Aux sources de l’histoire manitobaine/09

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Imprimerie de la Compagnie de l’Événement (p. 104-113).

IX. — un document important


Ne pouvant convenablement négliger dans leurs récits cette marque de loyauté des métis français à un moment critique de l’histoire du Manitoba, la plupart des écrivains anglais se sont attachés à en amoindrir la portée, sinon à en nullifier complète­ment l’importance. Autant par ignorance du véritable état des choses que par suite de préjugés dont ils ne se rendent pas compte, certains historiens voudraient représenter leur interven­tion comme inutile, tandis que d’autres vont jusqu’à soutenir que dans cette circonstance mémorable Riel n’était pas sincère.

Le moins partial, Alexandre Begg, ne peut s’empêcher de remarquer que « les Français se tinrent d’abord à l’écart, et ce ne fut pas avant le 8 octobre que le gouverneur Archibald fut informé qu’environ deux cents métis s’étaient assemblés à Saint-Boniface pour lui offrir leurs services »[1]. Venant de cet auteur, pareille remarque prouve simplement qu’il n’était point au courant des dessous de la politique métisse, si je puis m’exprimer ainsi.

D’un autre côté, Robert-B. Hill, qui s’efforce généralement de faire ressortir dans son histoire les faits et gestes des Anglais du Portage-la-Prairie, passe subitement des préparatifs de résis­tance qu’ils faisaient à la revue des troupes métisses à Saint-Boniface, sans dire un mot des pourparlers et mesures préparatoires prises par Riel afin de seconder les vues du gouverneur.

Encore une fois l’ignorance peut jusqu’à un certain point excuser le silence de ces écrivains. Est-il permis d’étendre cette charitable interprétation à des assertions comme celles-ci du même historien ? « Il est digne de remarque que ces hommes n’offrirent leurs services qu’après qu’on eut appris la capture des féniens par l’infanterie américaine stationnée à Pembina… On savait bien que ces hommes n’attendaient que le succès des féniens pour se joindre à eux »[2].

Charles-R. Tuttle, le continuateur de Gunn, partage cette opinion dans son histoire du Manitoba. « Il ne semble pas y avoir le moindre doute », nous assure-t-il, « que Riel était d’abord en faveur du mouvement [annexionniste], et que ce ne fut qu’après l’issue du raid… qu’il se rappela soudain sa loyauté et offrit ses services et ceux de ses deux cents métis »[3].

On conçoit qu’après l’ostracisme des chefs métis, après les vexations sans fin dont leurs compatriotes étaient les victimes, et en face du mépris non déguisé dont on voulait accabler tous ceux qui avaient, de près ou de loin, pris part aux récents troubles, ceux-ci ne pouvaient décemment courir se joindre à leurs ennemis d’hier dans la défense du pays sans savoir si on daignerait accepter leurs services[4]. Et puis, pour eux Riel était l’homme de la situation. Ils ne voulaient pas se lancer dans une si grave entreprise sans avoir le bénéfice de ses conseils et le voir à leur tête. Or Riel était proscrit. Bien que revenu au pays, on savait que les orangistes trépignaient d’impatience devant les refus implicites des autorités provinciales de l’appréhender. Dans ces conditions était-il prudent pour lui de se mettre trop en avant ?

M. Archibald lui ayant fait déclarer que, non seulement son concours serait accepté, mais qu’il était même vivement désiré, et que par ailleurs il ne courrait lui-même aucun danger, celui-ci ne perdit pas une minute pour faire droit à sa requête.



Cette déclaration ne cadre guère avec les assertions des auteurs anglais. Mais le plus opportun des hasards a tout récemment mis entre mes mains un document inédit de la plus haute importance, dont la production dans les pages qui suivent réduira à néant les insinuations des malveillants et forcera les écrivains de bonne foi à modifier leurs jugements sur l’action de l’élément français, et en particulier de Louis Riel, à ce moment décisif dans les destinées de l’ouest canadien.

