Barzaz Breiz/1846/Chants des Noces
C’est, en général, un tailleur qui est le bazvalan, ou messager d’amour du jeune homme, près des parents de la jeune fille ; il a souvent pour caducée, dans l’exercice de ses fonctions, une branche de genêt fleuri, symbole d’amour et d’union ; de là vient le nom qu’on lui donne[1]. Tout bazvalan doit allier à une grande éloquence un fonds de bonne humeur et d’inépuisable gaieté. Il doit savoir l’histoire de la famille de son client de manière à être à même de citer, au besoin, quelques traits honorables. Il doit pouvoir dire combien ses étables contiennent de chevaux, ses pâturages de bêtes à cornes, ses greniers et ses granges de boisseaux de blé ; il doit savoir l’art de mettre en relief ses moindres avantages personnels, et avoir des réponses toutes prêtes à opposer aux objections qu’on pourra lui faire. Il possédait chez les anciens Bretons un caractère si respectable, qu’il passait sans danger d’un camp dans un autre au moyen de sa baguette fleurie ; la science de mener à bien une ambassade d’amour était même alors tellement préciée, qu’on la regardait comme indispensable à un jeune homme bien élevé[2].
Lorsque le bazvalan se présente quelque part, et qu’il souhaite
le bonjour du seuil de la porte, si on tarde à le faire entrer,
si les tisons se trouvent debout dans la cheminée lorsqu’il
entre, ou si la maîtresse du logis, prenant avec lenteur une crêpe,
l’approche du feu du bout des doigts en lui tournant le dos, c’est
Comme je viens de le dire, le thème et la forme de leurs chants sont toujours les mêmes ; j’en ai eu la preuve plusieurs fois à différentes noces. Un manuscrit du seizième siècle, possédé par un riche paysan de Trégourez, m’en a également donné la certitude ; la version en prose française qu’a publiée Cambry dans son Finistère, si bien traduite en vers par M. Brizeux, et que M. Emile Souvestre a reproduite, atteste le même fait. Seulement Cambry, en analysant une partie du dialogue qu’il ne traduit pas, nous révèle un détail curieux relatif aux deux poètes rivaux, et tombé en désuétude. Selon lui, dès le début, le demandeur (il donne ce nom à l’avocat du jeune homme), se pose en personnage important : il ne raconte que des exploits : « C’est moi, dit-il, par exemple, c’est moi qui suis Samson et qui ai tué les Philistins ; » et il brode sur ce canevas. L’avocat de la jeune fille répond : « La science est au-dessus de la force des armes ; c’est moi qui reçus de Dieu la loi sur le mont Sinaï : je suis Moïse ; c’est moi qui ai rétabli les livres saints perdus à la prise de Jérusalem ; c’est moi qui ai fait les vers qu’on prête à Théocrite ; j’étais Virgile près d’Auguste[3] » Au premier moment, cette assimilation du poète à des personnages de l’antiquité paraît bizarre. Mais on s’en étonne encore bien plus en entendant, au sixième siècle, le barbe Taliésin, qui croyait à la métempsycose, tenir le même langage, et dire sérieusement : « C’est moi qui ai donné à Moïse la force de passer l’eau du Jourdain ; j’ai vu détruire Sodome et Gomorrhe. J’ai été le porte étendard d’Alexandre. Je sais le nom des étoiles du couchant à l’aurore[4] ... Le savoir vaut mieux que la force[5], » Le poète populaire ne parodie-t-il pas évidemment le barde ?
Maintenant écoutons-le parler de son protégé.
Au nom du Père tout-puissant, du Fils et de l’Esprit-Saint, bénédiction dans cette maison, et joie plus que je n’en ai.
Et qu’as-tu donc, mon ami, que ton cœur n’est pas joyeux ?
J’avais une petite colombe dans mon colombier avec mon pigeon, et voilà que l’épervier est accouru, comme un coup de vent, et il a effrayé ma petite colombe, et l’on ne sait ce qu’elle est devenue.
Je te trouve bien requinqué pour un homme si affligé ; tu
as peigné tes blonds cheveux, comme si tu te rendais à la
danse.
Mon ami, ne me raillez pas ; n’avez-vous pas vu ma petite colombe blanche ? Je n’aurai de bonheur au monde que je n’aie retrouvé ma petite colombe.
Je n’ai point vu ta petite colombe, ni ton pigeon blanc non plus.
