Barzaz Breiz/1846/La Meunière de Pontaro

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Barzaz Breiz/1846
Barzaz Breiz, 1846Franck2 (p. 361).



LA MEUNIÈRE DE PONTARO.


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ARGUMENT.


Hévin, baron de Kymerc’h, était, en l’année 1420, seigneur du château de ce nom et propriétaire du moulin de Pontaro, charmante chaumière à demi perdue dans un bouquet d’aunes et de saules, au fond d’un vallon, sur les limites de la paroisse de Bannalec, en haute Cornouaille. La chanson qu’on va lire, et qui est, de toutes nos chansons d’amour un peu anciennes, presque la seule dont on puisse assigner la date précise, parle expressément de ce baron. Elle a pour sujet un meunier de Pontaro, qui enleva la belle d’un petit tailleur contrefait, la conduisit dans le moulin, et l’y retint sous la protection de son seigneur.


XI


LA MEUNIÈRE DE PONTARO.


( Dialecte de haute Cornouaille. )


A Bannalec il y a un beau pardon, où l’on vole les jolies filles.

 
     Et mon moulin tourne,
          Diga-diga-di,
     Et mon moulin va,
          Diga-diga-da.


C’est là qu’on voit les jeunes gens sur de grands chevaux enharnachés.

Avec des plumes à leurs chapeaux, pour séduire les jeunes filles.

Guillaouik le petit bossu est bien affligé ; sa jolie Fantik, il l’a perdue.

— Petit tailleur, consolez-vous, votre jolie Fantik n’est point perdue.

Elle est là-bas au moulin de Pontaro, en compagnie du jeune baron.

— Toc, toc, toc ! ô meunier, ramène-moi ma douce Fantik !

— Je n’ai vu votre douce Fanchon, qu’une seule fois, au moulin du baron,

Qu’une fois, ici près du pont, avec une petite rose sur le cœur,

Et une coiffe plus blanche que neige, que vous ne lui avez pas donnée,

Et un corset de velours noir, galonné d’argent blanc ;

Elle avait au bras une corbeille, pleine de fruits, si dorés et si beaux !

De fruits du jardin du manoir, ô tailleur! avec de fines fleurs par-dessus.

Et elle se mirait dans la rivière, et vraiment elle n’était ni laide ni à dédaigner !

Et elle ne faisait que chanter : — Je voudrais être meunière ;

Je voudrais bien être meunière, meunière du jeune baron. —

— Meunier, ne vous moquez pas de moi ; rendez-moi ma jolie Fantik.

— Quand vous me donneriez cinq cents écus, vous n’auriez point votre Fantik,

Vous n’aurez point votre Fanchon ; elle restera dans le moulin du baron ;

Votre Fantik point vous n’aurez : je lui ai mis mon anneau au doigt ;

Elle restera dans le moulin du seigneur Hévin qui est un parfait chrétien d’homme ! —

Que les garçons meuniers sont fort gais! ils ne faisaient plus que chanter ;

Ils chantaient et sifflaient toujours :
— Des crêpes et du beurre, c’est bon !

Des crêpes et du beurre, c’est bon, et un peu du sac à farine de chacun ;

Et un peu du sac de chacun, et des jolies filles aussi !


     Et mon moulin tourne,
          Diga-diga-di,
     Et mon moulin va,
          Diga-diga-di. —


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NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS.


L’avant-dernier couplet de cette chanson satirique fait allusion à l’habitude qu’ont les meuniers de prélever un droit de mouture sur le blé qu’on porte au moulin. La coutume le leur permet, mais souvent ils en usent un peu trop largement. Aussi range-t-on leur profession parmi les trois professions damnables : les deux autres sont, celle des ménétriers et des tailleurs ; ces derniers sont les ennemis déclarés des meuniers, qui usent de la faculté poétique dont ils sont doués, comme eux, pour leur faire une guerre à mort. La satire qu’on vient de lire en est la preuve.



Mélodie originale