Ce document n’est rien moins que le compte rendu original, avec dates et détails authentiques, des assemblées tenues par les métis français en vue de s’organiser pour la défense du pays. Le tout est de la main de Riel et prouve à mon humble avis que ses compatriotes étaient fort capables de se gouverner et avaient dans la personne de leur chef-secrétaire un homme parfaitement au courant des us et coutumes parlementaires. Certains petits détails de cette pièce pourraient aussi être cités comme étant de nature à le disculper, au moins en ce qui regarde cette période de sa vie, de cet égoïsme vaniteux que lui ont prêté tant d’auteurs, même parmi les moins hostiles. En outre, comme ces pages déjà jaunies par l’âge confirment pleinement les avancées de mes correspondants sur lesquels j’ai basé une partie de mon dernier article, elles sont un garant de leur bonne foi sur d’autres points, puisqu’elles n’ont été trouvées qu’après la préparation de mon huitième essai.

Résumons d’abord les auteurs anglais, et confrontons-les avec les assertions de cette pièce dont personne ne récusera l’autorité. Begg donne clairement à entendre que les métis ne firent rien dans l’intérêt de leur pays en danger avant le 8 octobre 1871. Hill nous assure qu’ils n’attendaient que le succès des féniens pour se ranger sous leur drapeau, et Tuttle affirme qu’ils furent assez peu francs et montrèrent assez peu de respect pour le représentant de la Reine au milieu d’eux pour lui offrir leurs services alors seulement qu’ils savaient qu’on n’en avait plus besoin.

Quelques dates deviennent nécessaires pour comprendre la situation. Il est vrai que O’Donoghue et ses confédérés s’emparèrent du fort Pembina et furent eux-mêmes arrêtés dès le jeudi, 5 octobre 1871. Mais, ainsi que le gouverneur Archibald le déclara plus tard sous la foi du serment, 1o personne ne connaissait encore l’issue des projets féniens quand Riel offrit à l’autorité suprême du Manitoba le concours de ses compatriotes ; et 2o on s’attendait même alors à une attaque plus sérieuse du côté de Saint-Joseph, ce qui « causait une excitation intense dans toute la colonie. »

En essayant d’amoindrir l’importance de ces deux déclarations du gouverneur, l’historien Hill oublie que, en ce qui regarde la seconde, il avait lui-même écrit dix pages auparavant qu’on « craignait que, avec les chefs [féniens] mis en liberté par les autorités des États-Unis[5] et le nombre de leurs gens dans le voisinage de Pembina, une autre attaque ne fût organisée avec de meilleures chances de succès du côté de Saint-Joe ».[6]

Ensuite, quand, pour infirmer la première assertion du gouverneur, à savoir qu’on ne connaissait pas alors l’insuccès du mouvement, il prend sur lui d’affirmer que « Riel était en état d’avoir des espions tout aussi habiles que ceux du gouvernement et qu’il était parfaitement renseigné sur la situation »[7], Hill avance ce que non seulement il ne peut prouver, mais ce que le document susmentionné va réduire à sa juste valeur.



Nous avons vu qu’André Nault avait, sur invitation formelle, fait un voyage secret pour assister au conciliabule des principaux féniens des États-Unis. Il ne dut en revenir que le 6 octobre, car son nom, qui se trouve partout après cette date, manque à la liste des chefs métis assemblés la veille. Je reproduis maintenant mot pour mot le compte rendu des séances. Le lecteur voudra bien remarquer que tous les noms qu’il mentionne sont devenus historiques[8].

Le 5 octobre, jeudi, s’assemblent chez Riel, à onze heures du matin :

Ambroise Lépine, Bapt. Beauchemin,
Pierre Parenteau, Elzéar de la Gimodière,
Joseph Delorme, Maxime Lépine,
J.-B. Ritchot, Joseph St-Germain,
Bapt. Touron, Pierre Léveillé,
Louis Riel, Angus McKay, M. P. P.
L’honorable F.-X. Dauphinais.mmmmmm

Aucun détail sur le compte d’O’Donoghue. Après délibérations sur l’op- portunité de se déclarer neutre ou en faveur [du][9] gouvernement, Amb. Lépine, secondé par [Elzéar] de la Gimodière, fait motion que ceux qui veulent être en faveur du gouvernement se lèvent. Douze se lèvent. Un seul, Bapt. Touron, préfère la neutralité.


