencontre à peine, et que cette voie étroite semble invisible et cachée. Cette conclusion n’est que trop vraie. La voie étroite est cachée, non pas sur un seul point ou dans un seul lieu, mais dans les choses les plus diverses et les vertus les plus nombreuses. Elle est cachée dans la foi et dans la croyance, car, pour trouver la voie de la vie, il faut croire fidèlement, selon cette parole : « A moins que vous ne croyiez, vous ne comprendrez pas ». De même donc que personne ne peut comprendre Dieu, s’il n’est auparavant conduit par la foi, de même personne ne peut arriver à la vie éternelle, si la foi ne lui montre le chemin et ne lui ouvre la porte. A ce point de vue donc, mes bien-aimés, la voie de la vie est cachée dans la foi. Elle est également cachée dans la chasteté ; « car », dit l’Apôtre, « les impudiques ne posséderont pas le royaume de Dieu[18] ». Si donc les impudiques ne parviennent pas à la vie, le bonheur éternel ne pourrait être que pour celui qui est chaste. La voie de la vie est également cachée dans l’aumône et la bienfaisance : « L’aumône », dit l’Écriture, « délivre les hommes de la mort[19] » ; l’avarice conduit donc à l’enfer.
5. Mes frères, si vous voulez chercher et trouver la seule voie bonne, aimez et conservez fidèlement les vertus dans lesquelles se trouve la voie de la vie ; car celui qui suivra cette voie entrera dans la lumière éternelle et possédera la vie qui ne finira jamais. Ainsi soit-il.

  1. Bien que publiés récemment sous le nom de saint Augustin, tous ces sermons n’ont ni la même authenticité, ni la même autorité que ceux des cinq premières séries.
  2. Gen. 2, 16,17
  3. Gen. 1, 31
  4. Act. 5, 11-15
  5. 2 Tim. 2, 5
  6. Job. 2, 9
  7. Sag. 1, 13
  8. Mt. 18, 20
  9. Ezéch. 18, 4
  10. Jac. 2, 14
  11. Gen. 1, 3
  12. Eze. 18, 21
  13. Isa. 55, 6-7
  14. Eze. 33, 2
  15. Mt. 24, 43
  16. Sir. 5, 8. 
  17. Mt. 20, 16
  18. 1 Cor. 6, 9
  19. Tob. 12, 9