Jeune homme, tu mens ; les gens du dehors l’ont vue voler du côté de ta cour, et descendre dans ton verger.
Je n’ai point vu ta petite colombe, ni ton pigeon blanc non plus.
Mon pigeon blanc sera trouvé mort, si sa compagne ne revient pas ; il mourra, mon pauvre pigeon : je m’en vais voir par le trou de la porte.
Arrête, ami, tu n’iras pas, je vais moi-même voir.
Je suis allé dans mon courtil, mon ami, et je n’y ai point trouvé de colombe, mais quantité de fleurs ; des lilas et des églantines, et surtout une gentille petite rose, qui fleurit au coin de la haie ; je vais vous la chercher, si vous le voulez, pour rendre joyeux voire esprit.
en tenant une petite fille par la main.)
Charmante fleur vraiment ! gentille et comme il faut pour rendre un cœur joyeux ! si mon pigeon était une goutte de rosée, il se laisserait tomber sur elle.
Je vais monter au grenier, peut-être y est-elle entrée, en volant.
Restez, bel ami ; un moment, j’y vais moi-même.
Je suis monté au grenier, et je n’y ai point trouvé de colombe, je n’y ai trouvé que cet épi abandonné après la moisson.
Mets-le à ton chapeau, si tu veux, pour le consoler.
Autant l'épi a de grains, autant de petits aura ma colombe blanche sous ses ailes, dans son nid, elle au milieu, tout doucement.
Je vais voir au champ.
Arrêtez, mon ami, vous n’irez point; vous saliriez vos beaux souliers ; j’y vais moi-même pour vous.
Je ne trouve de colombe en aucune façon ; je n’ai trouvé qu’une pomme, que cette pomme ridée depuis longtemps, sous l’arbre, parmi les feuilles ; mettez-la dans votre pochette, et donnez-la à manger à votre pigeon, et il ne pleurera plus.
Merci, mon ami ; pour être ridé, un bon fruit ne perd pas son parfum ; mais je n’ai que faire de votre pomme, de votre fleur ni de votre épi ; c’est ma petite colombe que je veux ; je vais moi-même la chercher.
Seigneur Dieu ! que celui-ci est fin ! Viens donc, mon ami, viens avec moi ; la petite colombe n’est pas perdue : c’est moi-même qui l’ai gardée, dans ma chambre, en une cage d’ivoire, dont les barreaux sont d’or et d argent ; elle est là toute gaie, toute gentille, toute belle, toute parée.
(Le Bazvalan est introduit ; il s’assoit un moment à table, puis va prendre le fiancé. Aussitôt que celui-ci parait, le père de famille lui remet une sangle de cheval qu’il passe à la ceinture de sa future. Tandis qu’il boucle et qu’il délie la sangle, le Breutaer chante : )
J’ai vu dans une prairie une jeune cavale joyeuse.
Elle ne songeait qu’à bien, qu’à s’ébattre dans la prairie,
Qu’à paître l’herbe verte et qu’à s’abreuver au ruisseau.
Mais par le chemin a passé un jeune cavalier si beau !
Si beau, si bien fait et si vif ! les habits brillants d’or et d’argent.
Et la cavale, en le voyant, est restée immobile d’étonnement ;
Et elle s’est approchée doucement, et elle a allongé le cou à la barrière ;
Et le cavalier l’a caressée, et il a approché sa tête de la sienne ;
Et puis après il l’a baisée, et elle en a été bien aise ;
Et puis après il l’a bridée, et puis après il l’a sanglée.
Après cette cérémonie curieuse, le poète appelle sur la fiancée la bénédiction de Dieu, de la sainte Vierge, des anges, de tous les aïeux de génération en génération jusqu’au grand-pére, aux pieds duquel elle sanglote agenouillée. La fille d’honneur la relève ; le breutaer lui met la main dans celle de son fiancé, leur fait échanger leurs anneaux, et se jurer d’être unis sur la terre comme le doigt l'est a la bague, afin de l’être dans le ciel ; il récite ensuite à haute voix le Pater, l'Ave, le De profundis. Peu d’instants après, la fiancée paraît sur le seuil de la porte, conduite par le garçon d’honneur, les bras entourés d’autant de galons d’argent qu’elle reçoit de mille livres en dot. Le fiancé vient après avec la fille d’honneur, les parents les suivent ; le bazvalan va prendre le cheval du futur, l’amène au bas du perron, et le lui tient par la bride tandis qu’il monte ; le breutaer prend la fiancée dans ses bras, et la fait asseoir derrière son mari. Les valets amènent ainsi successivement leur cheval à chacune des personnes de la maison ; puis ils ouvrent les barrières, et tout le monde part au galop pour l’église du bourg. Le premier rendu à un terme fixé doit gagner un mouton, le second des rubans.
