Barzaz Breiz/1846/La Fête des pâtres
Comme l’âge mûr et la jeunesse, l’enfance a sa fête en Bretagne ; elle se célèbre à la fin de l’automne, et se nomme la Fête des Pâtres.
Les parents amènent leurs enfants des deux sexes, de neuf à douze ans, au lieu du rendez-vous, qui est, en général, la lande la plus vaste de la paroisse, celle où les petits pâtres mènent d’ordinaire leurs troupeaux. Chacun porte avec soi du beurre, des vases de lait, des fruits, des crêpes, des gâteaux, tout ce qui peut flatter davantage le goût des enfants ; on étend une nappe blanche sur la bruyère, et on leur sert une belle collation. A la fin du repas, quelque vieillard leur chante une chanson morale fort connue, appelée la Leçon des Enfants ; puis ils dansent jusqu’au coucher du soleil sous les yeux de leurs parents, avec lesquels ils reviennent alors en répétant eux-mêmes un autre vieux chant intitulé le Alikè, ou l’Appel des Pâtres. La première chanson est tellement répandue, que les nourrices des châteaux, même dans la partie de la Bretagne oùron parle français, apprennent aux enfants à dire, après leurs prières, quelques-uns des enseignements qu’elle contient. La voici ; je le fais suivre du Aliké : mais l’écho des montagnes leur manque à tous les deux.
Approchez, mes enfants ; venez entendre un chant nouveau qui a été fait pour vous. Mettez bien votre peine afin de le retenir.
Quand vous vous éveillez dans votre lit, offrez votre cœur au bon Dieu ; faites le signe de la croix, et dites avec foi, espérance et amour :
Dites : « Mon Dieu, je vous donne mon corps, mon cœur et mon âme : faites que je sois un honnête homme, ou que je meure avant le temps.
Le bénédicité, avant le repas, et les grâces, après, dites-les ; peut-être n’aurez-vous pas toujours à manger, si vous négligez de les réciter.
Ils les récitent bien les petits oiseaux perchés dans les bois sur leurs branches, pour un grain de blé, pour un petit ver, pour une goutte de rosée, une toute petite goutte.
Quand vous allez garder vos troupeaux, prenez une gaule
de saule brun ; et quand vient l’heure de les ramener, ramenez-les avec votre gaule.
Ne jurez jamais contre eux : s’ils sont fuyards, dites-leur ceci : « Allez, allez, bêtes méchantes, ne volez pas l’herbe du recteur !
« Pâture à renard, pâture à cormoran, votre ventre n’est jamais plein !
« Ah ! si je peux vous attraper, je vous vendrai chèrement mes pas. »
Quand vous voyez voler un corbeau, pensez que le démon est aussi noir, aussi méchant ; quand vous voyez une petite colombe blanche, pensez que votre ange est aussi doux, aussi blanc.
Pensez que Dieu vous regarde comme le soleil du haut du ciel ; pensez que Dieu vous fait fleurir comme le soleil les roses sauvages de Comana.
Quand vous parlez aux personnes de votre maison, dites : Mon frère, ma sœur ; dites : Vous. Parlez-vous les uns aux autres avec civilité et amitié.
Portez, enfants, honneur et respect à la noblesse et aux gentilshommes ; respectez les gens d’Église, répondez-leur bien poliment.
Ne passez par aucun bourg, par aucun village où sera notre Sauveur Jésus, sans entrer dans l’église, pour le prier de tout votre cœur, et vous gagnerez vingt jours d’indulgences.
Quand vous rencontrerez le saint sacrement, suivez-le pas à pas : vous aurez été vraiment ce jour-là dans la compagnie du roi des hommes et des anges.
A la Fête-Dieu, ceux qui seront bien sages seront choisis pour jeter des fleurs sur ses pas, en attendant qu’ils en jettent devant lui, au ciel.
Le soir, enfin, avant de vous mettre au lit, vous réciterez vos prières, afin qu’un ange blanc vienne du ciel pour vous garder jusqu’à l’aurore.
Voilà, chers enfants, le vrai moyen de vivre en bons chrétiens. Mettez donc mon chant en pratique, et vous mènerez une sainte vie.
Dimanche matin, en me levant, en allant conduire mes vaches dans les champs, j’entendis ma douce chanter, et je la reconnus à sa voix ; j’entendis ma douce chanter, chanter gaiement sur la montagne, et moi de faire une chanson pour chanter avec elle aussi.
— La première fois que j’ai vu la petite Marguerite, ma gentille amie, elle faisait ses premières pâques, dans l’église de la paroisse, dans l’église de Fouesnant, avec les enfants de son âge : elle avait douze ans alors, et j’avais douze ans aussi.
Comme la fleur jaune du genêt, ou comme une petite églantine, comme une églantine au milieu d’un buisson de lande, ma belle brillait parmi eux ; pendant tout le temps de la messe je ne fis que la regarder ; plus je la regardais, plus elle me plaisait !
J’ai dans le courtil de ma mère un pommier chargé de fruits, à ses pieds un gazon vert et un bosquet à l’entour ; quand viendra ma douce belle, ma plus aimée pour me voir, nous irons, ma douce et moi, nous mettre à l’ombre dessous.
La pomme la plus rouge, je la cueillerai pour elle, et je lui ferai un bouquet où je mettrai un souci, fleur que j’aime ; un souci flétri, car je suis bien affligé, car je n’ai point encore eu d’elle un seul baiser d’amour sincère.
— Taisez-vous, ne chantez plus, mon ami, taisez-vous bien vite ; les gens qui vont à la messe nous écoutent dans la vallée. Une autre fois, quand nous viendrons à la lande, et que nous serons tous deux seuls, un petit baiser d’amour sincère je vous donnerai . . un, ou deux. —
Ce qui a fait donner à cette chanson le nom d’Alikè, c’est qu’avant de la commencer, les petits pâtres, montés sur des arbres, se jettent par trois fois ce mot, d’une montagne a l’autre, en gardant leurs troupeaux. Le garçon prend le premier la parole de la sorte :
Ali ! kè! ali ! kè ! ali ! kè !
( Avis ! viens ! Avis ! viens ! Avis ! viens ! )
Et, ajoutant le nom de la jeune fille qu’il veut appeler, il lui dit :
Lè (Ecoute ! )
Si elle ne veut pas l’écouter, elle s’écrie :
N’éann ked-dè. (Je ne vais pas vraiment ! )
Si, au contraire, elle consent à l’entendre, elle répond :
Mé ia ! iè. ( Je vais ! oui ! )
Et aussitôt son jeune compagnon entonne la chanson qu’on vient de lire jusqu’à la dernière strophe, que la petite fille chante seule avec telle variante qui lui plaît.