Balzac au collége/II

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A. Patay (p. 23-27).
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II


Le biographe de Louis Lambert a négligé le parloir dans son étude analytique. C’est l’endroit qui m’a le plus frappé dans ma visite au collége. Aux murs sont accrochés de solennels portraits des grands personnages de la province : les deux Vendôme, le cardinal et le duc. En regard, l’image des anciens Oratoriens, celle entre autres du Révérend Père Bourgoing, qui fut supérieur de l’ordre. Peinture de sacristie comme la comprenaient les anciens Espagnols : tête de cire, sang verdâtre, sorte de saint Bonaventure ressuscitant pour écrire ses mémoires. La règle des fondateurs de l’Oratoire a passé dans cet ascétique portrait que Balzac enfant dut regarder plus d’une fois, chagrin de ne pouvoir se décharger dans le cœur d’un professeur affectueux de ce qui bouillonnait dans son esprit.


« La tête toujours appuyée sur sa main gauche, le bras accoudé sur son pupitre, il passait les heures d’étude à regarder dans la cour le feuillage des arbres ou les nuages du ciel ; il semblait étudier ses leçons ; mais voyant la plume immobile ou la page restée blanche, le régent criait : « Vous ne faites rien, Lambert ! » Ce : Vous ne faites rien, était un coup d’épingle qui blessait Louis au cœur… Lorsqu’il était violemment tiré d’une méditation par le : — Vous ne faites rien ? du régent, il lui arriva souvent, à son insu d’abord, de lancer à cet homme un regard empreint de je ne sais quel mépris sauvage, chargé de pensée comme une bouteille de Leyde est chargée d’électricité. Cette œillade causait sans doute une commotion au maître, qui, blessé par cette silencieuse épigramme, voulut désapprendre à l’écolier ce regard fulgurant. La première fois que le Père se formalisa de ce dédaigneux rayonnement qui l’atteignit comme un éclair, il dit cette phrase que je me suis rappelée : « — Si vous regardez encore ainsi, Lambert, vous allez recevoir une férule ! » À ces mots, tous les nez furent en l’air, tous les yeux épièrent alternativement et le maître et Louis. L’apostrophe était si sotte que l’enfant accabla le Père d’un coup d’œil qui fut un éclair. De là vint entre le régent et Lambert une querelle qui se vida par une certaine quantité de férules. Ainsi lui fut révélé le pouvoir oppresseur de son œil. »


Un professeur pouvait-il comprendre « ce pauvre poëte, si nerveusement constitué, vaporeux autant qu’une femme, dominé par une mélancolie chronique, tout malade de son génie comme une jeune fille l’est de cet amour qu’elle appelle et qu’elle ignore. »

Ce que comprenait de l’enfant, gros de la Comédie humaine, le principal du collége est inscrit sur le registre de sortie des élèves, un ancien volume relié en parchemin, que je dois à M. Chautard, maire de Vendôme, d’avoir pu parcourir attentivement. À la page 7, est écrit : « No 460. — Honoré Balzac, âgé de huit ans cinq mois. A eu la petite vérole sans infirmités. Caractère sanguin, s’échauffant facilement et sujet à quelques fièvres de chaleur. — Entré au pensionnat le 22 juin 1807. — Sorti le 22 août 1813. — S’adresser à M. Balzac, son père, à Tours. »

Caractère sanguin, s’échauffant facilement, sujet à quelques fièvres de chaleur, tel est ce jeune esprit qui couve encore à l’âge de quatorze ans, et qui, dix années plus tard, deviendra un volcan d’où s’échapperont d’abord d’épaisses fumées suivies des flammes les plus brillantes qu’on ait vues dans le siècle ; mais aucun des Oratoriens n’avait pressenti le volcan.