Bélinde/19

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Bélinde (1801)
Traduction par Octave Gabriel de Ségur.
Maradan (Tome IIIp. 1-23).


CHAPITRE XIX.

UNE NOCE.


Bélinde et M. Vincent ne pouvaient s’accorder sur l’étendue des droits que leur assurait le traité, de manière qu’ils étaient toujours en dispute ; ils s’accusaient l’un et l’autre de le rompre. Malgré toutes ces discussions, au bout de quelques semaines, M. Vincent sut, par son adresse ou par son propre mérite, gagner l’estime et l’amitié de Bélinde.

Elle était dans la plus favorable disposition pour M. Vincent. Il proposa un jour une grande promenade à cheval. On adopta sa proposition, et l’on forma le projet d’aller le lendemain voir les rochers de Brinhams-Craggs.

Le lendemain matin ils arrivèrent tous ensemble près de Brinhams. M. Percival, qui était avec eux, s’écria : Que vois-je sur le sommet d’un de ces rochers ?

Cela ressemble à une statue, dit M. Vincent ; il faut qu’on l’y ait placée depuis la dernière fois que nous y vînmes.

Je crois que votre statue y est montée elle-même, dit Bélinde, car je crois la voir descendre. Ne la voyez-vous pas remuer ? — Mais à présent, je crois remarquer que c’est un homme faisant l’exercice avec un fusil, pour s’amuser, ou plutôt pour notre amusement ; ne voyez-vous pas plusieurs personnes qui le regardent ?

Je jure que c’est une femme, dit Vincent.

Non sûrement, répondit Bélinde, ce ne peut être une femme.

Ce n’est cependant rien moins que mistriss Freke, reprit M. Percival.

En effet, c’était mistriss Freke qui, en chassant avec plusieurs jeunes gens, était montée sur le rocher, et s’amusait à faire l’exercice comme un soldat. Lorsque la troupe d’Oakly-Parck fut près du rocher, Bélinde entendit la voix d’une femme, et elle reconnut mistriss Freke en habit de cheval très-leste.

Miss Moreton est avec elle, je crois, dit M. Vincent.

Pauvre fille ! que fait-elle là ? dit Bélinde ; je crois qu’on veut la forcer de monter aussi sur le rocher ; regardez un peu comme mistriss Freke la tire par le bras.

En approchant, ils entendirent mistriss Freke rire aux éclats de la peur de miss Moreton.

Nous aurions mieux fait, dit Bélinde, de passer d’un autre côté. Mistriss Freke m’a juré une haine éternelle, et je tremble qu’il ne lui prenne la fantaisie de me faire monter sur la pointe de ce rocher, pour se venger de moi.

Elle n’aura pas cette audace, dit M. Vincent avec vivacité, comptez sur nous pour vous défendre.

Je ne doute pas de votre bonne volonté, repartit Bélinde ; mais je ne veux point affronter ce péril pour vous donner le plaisir d’être mon défenseur. En disant ces mots, elle tourna la tête de son cheval.

Vous ne vous en irez point, miss, reprit Vincent en arrêtant son cheval ; Songez, madame, que nous ne pouvons pas nous en aller : lady Anne, son mari, ses enfans sont venus ici pour vous, vous ne voulez point leur ôter tout le plaisir de leur promenade.

Nous la recommencerons un autre jour, dit Bélinde, et je suis sûre que vous aurez la bonté de venir avec moi, quoique vous soyez fâché dans ce moment-ci de me voir éviter le danger.

Miss Portman ne doit pas être surprise de voir la vivacité de M. Vincent, dit en riant M. Percival ; c’est un héros amoureux ; et vous savez que dans tous les romans, un héros ne peut pas être avec sa noble dame sans qu’il leur arrive quelque aventure. Il doit sacrifier ses jours pour les siens, et ensuite la reconnaissance l’engage à lui donner la main.

La reconnaissance ! interrompit M. Vincent ; ce n’est pas un héros de mon caractère qui s’en contenterait.

Oh ! ne vous alarmez point, reprit M. Percival toujours en riant ; il me semble que miss Portman n’est point tentée de vous offrir le choix. Nous devons tous à présent regretter qu’elle vous ait ôté l’occasion de combattre pour elle, ou de la délivrer de quelque horrible danger. Il est si agréable d’être le héros ou la héroïne d’un roman !

