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Autour de l’Afghanistan/Appendice

La bibliothèque libre.
Librairie Hachette et cie. (p. 213-216).

APPENDICE

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NOTES SUR LE BÉLOUTCHISTAN
ET LA « TRADE ROAD » ANGLAISE[1]

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Politique des Anglais au Béloutchistan. — Pour compléter cette esquisse de l’organisation des confins militaires qui, d’après le programme anglais de 1840, devrait couvrir les Indes de l’Himalaya au golfe Persique, il nous reste à dire un mot des relations du gouvernement britannique avec le Béloutchistan.

Le premier contact officiel eut lien en 1838, au début de la guerre anglo-afghane : une mission fut alors envoyée au Khan qui voulut bien permettre aux troupes indiennes de traverser une portion de ses États. Un an plus tard, en novembre 1839, le souverain béloutche ayant été soupçonné de trahison, une colonne anglaise vint attaquer Kélat, s’empara de la ville et mit à mort le Khan. À la suite de cette démonstration, le gouvernement britannique désigna un nouveau souverain qui dut signer un traité par lequel il se reconnaissait vassal de l’Angleterre.

Ce n’était là d’ailleurs qu’un premier pas vers la mainmise complète des Anglais sur les territoires béloutches et, la province de Quetta ayant été achetée au Khan en 1877, une nouvelle convention plus explicite que la première fut alors signée à Kélat.

Il y était dit qu’en échange d’un subside annuel de 100 000 roupies, le souverain s’engageait à protéger les commerçants indiens sur ses domaines, à combattre, le cas échéant, les ennemis de la Grande-Bretagne, à n’avoir aucune relation avec les autres gouvernements et à permettre enfin l’installation de troupes anglaises sur son territoire.

Depuis lors, l’influence britannique a fait tache d’huile et s’est étendue peu à peu sur tout le Béloutchistan, de telle sorte que l’autorité du Khan n’existe pour ainsi dire plus et que l’administration du pays est tout entière entre les mains des fonctionnaires du gouvernement des Indes. « Le véritable voisin de la Perse vers le Sud-Est, — pouvait dire lord Curzon il y a quinze ans, — n’est pas le souverain de Kélat, mais bien le vice-roi de l’Inde qui garde les clés de l’Empire à Calcutta ! »

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Routes et chemins de fer stratégiques du nord-ouest de l’Inde. — L’armée anglo-indienne destinée à opérer sur la frontière du nord-ouest aurait sa base sur la voie ferrée qui relie Lahore à Rawal-Pindi et à Attok, puis, de ce point, rebrousse vers le sud-ouest et se dirige sur Kurrachee en suivant la rive gauche de l’Indus.

De cette ligne partent plusieurs voies de pénétration vers le Pamir, l’Afghanistan et la Perse. Ce sont :

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8o Le chemin de fer de Spezand à Nouchki, prolongé par la route de commerce Nouchki-Robat-Seïstan :

a) Chemin de fer de Nouchki.

Cette ligne, ouverte depuis peu à l’exploitation, se détache du réseau Rohri-Chaman à la station de Spezand, située à 15 milles au sud de Quetta ; de ce point, la voie se dirige au sud-ouest, passe à Mastung-Road, d’où part la route carrossable de Kélat, et atteint Nouchki après avoir traversé trois tunnels dont le premier seul est important.

En Perse, on m’avait affirmé que cette ligne devait être prolongée jusqu’au Seïstan et que les travaux au delà du terminus actuel étaient déjà commencés. Or, j’ai pu constater par moi-même que ces affirmations étaient erronées, que le chemin de fer ne dépassait pas Nouchki et que, si pareil projet avait été jadis mis en avant, rien ne pouvait faire prévoir aujourd’hui qu’on eût l’intention de pousser les rails vers la Perse, à travers le désert béloutche. L’ensemble des renseignements que j’ai recueillis dans la région me porterait à penser que les Anglais ont modifié leur plan primitif pour deux raisons :

1o Parce que lord Kitchener s’est opposé de la façon la plus catégorique au prolongement de la ligne jusqu’à la frontière persane ;

2o Parce que, si le gouvernement des Indes se décide à unir un jour la région de Quetta au Seïstan par une voie ferrée, c’est sans doute par Kandahar et la vallée du Hilmend qu’on passera.

b) Route de Nouchki à Robat et au Seïstan[2].

Cette voie de communication, créée en 1896 dans un but commercial et stratégique, est, dans l’état actuel des choses, une piste utilisable seulement pour les chameaux. Je dois ajouter cependant, pour rester dans la vérité, qu’on la rendrait assez facilement praticable aux voitures et à l’artillerie de campagne[3]. Mais la difficulté insurmontable, qu’on ne pourra jamais éluder, réside dans la pénurie d’eau potable et dans le manque absolu de vivres et de fourrages, sur un parcours de 745 kilomètres en pays désertique. Les autorités anglaises ont bien fait creuser des puits le long de la route[4], mais l’eau en est peu abondante, presque partout salée et parfois même imbuvable pour les chameaux.

Que devons-nous conclure ? Sinon que cette fameuse route stratégique dont on a beaucoup parlé, est bonne tout au plus pour des caravanes de commerce, mais qu’il serait imprudent d’y engager un détachement de plus de 200 hommes[5]. Si les Anglais voulaient l’utiliser pour envoyer de gros effectifs vers la Perse, ils se verraient dans l’obligation absolue, à mon sens, de fractionner ces effectifs et d’échelonner les détachements à huit jours de marche au moins les uns des autres pour donner aux puits le temps de se remplir. Il ne faut pas oublier non plus que chaque colonne devrait emporter avec elle un mois de vivres et des appareils à distiller.

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  1. Ces notes sont tirées d’une étude publiée en novembre 1907 dans le Bulletin du Comité de l’Asie Française. (La Russie et la Grande-Bretagne en Asie centrale, par le commandant de Lacoste.)
  2. Cette route est suivie par une ligne télégraphique, de Nouchki à Robat. À partir de ce point, le fil se dirige sur Bam et Kirinan, mais n’est pas relié à la ligne persane Koh-i-Malek-Siah, Nasretabad, Mesched.
  3. Il suffirait pour cela de faire quelques travaux de dérochement à Merui et à Mashki-Chah.
  4. Tous les 35 kilomètres environ.
  5. On pourrait, il est vrai, faire suivre la route à une colonne plus nombreuse en transportant l’eau et les vivres à dos de chameau ; mais, dans ce cas, les puits ne fourniraient sûrement pas assez d’eau pour abreuver les bêtes du convoi.