Balzac au collége/III
III
Les cours sont belles dans le vieux Collegium cæsareo vindocinense. L’air, au moins, ne manquait pas aux élèves enfermés à l’intérieur. Trois grandes cours se succèdent qui, du temps de Balzac, étaient le partage des Minimes, des Moyens et des Grands.
Dans la première, plantée d’acacias et d’ormeaux qui cachent à demi les trois étages de pierres et de briques entremêlées, est une belle place, un terrain tout naturel pour la statue de Balzac, dont le souvenir illustrera à jamais le collége. Là, je voudrais voir le compatriote de Descartes, le romancier qui, certainement, pensa autant que le philosophe, le jeune « voyant » à qui sa ville natale aurait dû élever un monument depuis vingt ans, le Tourangeau qui aima tant son pays qu’à l’aide de ses livres on reconstituerait la plus intéressante des Touraines pittoresques ; là devrait apparaître pour l’instruction de la nouvelle génération l’écolier méditatif et songeur, un livre à la main, cherchant dans l’espace d’autres livres, toujours des livres.
Dès sa plus tendre jeunesse, « la lecture était devenue chez Lambert une espèce de faim que rien ne pouvait assouvir ; il dévorait des livres de tout genre, et se repaissait indistinctement d’œuvres religieuses, d’histoire, de philosophie et de physique. »
Il se peut qu’on dise qu’au point de vue de l’enseignement, Balzac ne réalisait pas le type du parfait élève. Ce paresseux était le plus grand travailleur du collége de Vendôme ; seulement les professeurs ne s’en aperçurent pas. « Louis m’a dit avoir éprouvé d’incroyables délices en lisant des dictionnaires à défaut d’autres ouvrages, et je l’ai cru volontiers. Quel écolier n’a mainte fois trouvé du plaisir à chercher le sens probable d’un substantif inconnu ? L’analyse d’un nom, sa physionomie, son histoire étaient pour Lambert l’occasion d’une longue rêverie… La plupart des mots ne sont-ils pas teints de l’idée qu’ils représentent extérieurement ? » Voilà ce à quoi pensait Balzac méconnu.
Quel enseignement pour les élèves que celui de cette grave figure, de cet écrivain robuste comme le vieux platane qui s’est fait un trou dans la pierre pour baigner ses racines dans le Loir, et qui évoque le souvenir du génie de l’homme faisant éclater les murailles du collége pour penser !
Quelle vie de travail austère que celle d’un tel homme lancé au début de la vie dans d’inextricables difficultés de fortune, gagnant pied à pied le terrain que l’art jaloux lui disputait, et plus grand à ses propres yeux à mesure qu’on le méconnaissait !
Ce n’est pas tant le romancier que le penseur dont il serait utile d’exposer l’image aux yeux des élèves du lycée. Où mène le travail sans cesse poursuivi ? Balzac l’a montré. On a regretté la destruction de son manuscrit du Traité de la volonté. Balzac l’a mis en pratique toute sa vie. Une telle volonté, applicable aux sciences exactes comme aux carrières libérales, aux lettres aussi bien qu’à l’industrie, un tel combat sans trêve ni relâche d’un enfant de la Touraine, ne sont-ils pas importants à montrer aux nouvelles générations par une statue ?