Comme cette pauvre miss Moreton criait ! dit Bélinde : quelle peur elle avait !

Je la plains, dit M. Vincent ; mistriss Freke lui fait mener une singulière vie.

Elle est aussi digne de blâme que de pitié, dit M. Percival ; ne savez-vous pas son histoire ? Miss Moreton a quitté toutes ses amies pour vivre avec mistriss Freke : en reconnaissance de cet abandon, celle-ci l’a privée, par tous ses conseils, de l’estime et de l’affection de ceux qui l’aimaient. Miss Moreton est orgueilleuse et faible, et par conséquent facile à tromper. Après mille folies qui l’ont fait tourner en ridicule, elle s’est laissée aimer par un jeune officier. Miss Moreton avait un parent qui lui était encore attaché ; c’était un honnête et respectable ecclésiastique. Il essaya de la ramener dans le chemin de la vertu ; mais mistriss Freke, furieuse de voir son influence combattue, employa toute son adresse à détruire l’effet des bons conseils de cet homme.

Voyant que ses moyens ne réussissaient pas, elle fit tant par son intrigue, qu’elle obtint le renvoi de ce pasteur. Le malheureux avait une famille nombreuse ; il fut obligé de sortir du pays pour pouvoir la faire subsister. Depuis ce moment, elle est tellement détestée de tous les habitans du village qu’elle a privés de ce bon pasteur, qu’il serait dangereux pour elle d’y passer. Voilà un trait de la vie de mistriss Freke.

Ce fut cette histoire, dit M. Vincent, qui m’a fait changer d’opinion sur elle. Jusqu’alors je l’avais toujours regardée comme une femme qui aurait une mauvaise tête, mais un bon cœur, et qui se nuisait à elle-même sans nuire aux autres.

Il est difficile, dans le monde, dit M. Percival, et particulièrement aux femmes, de se nuire à elles-mêmes sans nuire aux autres. On commence par des plaisanteries, et l’on finit par des méchancetés. Elles défient le monde, — le monde se venge en les excommuniant. — Elles désespèrent de revenir de cet arrêt, et font leur unique occupation et l’objet de leur ambition du plaisir perfide de troubler la sécurité vertueuse des autres femmes.

Mistriss Freke n’est pas heureuse, dit Bélinde, quoiqu’elle affecte une gaieté folle ; et, puisque nous ne pouvons pas changer sa manière en la plaignant ou en la blâmant, nous ferons mieux de ne plus nous occuper d’elle.

Permettez-moi de vous dire, reprit M. Vincent, que la méchanceté de mistriss Freke n’a pas eu la suite qu’elle desirait. Ne savez-vous pas, M. Percival, que M. Moreton a été placé par un honnête jeune homme ?

J’en suis charmé, dit M. Percival ; mais quel est cet homme généreux ? je voudrais le connaître.

Je le voudrais aussi, dit M. Vincent ; c’est M. Hervey.

— Clarence Hervey, peut-être ?

— Oui, Clarence était son nom.

Personne, dit M. Percival, n’aime à faire autant de bien que Clarence Hervey.

Il est vrai que personne n’est plus capable que lui d’une action généreuse, dit Bélinde à voix basse. Elle ne put louer Clarence Hervey sans rougir.

La conversation changea, et miss Portman oublia Clarence Hervey, dont elle admirait la générosité en même temps qu’elle blâmait la légéreté. Elle traita M. Vincent avec plus de bonté qu’à l’ordinaire. Peut-être entrait-il dans ce procédé un peu de dépit de l’amour de Clarence.

On passa la soirée dans les jardins, et M. Vincent avoua que jamais le temps ne lui avait paru aussi beau.

Quoi ! jamais ; même en Amérique, dit M. Percival ; je ne croyais pas que vous pussiez en convenir. Ne vous souvenez-vous plus de tous les éloges que vous avez donnés au climat et aux paysages de la Jamaïque ?

— Oui ; mais mon goût est tout-à-fait changé.