J’ouvre ici une parenthèse pour faire remarquer que le jour même de la déconfiture des féniens à la frontière, ni Riel ni aucun des autres chefs métis ne savaient encore rien des résultats de l’aventure O’Donoghue, et que pourtant douze sur treize, y compris Riel lui-même, décidèrent d’offrir leur concours actif au gouvernement. Avis à l’historien Hill et Cie.

M. Nault, arrivé très fatigué le soir de ce jour-là, ne put assister à la séance du soir. Aussi le compte rendu se contente-t-il de remarquer : « Huit heures du soir. L’assemblée s’ajourne pour le lendemain matin à neuf heures. » Il continue :


Le 6 octobre à 9 heures A. M., chez Riel, à Saint-Vital, s’assemblent :


André Neault, L. Riel, Joseph St-Germain,
Bapt. Lépine, Pierre Léveillé,
Ambroise Lépine, Elzéar de la Gimodière,
Bapt. Touron, J.-B. Ritchot,
Pierre Parenteau, Bapt. Beauchemin,
L’Hon. X. Dauphinais. Angus McKay.


Pierre Parenteau, président, demande à André Neault et Bapt. Lépine le récit de leur voyage. Ils disent que le Fort Pembina devait être pris de mercredi matin[10] ; qu’O’Donoghne leur avait dit cela mardi dans la nuit. Qu’il paraissait tenir à l’alliance des métis ; que cependant il disait avoir amené assez de force. Qu’il avait besoin des métis pour le succès de la déclaration de l’indépendance du pays. Qu’il avait de l’argent ; et que par la suite il pourrait faire entrer cinq hommes dans le pays contre le Canada un.

Le président ayant demandé ce que l’assemblée se décidait de faire par rapport au peuple,

Ambroise Lépine, Pierre Léveillé, Elzéar de la Gimodière, l’honorable Dauphinais, Angus McKay opinent qu’il faut persuader les gens en faveur du gouvernement. Les autres restent indécis, à l’exception de Riel qui, la veille s’étant prononcé en faveur du gouvernement, demande à ne pas voter ce jour-là. Les membres conviennent de [former] des assemblées dans leurs paroisses respectives. Ambroise Lépine, Léveillé, de la Gimodière, Dauphi- nais, McKay, affirment qu’ils plaideront dans leurs assemblées en faveur du gouvernement. Les autres conviennent qu’il est bon de le faire, seulement un tant soit peu. Et que, tout en étant eux-mêmes en faveur du gouvernement, ils ne se prononceront pour lui qu’avec beaucoup de précautions.

L’assemblée s’arrange pour avoir des courriers dans toutes les directions, afin que ces assemblées aient lieu partout dans les paroisses françaises dans une vingtaine d’heures, et qu’un rapport de ces assemblées soit fait par chacun des membres de l’association chez André Neault, à Saint-Vital.

Ajournement jusqu’au lendemain, à 2 heures P. M.


Deux observations se placent naturellement ici. D’abord en qui concerne les manœuvres de O’Donoghue. Cet aventurier voulait évidemment en imposer aux métis du Manitoba quand il déclarait que, bien qu’il eût besoin d’eux pour le succès de sa déclaration de l’indépendance du pays, il croyait « avoir amené une force » suffisante pour la réussite de ses desseins. Il comptait si bien sur le concours des natifs manitobains et avait si grand besoin de leur coopération que ses gens « avaient avec eux trois charrettes pleines d’armes et de munitions »[11]. C’est Hill lui-même qui nous l’apprend.