En certains cantons, quand le recteur quitte l’autel pour se rendre à la sacristie, les époux et les parents l’y suivent ; le garçon d’honneur porte au bras un panier couvert d’une serviette blanche. Le prêtre en tire un pain blanc, sur lequel il fait le signe de la croix avec la pointe d’un couteau, en coupe un morceau, le rompt et le partage entre les époux. Ensuite il prend dans le même panier une bouteille de vin, en verse dans un hanap d’argent quelques gouttes au mari, qui boit, et passe le hanap à sa femme.
Au sortir de l’église, les gens de la noce sont salués par cent
coups de fusil, et regagnent, au son des bombardes, des biniou
et du tambourin, la demeure de la mariée, où les attend le gala.
Les chambres sont pavoisées de draps blancs ornés de bouquets et
de guirlandes ; des tables sans nombre sont dressées au dedans
et au dehors. La mariée est placée, au bout de l’une d’elles, sous
une niche de verdure et de fleurs ; on la prendrait pour une sainte
dans ses habits de fête. Au moment de se mettre à table, un vieillard récite le Benedicite ; chaque service est précédé d’un air de
biniou et suivi de danses. Au dessert, les convives ne se lèvent
plus, et passent la nuit à table.
On aura remarqué le rôle que joue le poëte populaire dans la cérémonie nuptiale ; nous avons vu que les anciens bardes figuraient dans les mariages : c’était sans doute un des attributs de leur caractère sacerdotal ; les lois galloises leur donnent une part double dans les présents de noces. Au quatorzième siècle, ils bénissaient encore des unions qui passaient pour légitimes. Daviz ab Gwylim nous apprend qu’il fut marié par son ami le barde Madok Penvraz. Ces usages sont maintenant tombés en désuétude chez les Gallois ; la cérémonie principale, la lutte poétique des bardes, y avait encore lieu, il y a cent ans. Au moment où la suite du fiancé arrivait au galop à la demeure de la future, dans l’intention de l’enlever, les gens de la maison se hâtaient de fermer la porte ; alors un barde, se détachant du cortège, improvisait un chant auquel répondait un autre barde du logis, qui ne tardait pas à être vaincu, et à voir le seuil de la demeure forcé par la puissance des vers de son antagoniste[7].
On chante, aux repas de noces, une chanson très en vogue, que nous avons retenue.
— O Notre-Dame de Plévin ! le soir et le matin, et le matin quand je me lève, je vois la cheminée de ma douce ;
Je vois s’élever la fumée de la cheminée de ma douce belle qui me fait bien du chagrin. Il faut que j’aille jusque chez elle pour lui parler encore une fois. —
Loïzaïk Alan chantait en conduisant ses vaches, ce matin-là ; en menant ses vaches au champ neuf, Loizaik Alan chantait gaiement.
Elle avait relevé sa coiffe blanche : son œil est bleu, ses cheveux blonds, sa joue rose comme la fleur de l’érable ; elle dédaigne tous ses galants.
Elle était montée sur l’échalier pour ouvrir la barrière à ses bêtes, quand elle vit Piarik, son amoureux, qui cheminait dans la vallée.
Ma douce belle, j’allais chez vous pour vous demander en
mariage ; faites-moi une réponse favorable, comme celle que
fit autrefois votre mère à votre père.
Je vous ferai une réponse, jeune homme, puisque vous me la demandez d’une manière si polie et si gentille ; je ne veux point vous mentir du tout : c’est jeudi le jour de mes noces.
J’ai au village, sur l’esplanade, des ouvriers qui font des tables et des escabeaux pour donner aux gens de la noce jeudi prochain ;
Jeudi est le jour de mes noces ; vous êtes arrivé trop tard ; un autre a semé dans mon courtil la fleur d’amour.
C’est moi qui l'y avais semée, et vous l’en avez arrachée, et maintenant elle est flétrie ; mais mon cœur ne l’est pas.
Je vous aime pourtant toujours ; nuit et jour je ne pense qu’à vous ; votre haleine, par le trou de la serrure, vient me réveiller quand je dors.