— Je me rappelle du temps où vous croyiez impossible que votre goût pût changer : vous m’avez dit bien souvent que l’aspect de toutes les beautés de l’ancien monde ne pourrait toucher votre cœur.

— Miss Portman et vous avez opéré ce changement en moi. Les premières amours rendent souvent un homme ridicule, dit-il en rougissant. Bélinde rougit aussi.

Un premier amour, dit M. Percival, n’est pas nécessairement plus ridicule qu’un second ; mais il a plus de chances contre lui : souvent ce qui le fait naître est plutôt un hasard que le vrai mérite de l’objet aimé, et c’est une folie de penser qu’il doit être toujours durable.

Ne croyez-vous pas, dit Bélinde, qu’il y a cependant de la délicatesse à ne pas penser à un second amour, quand on a déjà éprouvé un sentiment ? Cette délicatesse n’est-elle pas le garant du bonheur de la société ?

Je crois, au contraire, répondit M. Percival, que cette délicatesse doit plutôt contribuer à son malheur ; car je sens par moi-même que si je n’avais pas oublié l’objet de mon premier amour, qui ne méritait peut-être pas une aussi vive tendresse, je me serais figuré que jamais je n’aurais pu trouver le bonheur, et je n’aurais pu ressentir qu’une froide estime pour lady Anne, qui fait à présent le charme de ma vie. — Ainsi donc vous voyez, miss Portman, que cette délicatesse pourrait être taxée d’affectation, et qu’elle peut très-rarement rendre heureux.

Je vois, dit Bélinde en souriant, à la manière dont vous prononcez ce mot délicatesse, que vous ne croyez pas m’avoir persuadée. Je veux donc moi-même vous rendre les armes.

Heureux ceux, dit M. Percival, que des raisonnemens peuvent convaincre ! Il y a tant de personnes qui ferment leur esprit à la conviction, et qui finissent par dire comme ils ont commencé : C’est mon opinion, j’ai toujours pensé ainsi, et je penserai toujours de même !

M. Vincent aimait beaucoup M. Percival ; mais il sentit redoubler dans ce moment son affection pour lui. Quoique Bélinde n’eût jamais désigné Clarence Hervey à M. Vincent, cependant elle lui avait avoué, qu’avant de venir à Oakly-Parck, son cœur n’avait pas été insensible au mérite d’un homme aimable et estimable à-la-fois.

Depuis ce jour, M. Vincent s’apperçut qu’il plaisait de plus en plus à Bélinde, et qu’elle recherchait davantage sa société ; et il espéra que, possédant son estime, il obtiendrait bientôt son amour. Lady Anne lui répétait toujours qu’il fallait laisser à Bélinde le temps de la réflexion, ou qu’il perdrait tout. C’était avec peine que M. Vincent retenait son impatience ; mais il sentait la justesse du conseil de son amie. Ses affaires étaient au même point à la fin de septembre.

Lady Anne Percival entra un jour dans la chambre de Bélinde un ruban à la main.

Savez-vous, lui dit-elle, que nous avons une noce aujourd’hui ? On vient de m’envoyer ce ruban. Vous vous souvenez sans doute de Lucie ? cette jolie fille épouse Juba, qui était amoureux d’elle. M. Vincent leur a acheté une petite ferme dans le voisinage. Mais regardez, ma chère, ne voyez-vous pas la noce passer ?

Elles se mirent à la fenêtre, et virent en effet une troupe de villageois qui revenaient gaiement de l’église. Lady Anne fit dresser une tente dans le parc, afin que cette heureuse journée se terminât par des danses : toute la compagnie s’y rendit. Là, Bélinde n’entendit que l’expression de la joie et de la reconnaissance qu’inspiraient les bienfaits de M. Vincent. Juba, dans quelques couplets, chanta sa gratitude et son amour. Bélinde entendit avec plaisir et étonnement son nom uni à celui de monsieur Vincent.

Lady Anne demanda les couplets de Juba : c’était un mélange de son patois sauvage et de la langue anglaise : il peignait avec force les tourmens que mistriss Freke lui avait fait éprouver. Et ensuite, passant rapidement au bonheur qu’il éprouvait dans sa nouvelle condition, il remerciait vivement miss Portman de l’avoir délivré de cet horrible malheur. Il finissait en lui souhaitant toutes sortes de prospérités, et sur-tout d’être heureuse en amour.

