Ballade du Jour et de la Nuit (Guaita)
PETITS POËMES
Ballade du Jour et de la Nuit
Essor à vos voix argentines,
Cloches folles ! Sonnez Matines !
Aurore, donne aux églantines
De ta couleur ! —
Éveillez, brises matinales,
Les fraîches ardeurs virginales :
Amour, mène tes bacchanales
Sur l’herbe en fleur !
Avril : Sursum corda ! foin des vertus banales,
Et claquent nos baisers jusqu’à la Chandeleur !
Dans l’arbre, l’arbuste et la plante
Le vent du soir pleure à voix lente :
Il fait crier la croix tremblante
Sur les tombeaux,
Et loin du clocher, silhouette
Dans l’ombre que leur vol fouette,
L’ Angélus fait fuir la chouette
Et les corbeaux ;
Et, du cri de l’orfraie au chant de l’alouette,
Cadavres, vous mordez vos linceuls en lambeaux.
Midi ! — Sous le soleil torride
Le pré fume ; la roche aride
Se fendille ; — pas une ride
Sur l’étang bleu ;
Et, de la plaine aromatique,
Monte, monte, comme un cantique,
Une tiède senteur rustique
Vers l’astre-dieu !
Votre âme s’évapore ainsi, glèbe mystique,
Par la bouche des fleurs, au firmament de feu !
Minuit ! Douze coups. Vigilance !
Tout est noir. L’effroi se balance
Sur ses deux ailes : — le silence,
L’obscurité ; —
L’œil des hiboux s’allume, rouge,
Dans le pin ténébreux, et bouge ;
Telle on voit poindre dans un bouge
Une clarté,
Tandis que l’assassin, aux regards de sa gouge,
Retire du cadavre un fer ensanglanté !
Le soleil disparait : Lasséc,
L’âme où geint la peine amassée
Se sent à jamais fiancée
Au sombre ennui ;
Tandis que les voix de la terre
Semblent s’apaiser et se taire,
Le ciel pâle s’ouvre au mystère
Lourd de la nuit ;
Et l’esprit sans ressort, inerte et solitaire,
Sombre, comme un navire, au gouifre où rien ne luit.
Ô le matinal crépuscule !
L’ange du cauchemar recule,
Et l’obsession ridicule
S’évanouit ;
Et voici l’Angelus qui tinte,
Et le mur d’ombre qui se teinte,
Où l’aube claire d’hyacinthe
S’épanouit ;
Et, dans le chandelier de la terreur éteinte,
La gloire du matin flambe — et se réjouit !
- Décembre 1883.