Barzaz Breiz/1846/Jeanne de Montfort/Bilingue

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Barzaz Breiz, édition de 1846
Jeanne de Montfort



XXV


JEANNE-LA-FLAMME.


( Dialecte de Cornouaille. )


I.


— Qu’est-ce qui gravit la montagne ? C’est un troupeau de moutons noirs, je crois.

— Ce n’est point un troupeau de moutons noirs ; une armée, je ne dis pas,

Une armée française qui vient mettre le siège devant Hennebont. —


II.


Tandis que la duchesse faisait processionnellement le tour de la ville, toutes les cloches étaient en branle ;

Tandis qu’elle chevauchait sur son palefroi blanc, avec son enfant sur ses genoux ;

Partout sur son passage les habitants d’Hennebont poussaient des cris de joie :

— Dieu aide le fils et la mère ; et qu’il confonde les Français! —

Comme la procession finissait, on ouït les Français crier :

— C’est maintenant que nous allons prendre tout vivants, dans leur gîte, la biche et son faon !

Nous avons des chaînes d’or pour les attacher l’un à l’autre. —


Jeanne-la-Flamme leur répondit alors du haut des tours :

— Ce n’est pas la biche qui sera prise ; le méchant loup[1], je ne dis pas.

S’il a froid cette nuit, on lui chauffera son trou. —

En achevant ces mois, elle descendit, furieuse.

Et elle se revêtit d’un corset de fer, et elle se coiffa d’un casque noir,

Et elle s’arma d’une épée d’acier tranchant, et elle choisit trois cents soldats.

Et, un tison rouge à la main, elle sortit de la ville par un des angles.


III.


Or, les Français chantaient gaiement, assis en ce moment à table ;

Réunis dans leurs tentes fermées, les Français chantaient dans la nuit,

Lorsque l’on entendit au loin, déchanter une voix singulière :

« Plus d’un qui rit ce soir, pleurera avant qu’il soit jour ;

« Plus d’un qui mange du pain blanc, mangera de la terre noire et froide.


« Plus d’un qui verse du vin rouge, versera bientôt du sang gras ;

« Plus d’un qui fera de la cendre, fait maintenant le fanfaron. »

Plus d’un penchait la tête sur la table, ivre-mort,

Quand retentit ce cri de détresse : — Le feu ! Amis, le feu ! le feu!

Le feu ! le feu ! Amis, fuyons ! c’est Jeanne-la-Flamme qui l’a mis ! —

Jeanne-la-Flamme est la plus intrépide qu’il y ait sur la terre, vraiment !

Jeanne-la-Flamme avait mis le feu aux quatre coins du camp ;

Et le vent avait propagé l’incendie et illuminé la nuit noire ;

Et les tentes étaient brûlées, et les Français grillés,

Et trois mille d’entre eux en cendre, et il n’en échappa que cent.


IV.


Or, Jeanne-la-Flamme souriait le lendemain, à sa fenêtre,

En jetant ses regards sur la campagne, et en voyant le camp détruit.

Et la fumée qui s’élevait des tentes toutes réduites en petits monceaux de cendre ;



  1. Charles de Blois. Il y a dans le breton un jeu de mois intraduisible, qui roule sur la ressemblance du nom commun bleiz (loup), et du nom propre Blois.