Dès qu’il eut chanté, il offrit à Bélinde l’instrument américain, qu’il avait travaillé avec tant de zèle et de peine. Elle l’accepta, en jetant sur M. Vincent un coup-d’œil qui l’enchanta. — Tout-à-coup on entendit le bruit d’une voiture qui traversait le parc. Bélinde tourna la tête, et découvrit à travers les arbres la livrée de lady Delacour.

Grand dieu ! s’écria-t-elle, c’est la voiture de lady Delacour ! Serait-ce elle-même !

La voiture arrête, et Mariette en descend précipitamment. Bélinde s’avance vers elle ; Mariette était dans une grande agitation.

Oh ! miss Portman, dit-elle, ma pauvre maîtresse est bien mal ; elle m’a envoyée pour vous chercher : voilà sa lettre. — Chère miss Portman, j’espère que vous ne refuserez pas de venir. Elle a été bien souffrante, et elle souffre encore beaucoup ; mais elle serait mieux, si elle vous voyait. Je vous dirai tout, miss, lorsque nous serons seules, et lorsque vous aurez lu sa lettre.

Miss Portman, accompagnée de Mariette, tourna ses pas vers la maison. Elle apprit, chemin faisant, que lady Delacour avait eu recours au charlatan qui lui inspirait une aveugle confiance ; que cet homme lui avait toujours refusé de faire l’opération qu’elle était résolue de subir. Il en craignait le danger, et il lui persuada d’essayer encore des remèdes dont il promettait merveille.

Nous ignorons, dit Mariette, quelles furent ses drogues ; mais, ce qu’il y a de certain, c’est qu’elles affectèrent sa tête de la manière la plus alarmante. Dans son délire, elle vous appelait souvent, et vous parlait comme à l’amie la plus tendre. Mais lorsqu’elle avait sa tête, elle ne prononçait pas votre nom, et ne souffrait même pas qu’on le prononçât devant elle. Un jour je lui disais combien je desirais de vous voir auprès d’elle ; elle me lança le regard le plus terrible.

Lorsque je serai dans le tombeau, Mariette, s’écria mylady, il sera temps que miss Portman revoie cette maison, et alors il sera temps aussi que vous exprimiez votre attachement pour elle.

— Telles furent les propres paroles de mylady ; elles me frapèrent d’étonnement, et je n’osais rien répondre.

— J’avais déjà soupçonné lady Delacour d’être jalouse de vous ; cela me parut extraordinaire, d’après la manière d’être de mylady avec mylord ; et je vis bien clairement alors que cela seul vous avait forcée de nous quitter. — J’ai su depuis que le domestique de sir Philip, qui me fait sa cour, sans, je vous jure, que je lui aie jamais donné le moindre sujet d’espoir, que Champfort était la cause de tout cela, qu’il avait répandu une foule de mensonges sur les billets de banque que mylord vous avait donnés, et qu’il avait fait accroire à mylady qu’aussitôt après sa mort vous épouseriez lord Delacour ; et mille autres calomnies qu’il confia au domestique de sir Philip Baddely, et qui revinrent à ma maîtresse. — Maintenant, madame, je dois vous dire que ce domestique de sir Philip s’est conduit admirablement dans cette affaire. Lorsque je lui peignis l’horreur de pareils mensonges, il m’assura qu’il n’avait agi que dans l’intention de servir son maître, et il m’offrit de lui-même d’aider à démasquer cet hypocrite de Champfort avec quelques bouteilles de claret et un peu de flatterie.

Dès que Champfort fut animé par le vin, le domestique de sir Philip, parla de mylord, de mylady et de miss Portman ; et il lui demanda pourquoi lord et lady Delacour se voyaient plus souvent depuis que vous aviez quitté la maison.

Champfort lui dit avec ses juremens ordinaires, que jamais, tant qu’il vivrait, mylord et mylady ne se raccommoderaient.