Cet auteur ajoute que le plan de O’Donoghue était de franchir la frontière avec un corps d’hommes armés, forçant tout homme qu’il rencontrerait en chemin à l’accompagner comme prisonnier ou partisan actif, et de grossir ainsi ses rangs jusqu’à ce qu’il eût atteint la paroisse en dessus du fort qui contenait la plus grande partie de la population française. Celle-ci, croyait-il, se joindrait immédiatement à lui et l’aiderait à prendre et à piller le fort Garry. Ses troupes seraient alors augmentées d’un nombre suffisant d’hommes des États-Unis pour lui permettre de garder le pays[12].

En second lieu, le lecteur remarquera qu’au moment même où les métis apprennent la prise du fort Pembina par les féniens, c’est-à-dire leur succès au moins passager, et alors qu’on leur assure que les étrangers ont de l’or et des hommes en abondance, c’est-à-dire tous les éléments voulus d’un succès permanent, aucun de leurs chefs ne se prononce en leur faveur. Tous se rangent, au contraire, du côté du gouvernement manitobain, et six le font en termes aussi peu équivoques que possible. Avis, encore une fois, aux historiens anglais et à ceux qui pensent avec eux que les métis « n’offrirent leurs services qu’après qu’on eut appris la capture des féniens par l’infanterie américaine ». C’est précisément à la nouvelle de leur triomphe qu’ils se tournent contre eux.



Ce qui précède dans le compte rendu a trait aux réunions des chefs seulement. Voici maintenant le rapport officiel sur l’assemblée populaire tenue à Saint-Vital, paroisse de Riel, en conformité avec la décision prise le matin même.


Le 6, à huit heures du soir, chez Riel, des citoyens de Saint-Vital s’assemblent.

André Beauchemin M. P. P. président ; Ch. Nolin, de la Pointe-de-Chênes, secrétaire. Le président expose à l’assemblée qu’elle a à se déclarer ou en faveur d’O’Donoghue, ou de la neutralité, ou du gouvernement.

On veut s’en rapporter à ce que dira Riel. Celui-ci dit que les circonstances et ses propres vues sont peut-être mal appréciées par un certain nombre de métis. Qu’à cause de cela il craint autant que jamais une division parmi ses compatriotes, et surtout parmi les métis français. « Je vous prie donc de vous unir », ajoute-t-il ; « et puisque vous me marquez une si grande confiance, croyez-moi, [je] ne suis pas changé. Ne nous met[tons] pas pour l’injustice, mais appuyons [tous] ensemble la motion suivante :

Qu’il est juste de faire connaître à Son Excellence le lieutenant-gouverneur du Manitoba que la présente assemblée saisit la conjoncture où se trouve le pays pour affirmer son attachement à la constitution qui nous régit.

Charles Nolin seconde. Toute l’assemblée appuie.

Ajournement.


Le rôle de Riel dans cette circonstance se passe de tout commentaire. Enfin, nous avons dans ce qui suit les résultats pratiques des assemblées tenues dans les localités qu’on eut le temps de consulter dans l’après-midi du 6 et l’avant-midi du 7 octobre.


Samedi, 7 octobre, à St-Vital, chez André Neault, à 3 heures après-midi,

André Neault, Ambroise Lépine.
J.-B. Ritchot, B. Beauchemin.
Bapt. Touron, Pierre Parenteau.
Elzéar de la Gimodière, Jos. St-Germain.
Charles Nolin, Louis Riel, [etc. s’assemblent][13].

La Prairie du Cheval [Saint-François-Xavier], favorable au gouvernement.

Pascal Breland, capitaine.

Saint-Boniface, favorable au gouvernement.

Ambroise Lépine, capitaine.
Elz. de la Gimodière, second.

Pointe-de-Chênes, favorable au gouvernement.

Charles Nolin, capitaine.
Thos. Harrisson, second.

Sainte-Agathe, favorable au gouvernement.

Louis Morin, capitaine.

Pointe-Coupée, favorable au gouvernement.

Pierre de Lorme, capitaine.
Bapt. Touron, Second.

Saint-Norbert, favorable au gouvernement.

P. Parenteau, Capitaine.
Jos. Saint-Germain, Second.

Saint-Vital, favorable au gouvernement.

