Barzaz Breiz/1846/La Fête de Juin
La fête du mois de juin est une des fêtes les plus anciennes de la Bretagne ; malheureusement elle ne se célèbre plus guère que dans quelques cantons du pays de Vannes et dans quelques hameaux des montagnes de la Cornouaille, où chaque année elle renaît avec les feuilles.
C’est près d’un dolmen que l’on se réunit et qu’on danse. Évidemment elle a une origine druidique, et doit être un débris des cérémonies religieuses qui se célébraient, chez les anciens Bretons, au solstice d’été.
Des vieillards nous ont appris que, de leur temps, on n’était admis il la fête qu’à l’âge de seize ans ; une fois marié, on perdait le droit d’y assister.
Les garçons avaient coutume de porter a leurs chapeaux des épis verts, et les jeunes filles, dans leur sein, des bouquets de fleurs de lin, qu’elles déposaient, en arrivant, sur la pierre du dolmen. Ces bouquets y restaient des semaines entières aussi frais, dit-on, que le matin où ils avaient été cueillis si les amants étaient fidèles, mais se flétrissaient dès l’instant où ils cessaient de l’être.
On se souvient que les monuments druidiques servaient de
moyen d’épreuve, et qu’on les appelle « pierres de la vérité. » Un
concile tenu à Nantes, en 658, défend d’y déposer aucune offrande,
et ordonne aux évêques de les détruire de fond en comble[1].
La fête de juin a lieu chaque samedi de ce mois, à quatre heures de l’après-midi.
En arrivant au lieu de la réunion, on voit circuler dans la foule un jeune homme plus beau, plus grand, plus endimanché que les autres, qui porte un nœud de rubans bleu, vert et blanc à la boutonnière : c’est le patron de la fête ; les couleurs de ses rubans, chose très-remarquable, étaient celles des druides, des bardes et des augures, pour lesquels elles étaient[2], comme dans la pièce qu’on va lire, l’emblème de la paix, de la sincérité et de la candeur.
Celui qui présidait la fête précédente a transmis son titre et sa charge au patron de la fête nouvelle, en lui accrochant par surprise, à la boutonnière, le nœud de rubans qu’il portail. Le nouveau patron se procurera de la même manière un successeur. En attendant, il choisit une commère, au doigt de laquelle il passe une bague d’argent ; puis ils ouvrent tous deux la danse, aux applaudissements de la foule.
Les paysans ont conservé un vague mais précieux souvenir de l’origine druidique de cette fête :
« J’ai entendu les anciens raconter, me disait un cultivateur des
environs de la Feuillée, qu’autrefois, avant de venir danser,
garçons et jeunes filles se réunissaient dans l’église de la
paroisse, et qu’on y chantait vêpres. Les vêpres finies, on se
rendait processionnellement, clergé en tête, au lieu convenu.
Mais alors ce n’était pas comme aujourd’hui : le patron de la
fête ne se contentait pas de porter des rubans bleus, verts et
blancs à la boutonnière, il était habillé de ces couleurs de la
tête aux pieds ; au lieu de notre costume brun des montagnes,
il prenait, comme dans la plaine, la veste bleue et la braie blanche, avec la guêtre verte de certains cantons. Ce qu’il y a de plus
singulier, c’est que les prêtres portaient les mêmes couleurs ;
on va même jusqu’à prétendre que le recteur ouvrait la danse,
et que le curé (le vicaire) jouait de la musique : il est vrai qu’il
en jouait, dit-on, sur un instrument d’ivoire, ayant des cordes
d’or ; mais je ne puis croire cela, car jamais aucun curé n’a
fait le métier de sonneur (de ménétrier), excepté dans les
contes. »
Je cite ces paroles vraiment curieuses, parce que la vérité s’y trahit sous l’expression naïve et la tournure bizarre des idées. Le druide menait donc autrefois les danses de la fête au son de la harpe du barde. Elles n’offrent plus rien de particulier aujourd’hui que la ronde finale autour du dolmen ; les paroles et l’air se sont conservés. C’est une églogue, un débat amoureux entre le patron et la patronne de la dernière fête, qu’interrompt tout à coup gaiement le patron de la fête nouvelle.
Bonjour à vous, ma belle commère, bonjour à vous ; c’est un amour sincère qui m’amène ici.
Ne pensez pas, jeune homme, que je sois votre fiancée, pour une bague d’argent que j’ai reçue de vous.
Reprenez votre bague d’argent et emportez-la ; je n’ai plus d’amour ni pour vous ni pour elle.
Il a été un temps, mais ce temps est passé pour moi, où, pour un sourire, je donnais mon cœur.
Mais voilà que le temps me vient chercher querelle, me sourira qui voudra, je ne rirai plus.
Autrefois, quand j’étais jeune homme, je portais trois rubans, un vert, un bleu, et un troisième, qui était blanc.
Le vert, je le portais en l’honneur de ma commère ; car je l’aimais dans mon cœur, et bien sincèrement.
Le blanc, je le portais à la face du soleil et de l’aurore, en signe de l’amour pur qui était entre elle et moi.
Le bleu, je le portais, car je voulais toujours vivre en paix avec elle ; et, quand je le regarde, je pousse des soupirs.
Hélas ! hélas ! je suis abandonné maintenant par elle, comme le vieux colombier par la petite colombe volage.
Voici le temps nouveau de retour avec le mois de juin, le temps où les jeunes garçons et les jeunes filles s’en vont partout se promener ensemble.
Les fleurs se sont ouvertes aujourd’hui dans les prés, et les cœurs des jeunes gens aussi, en tous les coins du monde.
Voici que les aubépines fleurissent et répandent une agréable odeur, et que les petits oiseaux s’accouplent.
Venez avez moi, douce belle, vous promener dans les bois ; nous entendrons le vent frémir dans les feuilles.
Et l’eau du ruisseau murmurer entre les petits cailloux et les oiseaux chanter gaiement à la cime des arbres :
Chanter chacun sa chansonnette, chacun à sa manière ; ils charmeront notre esprit et réjouiront notre cœur.
Au coucher du soleil, les jeunes filles et les garçons reviennent par les bois et les prés, en se tenant par le petit doigt, selon une antique coutume, et l’on répète en chœur les dernières strophes de la chanson.
Il semble qu’à ce moment l’odeur des aubépines qui bordent la route est plus suave, le frémissement du vent dans le feuillage plus doux, le bruissement du ruisseau du bois plus harmonieux, et le chant des oiseaux plus gai.