J’ai passé cinquante nuits à votre porte, et vous n’en saviez rien, tellement battu de la pluie et du vent, que l’eau dégouttait de mes habits.
J’ai usé trois paires de souliers, ma douce, à vous faire la
cour ; voici la quatrième, et je n’ai point encore votre dernier
mot.
Si vous voulez avoir mon dernier mot, écoutez-moi bien, le voici : trois sentiers conduisent chez vous, prenez-en un et ne revenez plus. —
Et Piarik de s’en revenir aussi triste que la mort : — Je voulais cueillir du bouleau, et n’ai eu que du coudrier.
Dans quelques cantons de Cornouaille, si une jeune fille agrée le jeune homme qui lui fait la cour, elle lui offre une branche de bouleau ; si elle le refuse, un rameau de coudrier. Le même usage existe en Galles[8].
Autrefois le coudrier était le symbole de la défaite par l’épée[9].
Le jour de la noce, à minuit, on déshabille la mariée devant tout le monde et on la couche ; son mari se place auprès d’elle ; on leur sert une soupe au lait, des noix et des gâteaux, et quelquefois on remplit le lit nuptial de petits enfants, doux anges qui doivent voiler leurs amours.
Pendant celle chaste et naïve cérémonie, biniou et bombardes
jouent l’air de la soupe au lait, dont les jeunes gens et les jeunes
filles chantent les paroles ; elles n’ont rien de remarquable, et sont
d’ailleurs en partie citées dans une ballade qu’on a pu lire plus
haut[10].
Le lendemain de la noce est le jour des pauvres : il en arrive par centaines, la cour et l’aire en sont remplies. Ils se sont revêtus non pas de leurs beaux habits, mais de leurs haillons les plus blancs. Ils mangent les restes du festin de la veille ; la nouvelle mariée, la jupe retroussée, sert elle-même les femmes, et son mari les hommes. Au second service, celui-ci offre le bras à la mendiante la plus respectable, la jeune femme donne le sien au mendiant le plus considéré de l’assemblée, et ils vont danser avec eux.
Il faut voir de quel air se trémoussent ces pauvres gens : les uns sont nu-pieds, les merveilleux portent des sabots ; il y en a nu-tête, d’autres ont des chapeaux tellement percés, que leurs cheveux s’échappent par les crevasses ; tous les haillons volent au vent ; mainte ouverture trahit la misère, mais laisse voir battre le cœur ; les pieds s’agitent dans la fange, mais l’âme est dans le ciel. On commence en général par une ronde en l’honneur de l’épousée.
Le pauvre aveugle Iann-ar-Gwenn ne manque jamais de dire, dans ces circonstances, un morceau qu’il a composé pour sa malîtresse, maintenant sa femme, il y a bien longtemps ; cette pièce, moyennant de légers changements, se trouve convenir à merveille a la mariée, et obtient toujours un grand succès. En voici quelques strophes qu’il nous a apprises lui-même.
Nous avons choisi une maîtresse, nous n’aimons qu’elle ; nous ne trouvons de plaisir que quand nous sommes avec elle ; parler près d'elle est notre bonheur et notre désir ; en elle est toute notre pensée, nous ne nous soucions que d’elle.
Notre maîtresse est belle et pleine de bonté ; c’est la plus belle créature qu’il y ait en sa paroisse ; et comme elle est jolie, elle est aimable aussi, et c’est par là qu’elle est venue à bout de gagner notre cœur ;
Ses pieds sont vifs et légers, sa personne si charmante ! ses yeux comme deux gouttes de rosée, sa physionomie si gaie, si éveillée ! Quand nous sommes tristes et chagrins, hélas ! ou malades, aussitôt que nous entendons sa voix, la joie naît dans nos cœurs.
Au moment de quitter les époux, les pauvres leur souhaitent
toute sorte lie prospérités, toute sorte de grâces de Dieu, autant
d’enfants qu’il y a de grillons dans le foyer de la cheminée, d’années
que les patriarches, et le paradis après leur mort ; puis ils récitent
en commun les prières pour les trépassés de la famille, qu’on n’oublie jamais dans les fêtes, et ils sortent de la maison en continuant de prier. Le murmure monotone de leurs voix se fait entendre encore quelque temps au dehors, à mesure qu’ils s’éloignent, et meurt insensiblement dans les bois, tandis que les époux,
dont ils ont sanctifié l’union par leur présence, commencent une
vie nouvelle sous les auspices de la Foi et de la Charité.