Riel, Capitaine.
André Neault, Second.
Louis Sansregret, Troisième.

Le résultat des assemblées dans les paroisses étant ainsi certifié,

Riel est prié de ne mettre aucun délai à faire connaître ce résultat à Mons. Archibald. Ce qui est fait le soir même.


On remarquera par cette liste finale que même ceux des chefs métis qui avaient à l’origine montré le moins d’enthousiasme pour la cause du gouvernement finirent par l’épouser avec tant d’ardeur qu’ils furent nommés officiers des troupes en formation.

Voici maintenant la lettre par laquelle les métis offraient leurs services au gouverneur :

Saint-Vital, 7 octobre 1871.

Plaise à Votre Excellence,

Nous avons l’honneur de vous dire que nous apprécions grandement ce que Votre Excellence a bien voulu communiquer au Rév. M. Ritchot, pour que nous puissions mieux aider le peuple, dans la position exceptionnelle qui lui est faite, à répondre à votre appel. Comme plusieurs personnes sûres ont été priées de vous l’apprendre, la réponse des métis a été celle de sujets fidèles.

Plusieurs compagnies sont déjà organisées et d’autres se forment.

Votre Excellence peut se convaincre que, sans avoir été enthousiastes, nous avons été dévoués. Tant que nos services continueront d’être requis, vous pouvez compter sur nous.


Le lendemain, le gouverneur faisait remercier les chefs métis dans les termes suivants :


Hôtel du Gouverneur, Fort Garry,
8 octobre 1871.

Messieurs,

J’ai ordre de Son Excellence le Lieutenant Gouverneur d’accuser réception de votre lettre de ce matin, assurant Son Excellence de la cordiale réponse des métis à l’appel qui leur est fait dans la proclamation de Son Excellence. Vous pouvez dire au peuple au nom duquel vous écrivez que Son Excellence reçoit avec grand plaisir les assurances sur lesquelles elle avait compté dans ses communications avec le Rév. Père Ritchot et dont votre lettre lui fait part, et qu’elle profitera de l’occasion la plus prochaine pour transmettre à Son Excellence le Gouverneur Général cette preuve de la loyauté et de la bonne foi des métis du Manitoba.

Son Excellence serait bien aise de recevoir le plus tôt possible une liste des noms des personnes de chaque paroisse qui désirent s’enrôler pour le service actif dans cette circonstance.

Son Excellence comptera sur leur promptitude à se présenter au moment voulu.

J’ai l’honneur d’être,
Messieurs,
Votre obéissant serviteur,
W.-Mg. Buchanan,
Agissant comme secrétaire particulier.

À MM. L. Riel, A.-D. Lépine, Pierre Parenteau


Cette lettre supposait-elle que le temps du danger était passé, et que par conséquent la coopération de l’élément français était devenue inutile par suite de procrastination ?



En effet, que pouvaient faire de mieux les chefs métis ? Si l’on considère la distance qui sépare certaines localités mentionnées dans la liste ci-dessus, on s’étonnera même que celles-ci aient pu être atteintes par les courriers du comité central en si peu de temps.

Du reste, ou appréciait si bien le concours des troupes métisses que, le lendemain même, cinquante de leurs cavaliers étaient envoyés dans le sud de la province, à la recherche des féniens qui s’y étaient, croyait-on, concentrés. Ce ne fut qu’au retour de ces éclaireurs qu’on apprit le fiasco des flibustiers américains, ce dont les historiens avec une cause à servir voudront bien prendre note.