C’est pour cela, dit-il, que j’ai fait renvoyer miss Portman ; car, depuis qu’elle a introduit cette petite Hélène chez nous, mylord est un tout autre homme ; et je crois en vérité qu’il aurait abandonné son vin, ce qui ne me convient pas du tout. Si mylady pouvait reprendre de l’empire sur lui, je serais bientôt chassé. — Non, mylord et mylady ne se réconcilieront jamais tant que je vivrai.

Dès que j’eus appris cette profession de foi, je l’écrivis, et j’en fis attester la vérité par le domestique de sir Philip Baddely. Lorsque lady Delacour lut cette lettre, elle fut atterrée, et si indignée d’avoir été la dupe d’un infâme valet, qu’elle m’envoya sur-le-champ chez mylord, pour lui demander le renvoi de Champfort.

Mylord murmura, parce que sa femme avait prononcé le mot Je veux. — Je crois qu’il l’aurait fait de lui-même si on ne l’eût pas exigé de lui ; il répondit enfin :

Lady Delacour, je ne suis pas un homme à être mené par une femme ; je garderai ou je renverrai mes domestiques suivant mon bon plaisir.

Il sortit en disant ces mots. —

Ma maîtresse fut irritée de ce refus. Sa fièvre redoubla, et la mit dans le plus grand danger : elle refusa de voir mylord, à qui Champfort persuadait que cette maladie était feinte. C’était assez vraisemblable, puisque personne que moi n’entrait dans la chambre de mylady. — Au bout de quelques jours, elle se réveilla en criant :

Chère Bélinde, vous voilà donc enfin !

Elle ouvrit ses rideaux, et parut étonnée de ne voir personne dans la chambre : je suis sûre qu’elle espérait vous y trouver. Ce fut alors que j’osai parler de vous, et l’assurer que vous l’aimiez encore. Je lui racontai votre histoire avec mistriss Luttridge et mistriss Freke ; elle en fut surprise.

Depuis cet instant, mylady ne fut pas un instant sans penser à vous et sans vous desirer.

Un jour mylord me rencontra sur l’escalier, me demanda des nouvelles de ma maîtresse, et pourquoi elle n’envoyait pas chercher un médecin.

Le médecin qui lui ferait le plus de bien, mylord, lui dis-je, serait miss Portman ; car j’ose vous assurer que, jusqu’à ce qu’elle soit revenue, ma maîtresse sera toujours plus souffrante.

Eh ! pourquoi ne revient-elle pas cette jeune personne ? Ce n’est pas moi qui m’y oppose ; car je desire de tout mon cœur qu’elle soit ici.

Il est impossible, mylord, repris-je, après tout ce qui s’est passé, que miss Portman desire revenir, ou que ma maîtresse veuille vous demander son retour, tant que M. Champfort sera le maître absolu de la maison.

Oh ! si ce n’est que cela, dit lord Delacour, vous pouvez annoncer à votre maîtresse que je vais renvoyer Champfort sur-le-champ ; le coquin vient d’être insolent avec moi ; je veux lui prouver que je suis le maître chez moi.

Je courus rapporter cette assurance à mylady, qui demanda aussitôt ses chevaux, son écritoire, et vous écrivit quelques mots d’une main tremblante. Je pris sa lettre, et je la quittai, en l’assurant que j’espérais vous ramener.

Comme Mariette finissait ces mots, Bélinde entrait dans sa chambre. Elle décacheta la lettre : ce n’était plus cette éloquence de billet ; son esprit paraissait affaibli par ses souffrances physiques, et elle se terminait par ces mots :

« Je sens ma fin approcher ; peut-être ma chère Bélinde se rendra-t-elle à ma dernière prière, et me permettra-t-elle de la voir encore une fois, avant que je meure. » —

Bélinde résolut de partir aussitôt ; elle était pressée de quitter lady Anne et son aimable famille : les enfans l’entourèrent, et fondirent en larmes quand ils apprirent son départ. M. Vincent demeura interdit ; mais évitons à nos lecteurs les détails touchans de cette séparation. — Miss Portman promit de revenir à Oakly-Parck aussitôt qu’elle le pourrait. M. Vincent lui demanda la permission de la suivre à la ville ; elle le lui défendit expressément, et il obéit à cet ordre avec autant de soumission et de grace qu’on pouvait l’espérer d’un amant qui voyait s’éloigner le moment de son bonheur.