Les cérémonies des noces sont à peu près les mêmes en Tréguier qu’en Cornouaille. Les mœurs sont plus graves en Léon ; ici, le jour le plus gai des noces est le troisième, où l’on porte chez le mari l’armoire de la jeune femme. Celle armoire est en noyer ; elle est luisante à s’y mirer ; les ferrures sont de cuivre et brillent comme de l’or ; quatre bouquets en relèvent les quatre coins. Elle est portée sur une charrette traînée par des chevaux dont la crinière est tressée et ornée de rubans.
Mais lorsque les parents de la mariée veulent faire entrer le meuble dans la demeure du mari, les gens de la maison le repoussent, et une longue lutte s’établit entre eux. Enfin on se raccommode ; la maîtresse du logis couvre l’armoire d’une nappe blanche, y pose deux piles de crêpes, un broc de vin et un hanap d’argent. Le plus vénérable des parents du mari remplit la coupe, la présente au plus âgé des parents de l’épousée, puis l’invite à manger ; l’autre trempe ses lèvres dans la coupe, et la lui repasse, en lui offrant pareillement des crêpes. Chacun des parents des deux côtés les imite ; et l’armoire est placée, au milieu des bravos, dans le lieu le plus apparent de la demeure.
On chante peu en Léon ; la fête de l’armoire souffre cependant exception. Il y a une chanson que nous avons entendu chanter au banquet qui suit la cérémonie que nous venons de décrire : c’est un dialogue entre une veuve et un jeune homme qui vient la demander en mariage.
Ecoutez, ma douce veuve, je viens vous faire ma cour ; voici le temps de prendre un parti.
Pour cette année, je ne me marierai point, ni ne romperai jamais mon deuil; il faut que je parte pour le cloître où Dieu m’attend.
Pour le cloître, vous ne partirez point, en vérité ; mais pour mon village, je ne dis pas ; la rose et les fines herbes sont nées pour les jardins.
La rose est née pour le jardin et l’if pour le cimetière ; j’ai
choisi pour époux celui qui a créé le monde.
Tenez, tenez, ma douce belle, tenez mon anneau d’argent ; passez-le à votre doigt, ou je vous l’y passerai moi-même.
A mon doigt, jamais je ne passerai d’autre anneau que celui de Dieu qui a reçu ma foi.
Vous voulez donc, vous voulez donc me faire mourir ?
Jeune homme, je vous tiendrai compte du temps que vous perdez à me faire la cour ;
Du temps que vous avez perdu dans l’espoir de l’anneau des noces :
Je prierai Dieu, nuit et jour, pour que nous nous trouvions réunis dans le paradis.
Pourquoi cette veuve ? Aurait-on voulu faire songer à la nouvelle mariée qu’elle pourra bien un jour porter le mantelet noir et la coiffe passée au safran ? A-t-on eu l'idée d’inspirer aux époux de graves et saintes réflexions au moment où ils entrent en ménage ; de leur montrer que la vie de l'homme, comme l’a dit un bazvalan, « est toujours entremêlée de joies et de peines ; que le mariage est un vaisseau qui vogue, exposé à toutes sortes de tempêtes, bien qu’au sortir du port la mer soit calme et belle ? » N’est-ce pas une scène perdue des anciens jeux poétiques des noces, la suite de ceux qui se jouent ailleurs le matin du premier jour ? Nous sommes porté à le croire ; et c’est pourquoi nous avons inséré cette pièce dans notre recueil, quelque peu remarquable qu’elle soit, et quoique nous n’en possédions plus sans doute qu’un fragment.
- ↑ Baz, baguette, valan, de genêt.
- ↑ Cambrian register, t. III, p. 59.
- ↑ Cambry, Voyage dans le Finistère, t. III, p. 167.
- ↑ Myvyrian, t. I, p. 20.
- ↑ Ibid., p. 34.
- ↑ Avocat, plaideur, défenseur.
- ↑ Cambrian register, III. p. 59.
- ↑ Owen, Welsh Dict, t. I, p. 153.
- ↑ V. t, I de ce recueil, p. 25 et 82. Son nom (kolvez) signifie arbre de la perte, (de kol, perte, corrompu en kel chez les Bretons) et de gwez arbre, en construction wez ou vez.
- ↑ T. I, p. 393.