Même les plus hostiles parmi ceux-ci se laissent d’ailleurs aller à des aveux qu’il est bon de relever. Par exemple, le paragraphe suivant de Tuttle va remettre les choses à point. Parlant de l’un des chefs féniens, il remarque :

Il était presque certain d’être reçu en ami par les métis français, et il est douteux si le Canada inspirait assez de sympathie aux métis anglais pour les porter à se faire battre pour lui, tandis que, la masse des volontaires ayant été rappelée, il y avait en réalité fort peu de matériaux pour offrir une résistance vigoureuse. Ajoutons à cela qu’il [le chef fénien] avait une ample provision d’hommes à sa portée ; car il y avait alors dans le nord du Minnesota deux chemins de fer en construction qui occupaient plusieurs milliers d’hommes, Irlandais pour la plupart…

Quant aux armes et aux munitions, il y en avait une assez grande quantité vu que le gouvernement des États-Unis avait eu la bonté de lui rendre celles que ses troupes avaient capturées après le premier raid[14].


Un envahisseur eut-il jamais pareilles chances de succès ? Non, s’il est réellement favorisé de toutes ces conditions. Mais dans le cas présent un petit contretemps, l’erreur fondamentale sur laquelle ses plans étaient basés, fut sa perte. Grâce à Mgr Taché et à Riel, les métis français se prononcèrent unanimement contre le mouvement d’invasion — le document ci-dessus en fait maintenant foi ; O’Donoghue fut arrêté par un parti de métis français — Hill l’admet lui-même[15] ; la sortie du côté de Saint-Joseph, qui devait être la pièce de résistance de la campagne projetée, avorta par suite de l’hostilité ouverte des chefs français, et l’ouest canadien resta à la Couronne anglaise. Cuique suum !

Terminons par le témoignage de la personne dont l’opinion doit primer toutes les autres. Sous la foi du serment le gouverneur Archibald fit en 1874 la déclaration suivante : « Je crois que l’attitude des métis, lors de l’invasion fénienne, fut due aux représentations de leurs chefs que j’ai déjà mentionnés, et si les métis eussent pris une attitude différente, je ne crois pas que la province serait maintenant en notre possession »[16].

Après cela les dires et insinuations des fanatiques ne sont guère de nature à faire impression.

  1. History of the North-West, vol. II, p. 71.
  2. Manitoba, p. 347.
  3. History of Manitoba, p. 471.
  4. Ces doutes étaient si bien fondés que, lorsqu’après la revue des troupes métisses, le gouverneur voulut les caserner au fort Garry, un certain lieutenant Hay refusa net de leur faire préparer le logement, déclarant à Son Honneur qu’il jetterait plutôt ses armes que de le faire, et un autre officier également au service de la Reine le soutint dans son refus. Le gouverneur dut céder devant cette sotte insubordination, et ce ne fut qu’avec peine qu’il obtint d’y stationner Pascal Breland avec sa compagnie d’éclaireur », bien que ce métis se fût toujours fait remarquer par la modération de sa conduite.
  5. Lesquels chefs, « après avoir subi un semblant d’examen (a farce of an examination)… furent libérés aussi vite que possible » (Hill, op. cit., pp. 347-48), ce qui montre encore une fois de plus les véritables sentiments des autorités américaines sur cette question.
  6. Manitoba, p. 338.
  7. Ibid., p. 348.
  8. Leurs faits et gestes se trouveront mentionnés dans mon Dictionnaire historique des Canadiens et des Métis français de l’Ouest, à côté de ceux de centaines d’autres personnages, traiteurs, voyageurs, explorateurs, missionnaires, hommes d’Église ou d’État, etc.
  9. Les souris n’ayant pas respecté le papier métis, un trou se trouve au milieu de chaque feuille qui a fait disparaître les mots entre crochets.
  10. Il ne le fut que le jeudi. O’Donoghue voulut peut-être donner le temps aux métis de s’organiser en sa faveur. Cette remarque d’André Nault est une autre preuve que, même le 6, on n’avait pas encore entendu parler de l’échec des féniens à Pembina.
  11. Op. cit., p. 336.
  12. Op. cit., pp.  337-38.
  13. Quelques lignes paraissent manquer ici dans le manuscrit.
  14. L’auteur fait ici allusion à la première échauffourée des féniens dans l’Est du Canada. Op. cit., p. 470.
  15. Manitoba, p. 338.
  16. Dépos. devant le Comité du Nord-Ouest, p. 153.